TUNISIE : LA CONDAMNATION PAR UN TRIBUNAL MILITAIRE DE SALAH ATTIA DEVANT L’ONU

 Salah Attia: journaliste tunisien

Le 17 août 2022, Alkarama et l’Association des Victimes de la Torture en Tunisie (AVTT) se sont adressées à la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression concernant le cas de M. Salah Attia, journaliste et analyste politique, condamné hier à trois mois de prison ferme par le Tribunal militaire permanent de Tunis.

M. Salah Attia avait été arrêté le 11 juin 2022 par des agents en tenue civile alors qu’il se trouvait dans un café situé dans le quartier Ibn Khaldoun.

Le journaliste arrêté pour ses propos tenus sur la chaîne Al Jazeera

L’arrestation du journaliste est intervenue au lendemain de ses déclarations sur la chaîne Al Jazeera sur le refus de l’armée tunisienne d’obtempérer à une instruction du président Kaïs Saïed d’assiéger les locaux de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).

Au lendemain de ces déclarations, il a été interpellé par des agents en tenue civile qui l’ont emmené à la base militaire d’Al Aouina où il a été interrogé par le juge d’instruction militaire au sujet de ses sources d’informations.

Le journaliste qui s’est prévalu des dispositions du décret-loi n°2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition a refusé de les dévoiler et a contesté la compétence du tribunal militaire à engager des poursuites contre lui. A l’issue de son audition, M.Salah Attia a été placé en isolement dans une cellule sans lumière avant d’être transféré à la prison de Mornaguia où il est actuellement détenu.

Hier 17 août, il a été condamné à trois mois de prison ferme par le Tribunal militaire permanent de Tunis au prétexte d’ « atteinte à la sûreté de l’État et au moral de l’armée ».

Condamnation pour avoir user de son droit à la liberté d’opinion et d’expression

M. Salah Attia est une figure connue pour sa lutte pacifique en faveur de la démocratie et des droits de l’homme en Tunisie. Analyste politique, il est souvent invité sur les plateaux des médias internationaux pour s’exprimer sur la situation dans son pays. 

Il apparait évident que la condamnation du journaliste par une juridiction militaire, manifestement incompétente, à la suite de ses déclarations faites à la chaîne de télévision Al Jazeera constitue une claire violation de son droit à la liberté d’opinion et d’expression garanti par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la Tunisie en 1969.

Cette condamnation qui constitue une grave mesure de représailles en raison de ses activités professionnelles est une menace directe contre la liberté de la presse et l’ensemble de la profession de journaliste en Tunisie et traduit une volonté du président, M. Kaïs Saïed, de restreindre le droit à la liberté d’opinion et d’expression et de museler toute contestation pacifique.

La répression se poursuit depuis le 25 juillet 2021

Depuis le 25 juillet 2021, les poursuites devant les tribunaux militaires se sont multipliées et nombre de civils ont été inculpés sous les prétextes d’« attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement » , d’ «exciter les citoyens à s’armer les uns contre les autres », l’imputation « à un fonctionnaire public (…) de faits illégaux relatifs à ses fonctions (…) sans en établir la véracité », ou encore d’« outrage à l’armée ».

L’indépendance de la justice qui constitue une problématique majeure encore aujourd’hui continue, quant à elle, d’être menacée par les décisions unilatérales du président qui s’impose comme l’unique source de tous les pouvoirs et légifère par voie de décrets.

Dans une déclaration en date du 6 février 2022, M. Kaïs Saïed a décrété la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organe indépendant chargé de la nomination des magistrats indiquant qu’il « sera remplacé par un autre organe juridique ».

Le 13 février 2022, le président a signé un décret-loi portant création d'un Conseil supérieur de la magistrature « provisoire » et « s’est donné le pouvoir de limoger des juges et de leur interdire de faire la grève». Il a nommé les membres de cet organe « provisoire » s’attribuant de facto le pouvoir judiciaire, et ce, en dépit des préoccupations exprimées par la majorité de la classe politique à ce sujet.

Les magistrats suspendus ont introduit un recours devant la juridiction administrative qui a décidé, le 10 août 2022, de suspendre l’application du décret présidentiel concernant la révocation d’un certain nombre.

La situation des droits de l’homme en Tunisie reste particulièrement préoccupante à l’approche du 4ème examen de l’État partie dans le cadre de son prochain examen périodique universel par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies prévu entre le 2 et le 18 novembre 2022 à Genève.