Alkarama a soumis au Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire (GTDA) des Nations Unies une plainte concernant l’expulsion et la détention arbitraires de Mohamed Abdellah. Cet ancien sergent du Darak el Watani (gendarmerie nationale) est devenu lanceur d'alerte en révélant des cas de corruption graves au sein de l’institution militaire algérienne.
En novembre 2018, face aux menaces et pressions exercées par ses supérieurs hiérarchiques, Mohamed Abdellah a décidé de quitter l’Algérie et l’armée pour se réfugier en Espagne, où il a poursuivi son activité de lanceur d’alerte. Il a alors demandé l’asile, espérant être protégé par l’État de droit espagnol.
Cependant, son espoir a été anéanti lorsque le gouvernement espagnol a procédé à son expulsion illégale en Algérie le 21 août 2021, le livrant à des agents des services de renseignement militaire au centre de détention tristement célèbre de Ben Aknoun sans lui permettre de contester la légalité du processus devant un tribunal. Il est actuellement emprisonné dans la prison militaire de Blida, faisant face à plus de 17 poursuites pour les mêmes faits devant des tribunaux civils et militaires, et a récemment été condamné à la réclusion à perpétuité pour trahison par le tribunal militaire de Blida.
Bien que les violations commises par les autorités algériennes contre Mohamed Abdellah soient claires, la plainte d'Alkarama souligne l'importance de reconnaître le rôle de l'Espagne dans ces violations. Au nom de la coopération antiterroriste, instrumentalisée par les autorités à des fins économiques, l'Espagne a permis aux autorités algériennes de criminaliser la critique pacifique sur son territoire.
Du déni discriminatoire de protection internationale par l'Espagne à la condamnation arbitraire à perpétuité par un tribunal militaire algérien
Alors qu'il était sergent de la gendarmerie nationale, affecté à la surveillance aérienne, Mohamed Abdellah fut témoin d’activités massives de contrebande aux frontières, qu’il avait signalées à ses supérieurs hiérarchiques. Les menaces de ces derniers s’il continuait à évoquer ces activités illégales lui révélèrent que ces opérations, incluant le trafic de drogue, étaient largement couvertes par sa hiérarchie.
Après s’être enfui vers l’Espagne où il demanda asile, il continua à dénoncer publiquement la corruption et les abus commis par des hauts dirigeants et commandants. Il est devenu un symbole de la lutte contre la corruption en Algérie, étant régulièrement invité sur les plateaux des télévisions indépendantes.
Cet engagement public lui valut d’être ciblé en Espagne par des actes de représailles et d'intimidation de la part d'agents algériens, ainsi que par des attaques médiatiques de la presse pro-gouvernementale, l’accusant de porter préjudice à la sécurité et à la stabilité du pays ainsi qu'à la réputation de l’armée. Il a été ciblé de diverses manières et menacé par les partisans du régime militaire, jusqu’à être victime d’agression physique à Alicante, ce qui l’a obligé à déménager et changer de région pour protéger sa famille.
Le 11 août 2021, alors qu'il se rendait au service de l'asile de Vitoria pour signaler un changement d'adresse, Mohamed Abdellah a été informé du rejet de sa demande d'asile et placé en rétention administrative. Selon les décisions administratives qu’Alkarama s’est procurées, le refus de sa demande d’asile résultait d’une plainte du Commissariat général à l’information – les services secrets espagnols – l’accusant, à la suite d’une enquête secrète et non contradictoire, de constituer une menace à la sécurité de l’Espagne et à ses relations avec l’Algérie.
En dépit des recours préparés par ses avocats invoquant le risque réel et personnel de torture envers l’objecteur de conscience s'il venait à être livré aux autorités militaires algériennes, il a été expulsé en secret et expéditivement vers l'Algérie le 21 août 2021.
Livré dès son arrivée sur le sol algérien aux services de renseignement militaires, il a été détenu au secret au centre de Ben Aknoun et soumis à de graves sévices. Présenté devant le procureur le 23 août 2021, il a été placé en détention provisoire à la prison de Koléa, puis transféré à la prison militaire de Blida le 11 octobre 2021, où il est actuellement détenu.
Que ce soit par son internement et son expulsion "préférentielle", ou par la torture et la persécution judiciaire qu'il subit en Algérie, avec plus de 17 procès pour les mêmes faits, le cas de Mohamed Abdellah illustre l'exportation de la criminalisation de l'opposition pacifique algérienne à l'étranger. Il n'a pas eu l'occasion de se défendre. Alkarama a souligné que la stigmatisation des musulmans comme une menace pour la sécurité publique en Europe servait de prétexte à l'administration espagnole pour extrader un opposant sans procédure régulière vers un pays avec lequel des négociations économiques et commerciales importantes étaient en cours.
Une expulsion illégale et expéditive par l'Espagne ne laissant aucune chance au lanceur d’alerte de se défendre
L’arrestation et l’expulsion expéditive de Mohamed Abdellah par les autorités espagnoles n’ont pas fait suite à une demande d’extradition officielle ni à un mandat d’arrêt international émis par l’Algérie. À la lumière des faits, il apparaît plutôt que les autorités espagnoles ont agi à la suite d’une demande officieuse des services de renseignement algériens à leurs homologues espagnols.
Ainsi, tant l’internement que l’expulsion de Mohamed Abdellah en Espagne ont été effectués sur la base d'une procédure administrative secrète, non contradictoire et sans contrôle judiciaire effectif. En effet, le droit espagnol permet au Gouvernement d’expulser toute personne étrangère accusée par les services secrets de “participer à des activités contraires à la sécurité nationale, de nuire aux relations de l'Espagne avec d'autres pays ou d'être impliquée dans des activités contraires à l'ordre public”.
Cependant, un examen des décisions d'internement et d'expulsion révèle qu'aucun fait précis ne lui était reproché sinon celui d’être en contact avec des opposants à l’étranger, dont Mohamed Larbi Zitout, ancien diplomate et fondateur du mouvement politique RACHAD. Les autorités administratives espagnoles ont simplement répété, sans examen critique, les accusations de "terrorisme" ou "d'islamisme" utilisées par les autorités algériennes pour discréditer et criminaliser toute critique ou opposition pacifique au pays et à l'étranger.
Alkarama a souligné que les faits décrits pour justifier l’expulsion étaient vagues et soit matériellement faux, soit contradictoires, démontrant qu’aucune diligence n’avait été prise par les autorités administratives pour vérifier les allégations de leurs homologues algériens. Ainsi, tout porte à croire que si l’expulsion de Mohamed Abdellah avait été effectuée par voie d’extradition, un juge judiciaire aurait très probablement refusé de donner suite en raison de l’absence de fondement tant en fait qu’en droit pour poursuivre Mohamed Abdellah.
Au lieu de cela, le mode d’expulsion choisi par les autorités espagnoles, à travers une procédure administrative accélérée et ne permettant pas de contester la décision devant un juge, a eu pour but et pour effet de priver le lanceur d’alerte de toute protection effective de la loi. Les autorités espagnoles ont ainsi manifesté une volonté de coopérer avec les demandes algériennes, ignorant délibérément les risques de torture et de traitement inhumain auxquels Mohamed Abdellah était exposé.
En fin de compte, en choisissant d'accepter les allégations de terrorisme ou d'islamisme de l'Algérie sans examen critique ou indépendant, l'Espagne a effectivement prolongé la criminalisation de l'opposition pacifique de l'Algérie sur son territoire en qualifiant les activités de Mohamed Abdellah soit de menace à la sécurité nationale, soit de menace aux relations algéro-espagnoles. Cette combinaison rend difficile de déterminer si un étranger demandant l'asile est expulsé parce qu'il représente une menace réelle pour la sécurité de l'Espagne ou parce qu'il est susceptible de "nuire" aux relations avec son pays d'origine, ce dernier fût-il autoritaire.
Violations graves des droits et garanties fondamentales de Mohamed Abdellah et acharnement juridique en Algérie
Dès son arrivée en Algérie, Mohamed Abdellah a été livré aux services de renseignement algériens et détenu en secret sans aucune base légale au centre de Ben Aknoun, tristement célèbre pour y être un lieu où se pratique la torture. Sa détention s'est poursuivie sans accès à ses avocats et sans possibilité de contester la légalité de sa détention. Aujourd’hui aucune des 17 procédures pénales engagées contre lui pour les mêmes faits ne respecte les normes internationales de procès équitable.
Dès son arrivée en Algérie, Mohamed Abdellah a subi de graves sévices, y compris des tortures physiques et psychologiques. Il a été détenu au secret, coupé de tout contact avec le monde extérieur, et soumis à des conditions de détention inhumaines et dégradantes. Ces traitements violents avaient pour objectif de le contraindre à faire de fausses déclarations contre lui-même et d'autres opposants politiques algériens, dans le but de renforcer la répression contre toute forme de dissidence.
Récemment condamné à la réclusion à perpétuité par le tribunal militaire de Blida, il est actuellement le seul détenu de la prison militaire à être privé de tout contact téléphonique avec sa femme et ses enfants demeurés en Espagne.
Alkarama a donc demandé au GTDA d'examiner de toute urgence le cas de Mohamed Abdellah et d'appeler les autorités algériennes à sa libération immédiate et inconditionnelle. Elle a également exhorté les autorités espagnoles à reconnaître leur responsabilité dans cette affaire et à prendre des mesures pour enquêter sur les circonstances de l’expulsion et empêcher que de telles violations ne se reproduisent à l'avenir.
Pour de plus amples informations, veuillez nous contacter à l'adresse suivante : info@alkarama.org