EAU : 53 détenus politiques à nouveau condamnés après avoir purgé leur peine

محكمة إماراتية

Alkarama dénonce fermement les condamnations injustes prononcées par un tribunal émirati à l'encontre de 53 détenus politiques. La majorité d'entre eux avait fait l'objet d'Avis de la part du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire qui avait appelé leur libération immédiate. 

Le 10 juillet 2024, la Chambre de la sûreté de l’État de la Cour d'appel fédérale d'Abou Dhabi a condamné 53 personnes, dont des prisonniers d'opinion, militants politiques, avocats, enseignants, ainsi que six entreprises accusés d'avoir établi et dirigé le « Comité Justice et dignité » et soutenu l'« Appel à la réforme », deux organisations considérées comme terroriste par les autorités car elles seraient liées au mouvement des Frères musulmans, interdits dans le pays. Les individus ont été reconnus coupables de soutenir ces organisations à travers des articles et tweets tout en étant conscients de leurs objectifs anti-étatiques. De plus, cinq autres accusés ont reçu une peine de dix ans de prison et une amende de dix millions de dirhams pour des « crimes de blanchiment d'argent » liés à la création, l'établissement, et le financement de ces organisations terroristes. 

La cour a également sanctionné six entreprises et leurs dirigeants, infligeant à chacune une amende de vingt millions de dirhams. Elle a ordonné leur dissolution, la fermeture de leurs sièges, et la confiscation de leurs biens, droits matériels et immatériels, fonds, propriétés immobilières, et façades. Tous les matériaux, outils, et biens saisis utilisés pour les crimes attribués, notamment le blanchiment d'argent par un groupe criminel organisé et le financement d'une organisation terroriste, ont également été confisqués. 

D'autre part, le tribunal a clôturé l'affaire pénale de 24 personnes accusées de « coopération et financement de l'organisation terroriste Dawa al-Islah », acquittant une personne des charges. Les autorités n'ont pas précisé le sort des six autres personnes impliquées et ont indiqué que les peines pouvaient être contestées devant le Tribunal fédéral. 

Double procès 

Début janvier 2024, les autorités émiraties ont repris le procès de nombreux détenus politiques ayant déjà purgé leur peine. Le procureur général des Émirats arabes unis a renvoyé 84 de ces détenus devant le tribunal fédéral d'Abou Dhabi, les accusant d'être majoritairement membres des Frères musulmans, interdits dans le pays, et d'avoir créé une organisation secrète visant à commettre des actes de violence et de terrorisme sur le territoire national. 

Le procureur général a affirmé dans un communiqué publié par les médias d'État que « les accusés avaient dissimulé ce crime (présumé) et ses preuves avant leur arrestation et leur procès dans l'affaire n° 17 de 2013 – Sûreté de l'État ». 

L'avocat Rachid Mesli, directeur d'Alkarama, a affirmé que ce procès était « une farce majeure et un mépris du concept de justice », soulignant qu'il s'agissait d'une « violation flagrante du principe d'interdiction de juger deux fois des personnes pour les mêmes chefs d'accusation après qu'un verdict final a été rendu contre elles, sans parler du fait qu'elles ont purgé leur peine dans le cadre d'un procès qui manque de justice ». 

« Avec cette mesure, les autorités émiraties continuent de violer les droits des victimes et procèdent à des exécutions lentes à leur encontre. Elles cherchent à se soustraire à leurs obligations en vertu du droit international, notamment en ce qui concerne la nécessité de coopérer de bonne foi avec les procédures spéciales sur les droits humains des Nations unies, en particulier le Groupe de travail sur la détention arbitraire, qui a publié plusieurs Opinions affirmant le caractère arbitraire de leur privation de liberté, exigeant la libération des victimes et des réparations », a-t-il déclaré. 

Il a également ajouté que les autorités d'Abou Dhabi ont non seulement négligé les recommandations formulées par le Groupe de travail suite aux plaintes déposées par Alkarama et d'autres organisations de défense des droits humains, mais ont également maintenu une situation d'absurdité, où l'État de droit semble être ignoré et vidé de sa substance, la coercition brutale de l'État prévalant comme comportement dominant. 

Avis du Groupe de travail 

Le nouveau procès des détenus politiques survient plus d'un an après que le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire ait appelé pour la quatrième fois à la libération de ces dissidents pacifiques. 

Ces individus ont été détenus arbitrairement par les Émirats arabes unis pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression et avoir demandé des réformes politiques. 

L'avis du Groupe concerne douze des 94 citoyens arrêtés à plusieurs reprises en 2012 dans le contexte des soulèvements régionaux associés aux révolutions du Printemps arabe, et qui ont été condamnés à dix ans de prison pour des accusations de terrorisme et de cybercriminalité. 

Les autorités émiraties ont lancé une série d'arrestations visant des dizaines de personnes, parmi lesquelles des universitaires, des juges, des avocats et des défenseurs des droits humains. Ces individus avaient signé une pétition adressée au président des Émirats arabes unis et au Conseil suprême fédéral du pays, appelant à des réformes démocratiques. Cependant, ils ont été arrêtés par l'appareil de sécurité de l'État, placés en détention secrète prolongée et soumis à de sévères tortures. Par la suite, ces personnes ont été jugées et condamnées dans ce qui est devenu le plus grand procès de masse de l'histoire des Émirats arabes unis, connu sous le nom de « Émirats 94 ».

Contenu de l'Avis 

Lors de sa 96 ème session, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a émis son Avis n°19/2023 concernant plusieurs militants et avocats pacifiques, sur lesquels Alkarama a travaillé activement ces dernières années en déposant des plaintes auprès du Groupe. Malgré les appels répétés du Groupe, les autorités des Émirats arabes unis ont continué à ignorer les demandes de libération de ces individus. 

La décision des experts concerne Omran Ali Hassan Al Radwan Al Harthy, Abdullah Abdulqader Ahmed Ali Al Hajri, Ahmed Yusuf Abdullah Al Zaabi, Mohammed Abdul Razzaq Mohamed Al Siddiq, Hussain Munif Al Jabri, Hassan Munif Al Jabri, Sultan Bin Kayed Mohamed Al Qasimi, Khalifa Hilal Khalifa Hilal Al Nuaimi, Ibrahim Ismail Ibrahim Al Yasi, Mohammed Abdullah Al Roken, Abdul Salam Mohamed Darwish Al Marzouqi et Fouad Mohamed Abdul Allah Hassan Al Hammadi. 

Tout en estimant que leur privation de liberté continue d'être arbitraire, le Groupe de travail a appelé le Gouvernement des Émirats arabes unis à prendre les mesures nécessaires pour remédier sans délai à la situation de ces douze personnes et de les mettre en conformité avec les normes internationales pertinentes, y compris celles énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. 

Le Groupe de travail a estimé que, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, la réparation appropriée était de libérer immédiatement les douze personnes et de leur accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres formes de réparation, conformément au droit international. 

Enquête et responsabilité 

Le Groupe de travail a exhorté le Gouvernement à veiller à ce qu'une enquête approfondie et indépendante soit menée sur les circonstances de la privation arbitraire de liberté de ces douze personnes et à prendre des mesures appropriées contre les responsables de violations de leurs droits, tout en renvoyant ce cas au Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme pour qu'il prenne les mesures appropriées. 

La source et le gouvernement ont également été appelés à fournir au Groupe de travail des informations sur les mesures prises pour donner suite aux recommandations émises, y compris celles relatives à la libération des victimes et dans ce cas la date de la libération, l’indemnisation, l’initiation d’une enquête sur la violation de leurs droits et, dans ce cas le résultat de l'enquête. Les experts ont également souhaité être informés sur les réformes législatives adoptées pour harmoniser les lois et les pratiques des Émirats arabes unis. 

Le Groupe de travail a accordé un délai de six mois à compter de la date de transmission dudit avis pour recevoir ces informations. Une telle mesure permettrait au Groupe de travail d'informer le Conseil des droits de l'homme des progrès accomplis dans la mise en œuvre de ses recommandations, ainsi que de toute inaction. 

Les experts se sont également penchés sur les lacunes de la législation nationale sur laquelle se sont fondées les autorités émiraties, en particulier la loi antiterroriste, relevant la définition ambiguë des crimes terroristes. 

L'ancien rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats a souligné que cette loi comporte des définitions vagues et trop larges des infractions pénales, ce qui va à l'encontre des normes internationales en matière de droits de l'homme et contredit le principe de légalité. En 2020, plusieurs titulaires de mandat au titre des procédures spéciales ont exprimé leurs préoccupations quant à l’imprécision du libellé des dispositions pénales dans cette législation, qui parfois, en raison de son imprécision et de son ambiguëté, pourrait compromettre le principe de sécurité juridique. 

Face à cette incertitude, le Comité contre la torture à recommandé une réforme de la loi afin que les critères relatifs aux arrestations dans les centres de détention soient clairement définis par la loi. 

Centres de conseil 

Les experts du Groupe de travail sur la détention arbitraire ont également examiné la pratique de la détention dans les centres de conseil sur décision d'un tribunal spécialisé dans les affaires de sûreté de l'État et à la demande du Parquet de la sûreté de l'État. 

Ils ont noté que la loi antiterroriste ne spécifie pas explicitement de limite de temps pour la détention dans ces centres pour les individus considérés comme des menaces terroristes, ni n'exige explicitement le renouvellement des ordonnances de détention. Selon l'article 40(3) de la loi antiterroriste et l'article 11 de la loi sur les centres de conseil, ces centres doivent fournir trimestriellement au parquet un rapport sur chaque personne détenue. Le ministère public présente ensuite ce rapport au tribunal, accompagné de son avis sur la probabilité que la personne en question commette une infraction terroriste. La loi dispose que le tribunal est chargé de décider de la libération de la personne si sa « condition » le permet. 

Action d’Alkarama 

Alkarama soutient que le nouveau procès représente une forme de torture psychologique pour les victimes, qui ont attendu de nombreuses années pour regagner leur liberté et reprendre le cours de leur vie. Cependant, les autorités ont choisi de maintenir ces individus en détention, ce qui témoigne du mépris des Émirats arabes unis à l’égard des recommandations du Comité contre la torture. 

Ces recommandations avaient été formulées lors de l'examen initial des Émirats arabes unis, auquel Alkarama a contribué à travers son rapport parallèle

Alkarama a également participé à une réunion d'information pour les ONG organisée au Haut-Commissariat aux droits de l'homme à Genève, en préparation de l'examen qui s'est tenu lors de la 74 ème session les 13 et 14 juillet 2022. 

Dans ses recommandations finales adressées aux Émirats arabes unis en août 2022, le Comité contre la torture a souligné, entre autres, qu'il fallait veiller à ce que les lois relatives à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité de l'État soient pleinement conformes aux normes internationales relatives aux droits humains, notamment en prévoyant toutes les garanties juridiques fondamentales énoncées au paragraphe 13 de l'Observation générale n°2 (2007), en particulier la poursuite et la punition des agents des forces de l'ordre et des forces de l'ordre qui commettent des actes de torture. 

Le Comité a également recommandé que les décisions relatives à la détention dans les centres de conseil soient basées sur des critères clairs et spécifiques définis par la loi, que les ordres d'arrestation soient soumis à des limites temporelles, que la législation précise explicitement les périodes maximales de détention dans ces centres, et que les détenus aient le droit de contester la légalité de leur détention. 

Il a également recommandé à l'État partie de redoubler d'efforts pour harmoniser les conditions de détention avec l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et d'enquêter et d'engager des poursuites au sujet de l’ensemble des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants. 

Dans ses observations finales, il a souligné  que l'État partie devait renforcer sa coopération avec les mécanismes des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme, notamment en autorisant les visites, y compris celles du Groupe de travail sur la détention arbitraire, et d'autres mécanismes et experts des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme. 

Il convient de noter que les autorités émiraties détiennent toujours plus de 60 prisonniers d'opinion, dont la plupart ont purgé leur peine en juillet de l'année 2022, mais qui sont toujours derrière les barreaux sous prétexte de « conseils », après une série de violations, de torture et de mauvais traitements. 

Parmi les victimes qui ont purgé leur peine figure l'éminent avocat et militant des droits humains Mohamed al Roken, qui a passé dix ans en prison à la suite d'une peine injuste prononcée à l'issue d'un procès inéquitable. 

Depuis de longues années, Alkarama travaille sur le cas de l'avocat Mohamed Al-Roken et d'autres prisonniers d'opinion, militants et opposants politiques souffrant de la répression aux Émirats arabes unis, y compris des dizaines de dissidents pacifiques connus sous le nom de groupe « UAE 94 ». 

Dans ce cadre, Alkarama a soumis des plaintes individuelles aux procédures spéciales des Nations Unies. 

Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a conclu, plus d'une fois, que leur détention était de nature arbitraire et a exigé leur libération. 

Alkarama a également rappelé leur cas devant le Conseil des droits de l'homme dans le cadre de l'Examen périodique universel (EPU) sur le bilan des Émirats arabes unis en matière de droits humains, et a publié de nombreux communiqués de presse à ce sujet dans le cadre de son activité médiatique. 

Précédents Avis 

À la lumière des plaintes d'Alkarama et d'autres organisations, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a rendu sa décision n°60/2013, en date du 9 septembre 2013, concernant un certain nombre de ces détenus politiques aux Émirats arabes unis. 

Il a été souligné que les charges retenues à leur encontre s'inscrivent dans le cadre de leurs droits à la liberté d’opinion et d'expression, et que les restrictions imposées ne peuvent être considérées comme proportionnées et justifiées. 

Il a été noté que lesdites personnes étaient en détention à l'isolement sans aucune justification légale et que les charges retenues à leur encontre étaient vagues et inexacts. 

Le Groupe de travail Nations Unies a estimé que les violations du droit à la liberté d'opinion et d'expression et du droit à un procès équitable dans cette affaire étaient graves. 

Auparavant, le Groupe de travail avait rendu ses Avis n°64/2011 et n°8/2009, dans lesquels il avait conclu à des violations de la liberté d'opinion et d'expression et de la liberté de réunion pacifique et d'association, garanties par les articles 7 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi qu'à des violations du droit de ne pas être détenu arbitrairement interdites par l'article 9 de la Déclaration. 

Le Groupe qui s'est déclaré préoccupé par cette pratique typique des Émirats arabes unis, telle que reflétée dans ces Avis, a souligné la nécessité pour le gouvernement de se conformer au droit international.