Syrie: Le Comité contre la torture constate que l'impunité accordée aux agents de l'Etat favorise les graves violations constatées

Lors de sa 44e session, le Comité contre la torture a examiné les 3 et 4 mai 2010 le rapport périodique initial de la Syrie (CAT/C/SYR/1). Il vient de rendre publiques ses observations finales et recommandations à l'adresse des autorités syriennes en insistant en particulier sur l'état d'urgence et les lois martiales qui favorisent les graves violations des droits humains constatées alors que l'impunité est érigée en règle absolue. Alkarama se félicite du fait qu'une partie de ses préoccupations sont partagées par le Comité.

Celui-ci relève l'absence de définition recouvrant l'ensemble des éléments constituant celle de la Convention contre la torture et recommande de réviser la législation nationale en matière de poursuites légales d'agents de l'Etat ayant commis des actes de torture.

Le Comité exprime sa profonde préoccupation à propos des nombreuses et persistantes allégations relatives à l'utilisation systématique de la torture par les agents de l'Etat ou à leur instigation ou avec leur consentement, dans les centres de détention, en particulier, durant la détention précédant le procès lorsque le détenu est privé de garanties juridiques fondamentales.

Il recommande la levée de l'état d'urgence et surtout l'annulation des décrets légalisant l'immunité pour les crimes commis en service, afin de combattre l'impunité pour les actes de torture commis par les membres des services de sécurité, les agents des services de renseignement et la police.

Des informations précises sur des lieux de détention secrète ont alarmé le Comité qui demande que tous les centres de détention soient mis sous l'autorité judiciaire, qu'ils soient régulièrement inspectés, que des registres de détenus soient établis et que les endroits secrets soient fermés.

Selon le Comité, l'État partie devrait prendre des mesures urgentes et efficaces afin d'établir un mécanisme de plainte indépendant, d'assurer des enquêtes impartiales et approfondies sur les nombreuses allégations de torture et de poursuivre les auteurs présumés. Pour cela, les plaignants doivent être protégés de tout mauvais traitement ou toute intimidation en raison de leur plainte. Le Comité prie l'État partie de fournir des informations, y compris des statistiques, sur le nombre de plaintes déposées contre des fonctionnaires pour torture et mauvais traitements, ainsi que des informations sur les résultats de la procédure, tant au niveau pénal que disciplinaire.

Le Comité aborde aussi l'épineuse question des disparitions forcées, en particulier des milliers de frères musulmans durant les années 70 et 80 et des Libanais arrêtés par les forces armées syriennes durant la guerre civile au Liban. Il demande aux autorités d'engager des enquêtes afin d'établir les faits sur le sort de ces personnes, d'en communiquer les résultats aux familles et de sanctionner les responsables. Abordant le massacre commis en juillet 2008 à la prison de Sednaya, le Comité suggère d'engager une investigation sur les faits exacts, d'établir la liste des victimes et d'en informer les familles.

Dans ses observations finales, le Comité relève aussi les conditions de détention déplorables des prisons, les décès lors de la détention et demande explicitement que la législation soit modifiée de sorte que l'utilisation de toute déclaration obtenue sous la torture comme moyen de preuve dans une procédure judiciaire soit interdite. Dans ce cadre, il invite l'Etat à examiner les condamnations pénales fondées uniquement sur des aveux, en particulier de celles imposées par la Cour suprême de sûreté et les tribunaux militaires, afin d'identifier celles injustifiées car basées sur des preuves obtenues par la torture ou des mauvais traitements et de prendre des mesures correctives appropriées.

Il recommande la création d'une institution nationale des droits de l'homme et une meilleure coopération avec les institutions de l'ONU, incluant l'invitation aux experts indépendants à effectuer des visites dans le pays.

L'Etat est prié de fournir des informations dans un délai d'un an à propos de quatre des recommandations: enquêter et rendre publique l'existence de centres de détention secrète et fermeture de ces centres; fournir des informations à propos Abdelkader Mohammed Sheikh Ahmed qui aurait du être libéré en 1979 et qui en 2004 était toujours détenu; mettre en place des mesures globales pour combattre toutes les formes de violence contre les femmes et adopter, dès que possible, la législation sur la violence contre les femmes, y compris la violence domestique et en particulier relative aux « crimes d'honneur »; fournir des informations sur la situation légale mais aussi l'état physique et psychique des défenseurs des droits de l'homme, Haitham Al-Maleh et Muhannad Al-Hassani, détenus arbitrairement depuis plus de six mois.

Alkarama avait pour sa part présenté un rapport alternatif « Syrie: L’état d’urgence permanent : un environnement propice à la torture » dans lequel elle attire l'attention des experts sur les violations systématiques des droits humains commises par des agents de l'Etat.

Notre organise regrette que le Comité n'ait pas dans ses conclusions fait mention à une des lois les plus controversées (la loi 49 du 7 août 1980) qui prévoit la peine de mort pour toute personne appartenant à l’organisation des Frères musulmans. Cette loi est toujours en vigueur aujourd'hui et motive l'arrestation d'opposants malgré des garanties officielles que ceux-ci ont pu obtenir par ailleurs. Elle entraîne aussi la poursuite de membres de leurs familles, en particulier leurs enfants nés en exil au moment de se rendre en Syrie. Alors que ceux-ci n'ont aucun lien avec l'organisation incriminée, ils sont condamnés à de lourdes peines de prison.