ÉMIRATS ARABES UNIS : DES EXPERTS DE L'ONU APPELLENT DE NOUVEAU A LA LIBERATION DE 12 DETENUS POLITIQUES

مجموعة إمارات ٩٤

Le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (GTDA) a appelé pour la quatrième fois à la libération des dissidents pacifiques détenus condamnés à l’issue de procès inéquitables et détenus arbitrairement, malgré l’expiration de leurs peines, par les Émirats arabes unis uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d'expression et exigé des réformes politiques. 

L'Avis concerne douze citoyens arrêtés dans le courant de l’année 2012 dans le cadre de soulèvements dans la région arabe et le contexte des révolutions dites du "Printemps arabe". Tous ont été condamnés à dix ans de prison sur le fondement de lutte contre le terrorisme et de la cybercriminalité. 

Les autorités des Émirats arabes unis ont lancé une campagne d'arrestations contre des dizaines de personnes, dont des universitaires, des juges, des avocats et des défenseurs des droits de l'homme pour avoir rédigé une pétition à l’attention du président des Émirats arabes unis et au Conseil suprême fédéral du pays les appelant à des réformes démocratiques. 

Arrêtés par l'appareil sécuritaire de l'État, ces personnes ont été placées en détention secrète et prolongée et ont été soumises à de graves actes de torture. Enfin, elles ont été condamnées dans le cadre du plus grand procès de masse jamais tenu aux Émirats arabes unis connu sous le nom de  « Émirats 94 ». 

Contenu de l’avis des experts 

Au cours de sa 96ème session, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a rendu son Avis n°19/2023 concernant un certain nombre de ces militants et avocats pacifiques au sujet desquels Alkarama a travaillé au cours des dernières années en déposant notamment des plaintes devant le Groupe de travail. 

La décision des experts concerne notamment Omran Ali Hasan al-Radwan alHarithi, Abdullah Abdulqader Ahmad Ali al-Hajiri, Ahmed Yousef Abdullah al-Zaabi, Mohammed Abdulrazzaq Mohammed al-Siddiq, Husain Moneif al-Jabri, Hasan Moneif al-Jabri, Sultan Bin Kayed Mohammed al-Qasimi, Khalifa Hilal Khalifa Hilal al-Nuaimi, Ibrahim Ismail Ibrahim al-Yasi, Mohammed Abdullah al-Roken, Abdulsalam Mohammed Darwish al-Marzooqi et Fouad Mohammed Abdullah Hasan al-Hmadi. 

Tout en examinant la poursuite de leur privation arbitraire de liberté, le Groupe de travail a appelé le Gouvernement des Émirats arabes unis à prendre les mesures nécessaires pour remédier sans délai à la situation de ces douze personnes et les mettre en conformité avec les normes internationales pertinentes, y compris celles énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le Groupe de travail a estimé que, compte tenu des circonstances de l'espèce, la réparation appropriée consistait à libérer immédiatement les douze personnes et à leur accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres formes de réparation, conformément au droit international. 

Enquête et responsabilité 

Le Groupe de travail a instamment appelé le Gouvernement à veiller à ce qu'une enquête complète et indépendante soit menée sur les circonstances entourant la privation arbitraire de liberté de ces douze personnes et de prendre les mesures appropriées à l'encontre des responsables de violations de leurs droits, avant de renvoyer l’affaire au Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l'homme pour qu'il prenne les mesures qui s'imposent. 

La source et le Gouvernement ont été priés de fournir des informations sur les mesures qui seront prises pour donner suite aux recommandations contenues dans l’avis rendu, notamment si les douze personnes ont été libérées et, dans l'affirmative, la date de libération. Le Gouvernement dispose d’un délai de six mois pour fournir au Groupe de travail les informations susmentionnées à compter de la date de transmission du présent avis. De la sorte, le Groupe de travail pourra informer le Conseil des droits de l'homme des progrès accomplis dans la mise en œuvre de ses recommandations, ainsi que de toute inaction. 

Dans leur Avis, les experts se sont également penchés sur les lacunes de la législation nationale sur laquelle les autorités des Émirats arabes unis se sont appuyées, en particulier la loi antiterroriste, où la définition du crime terroriste reste ambiguë. Il a été noté que l'ancien Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats avait relevé que la loi antiterroriste comprenait des définitions vagues et larges des infractions pénales, ce qui contredit les normes internationales en matière de droits de l'homme et remet en question le principe de légalité. 

En 2020 également, de nombreux titulaires de mandats au titre des procédures spéciales se sont dits préoccupés par le fait que le libellé des dispositions pénales contenues dans cette législation était parfois si inexact et vague qu'il risquait de porter atteinte au principe de sécurité juridique. Cette incertitude a conduit le Comité contre la torture à recommander « que les arrestations dans les centres de conseil soient fondées sur des critères clairs et spécifiques établis par la loi ». 

Centres de "conseil" 

Les experts ont également abordé la question de la détention dans les centres de conseil en vertu des décisions du tribunal spécialisé compétent dans les atteintes à la sûreté de l'État et sur demande du procureur de la sûreté de l'État. 

Le Groupe de travail a noté que la loi antiterroriste ne prévoit pas explicitement du tribunal compétent qu’il précise la durée de la détention dans les centre de conseil pour les personnes considérées comme une menace terroriste ni ne se prononce sur le renouvellement d'un ordre de détention. Au lieu de cela, conformément à l’article 40(3) de la loi antiterroriste et à l’article 11 de la loi sur les centres de conseil, ce dernier doit préparer un rapport trimestriel à l’attention du parquet pour chacun des détenus dans le centre. Le parquet soumet ensuite ce rapport au tribunal, accompagné de son avis sur la question de savoir s'il estime ou non que la personne en question soit susceptible de commettre une infraction terroriste. La loi dispose que le tribunal est alors chargé d'ordonner la libération de la personne, s'il estime que son « état » le permet. 

Action d’Alkarama 

Il convient de noter que les autorités des Émirats arabes unis détiennent toujours plus de 60 prisonniers d'opinion sous prétexte de « conseil », en dépit des nombreuses violations commises, de la torture et des mauvais traitements commis et en dépit du fait qu’ils aient purgé leurs peines en juillet 2022. 

Parmi les victimes qui ont purgé leur peine figure l'éminent avocat et militant des droits humains Mohammed Al Roken, qui a passé dix ans en prison à l'issue d'un procès inique. 

Préoccupée par sa situation, Alkarama a pendant de longues années travaillé sur son cas et celui d'autres prisonniers d'opinion, militants et opposants politiques victimes de la répression aux Émirats arabes unis, y compris des dizaines de dissidents pacifiques figurant parmi les individus condamnés dans l’affaire des « Emirates 94 ». 

A cet effet, Alkarama a déposé plusieurs plaintes individuelles au nom des victimes auprès des procédures spéciales. A la suite des requêtes d'Alkarama, le Groupe de travail sur la détention arbitraire avait plus d'une fois conclu que leur détention était de nature arbitraire et avait exigé leur libération. 

Leur situation avait également été porté devant le Conseil des droits de l'homme dans le cadre de l'Examen périodique universel des Émirats arabes unis en matière de droits de l'homme, sans parler des nombreux communiqués de presse publiés à ce sujet dans le cadre de son activité médiatique. 

Précédents avis 

À la lumière des plaintes déposées par Alkarama et d'autres organisations, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a rendu sa décision n°60/2013 en date du 9 septembre 2013 concernant un certain nombre de détenus politiques aux Émirats arabes unis, soulignant que les charges retenues contre eux s'inscrivent dans le cadre du droit à la liberté d'expression, et que les restrictions imposées à ces droits ne peuvent être considérées comme proportionnées et justifiées. 

Les experts ont noté que lesdites personnes étaient placées à l'isolement sans aucune justification légale à la suite de la pandémie. Ils ont reconnu qu’elles ont été arrêtés sur la base d’incriminations vagues et imprécises estimant que les violations du droit à la liberté d'opinion et d'expression et du droit à un procès équitable dans cette affaire sont graves. 

Auparavant, le Groupe de travail avait rendu l'Avis n°64/2011 et l'Avis n°8/2009, dans lesquels il concluait qu'il y avait eu des violations des libertés d'opinion et d'expression, de réunion pacifique et d'association, garanties par les articles 7 et 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et des violations du droit de ne pas être détenu arbitrairement interdites par l'article 9 de la Déclaration. Le Groupe s'est déclaré préoccupé par cette pratique typique des Émirats arabes unis, telle qu’il ressort de ses deux Avis, soulignant que le Gouvernement doit se conformer au droit international.