La Libye condamnée par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire de la famille Hmeed

Au cours de sa 112ème session qui s'est tenue à Genève du 7 au 31 octobre 2014, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a rendu sa décision dans l'affaire concernant Saleh Salem Hmeed et plusieurs membres de sa famille, arrêtés, détenus et torturés par les services de sécurité de l'ancien régime de Kaddafi.

Rappel des faits

Accusé d'assassinat après avoir averti la police de la découverte du cadavre de l'un de ses voisins dans un puits situé sur sa terre agricole le 3 novembre 1986, M. Hmeed a été arrêté et gravement torturé par la police pour lui faire avouer qu'il était l'auteur du crime dont il avait informé les autorités.

Dès l'ouverture de l'enquête ordonnée par le parquet, M. Hmeed a été arrêté, placé en détention au secret, sans aucun contact avec le monde extérieur pendant près de trois mois, et il a été gravement torturé ; aujourd'hui encore il garde les séquelles du traitement particulièrement inhumain dont il a été victime.

Ce n'est que le 28 janvier 1987, après 86 jours de détention sans contact avec le monde extérieur que M. Hmeed a été déféré devant le procureur du tribunal de Tripoli, inculpé d'assassinat et, curieusement, de creusement d'un puits sur sa propriété sans autorisation de l'administration.

Après un procès expéditif tenu le 2 avril 1988, M. Hmeed, assisté d'un avocat désigné par le procureur, a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le tribunal fondant sa décision sur le seul témoignage de la femme de la victime – sa co-accusée dans l'affaire – et du frère de cette dernière.

La victime a interjeté appel de ce jugement mais l'administration ayant invoqué sa propre erreur – le fait qu'elle avait omis de valider le recours sur le registre d'appel –, le jugement prononcé est devenu définitif.

N'ayant aucune autre possibilité de recours, la famille de la victime a effectué de nombreuses démarches auprès des autorités pour requérir la révision du jugement. En 1994, le secrétaire à la justice a ordonné la réouverture de l'enquête en raison de la découverte de nouveaux éléments décisifs ; des suspects avaient été arrêtés, interrogés mais finalement relâchés sur intervention de l'un de leurs proches, colonel des services de renseignements.

En 1997 les fils de la victime ont constitué un avocat et entrepris des démarches en vue de la réouverture de l'enquête, ce que le procureur a refusé en les renvoyant à solliciter une grâce pour leur père, reconnaissant ainsi implicitement que celui-ci avait été condamné injustement. M. Hmeed a cependant refusé, estimant à juste titre être victime d'une injustice et réclamant toujours un nouveau procès équitable.

Devant le silence des autorités et l'aggravation des conditions de détention de la victime, âgée et malade, son épouse et ses fils ont décidé de protester publiquement pour dénoncer les violations flagrantes des droits de leur père à un procès équitable. La famille a alors vécu un nouveau calvaire : Menaces, intimidations, violations de leur domicile etc. Ainsi, le 15 février 2007, une cinquantaine d'agents ont investi la maison familiale en brisant portes et fenêtres et en pillant tout leurs biens. Après avoir violemment battu tous les membres de la famille, y compris la mère, les agents ont incendié la propriété.

Suite à ces évènements, Mme Hmeed a porté plainte contre les agents de l'État devant le procureur général pour agression, coups et blessures, vol et incendie volontaire à laquelle celui-ci n'a cependant donné aucune suite. Au contraire, le lendemain, les mêmes agents sont revenus aux domiciles de ses fils pour les arrêter.

Incarcérés pendant plusieurs semaines dans les locaux de la direction générale des enquêtes criminelles, les fils Hmeed ont été gravement torturés. Transférés en prison, ils ont été privés de leurs droits élémentaires ainsi que de soins en dépit de leur état physique préoccupant.

Le 20 avril 2007, soit deux mois après leur arrestation, ils ont été traduits devant le tribunal spécial de Tadjoura sous l'accusation d'avoir « planifié le renversement du gouvernement » et de « détenir des armes ». Cette juridiction a renvoyé l'affaire devant la Cour de Sûreté Révolutionnaire qui a prononcé le 13 mars 2008 des peines de six ans et demi et 15 ans d'emprisonnement contre les quatre frères. Le 7 décembre 2008, les quatre condamnés ont été libérés sans explications « à l'initiative de certaines autorités politiques ».

Le père, M. Hmeed, a quant à lui été libéré à son tour le 25 novembre 2009, après 23 ans de détention à la suite d'une grâce qu'il n'a pas sollicitée « pour raison médicale ».

A leur sortie de prison, les frères Hmeed ont continué à exiger l'ouverture d'une enquête impartiale sur la procédure inéquitable dont a été victime leur père ainsi que sur les autres violations graves dont ils ont été victimes eux-mêmes.

Sans aucune réponse des autorités la famille Hmeed a donc sollicité Alkarama à l'effet de saisir le Comité des droits de l'homme de l'ONU des graves et multiples violations subies du fait des autorités, plainte déposée par notre Fondation le 4 février 2011.

Malgré le devoir des États parties de soumettre par écrit leurs explications ou déclarations sur les communications, le gouvernement libyen n'a pas répondu à la plainte ni soumis ses observations.

C'est donc après 28 ans d'injustice et de déni que la famille Hmeed obtient gain de cause devant le Comité des droits de l'homme et voit enfin sa souffrance reconnue et la violation de ses droits condamnée.

Décision du Comité des droits de l'homme

Le Comité n'a pu reconnaitre les violations commises avant l'entrée en vigueur du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques en Libye, le 16 mai 1989, en raison de la non-rétroactivité du Pacte à des faits antérieurs à la ratification par l'État partie.

En revanche, le Comité a pris note de l'allégation de l'épouse de M. Hmeed selon laquelle des agents des services de sécurité, sous le commandement du directeur de la section d'investigation criminelle de Tripoli, se sont rendus au domicile de la famille, battu ses membres, ainsi que saccagé et mis le feu à la maison.

Considérant ces faits comme des actes de représailles et d'intimidation pouvant causer une souffrance mentale intense à la famille, le Comité les a qualifiés de torture, constituant une violation du droit international. Le Comité a également conclu à une immixtion dans la vie privée de la famille Hmeed en violation de l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

Rappelant son observation n°31 sur la nature et l'obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte de mener des enquêtes sur les violations des droits de l'homme, le Comité réaffirme l'importance de la mise en place, par les États, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes individuelles. En ne donnant aucune suite aux plaintes relatives aux opérations menées par les agents de l'État, la Libye a violé le droit international.

La Libye dispose d'un délai de six mois pour informer le Comité des mesures prises afin de donner effet à ses constatations. L'État est également invité à rendre publiques les observations du Comité des droits de l'homme.

Alkarama salue cette nouvelle décision en appelant les autorités libyennes à la mettre en œuvre conformément à ses obligations internationales et en espérant qu'elle puisse finalement permettre d'établir la vérité et rendre justice et considération à la famille Hmeed durement éprouvée.

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