Aujourd'hui, à l'occasion de la Journée internationale pour le soutien aux victimes de la torture, Alkarama appelle les gouvernements du Monde arabe à juger responsables d'actes de torture et de garantir une réparation aux victimes ainsi qu'à leurs familles. L'impunité et le manque de programmes de réhabilitation effective restent une préoccupation majeure dans la majorité des pays arabes, qu'ils soient en transition, en situation de conflit ou imperméables à tout changement. Ces lacunes sont un terrain propice à l'augmentation des violations des droits de l'homme.
Dans les pays en transition comme l'Egypte, la torture prévaut malgré les promesses faites après la révolution de 2011 : les engagements pris pour mettre un terme à ces de pratiques et pour combattre l'impunité n'ont pas été suivies par des mesures concrètes. En effet, la torture continue à être utilisée par les services de sécurité égyptiens dans les postes de police et les centres de détention. L'affaire d'Ahmad Abdallah, un laveur de voiture âgé de 33 ans originaire du Sinaï et détenu actuellement à la prison Tora dans l'attente de son jugement, n'est pas d'un cas isolé. Récemment, 7 personnes sont décédées suite à des actes de tortures en moins de 40 jours, sans que les autorités n'ouvrent des enquêtes, en violation avec leurs obligations tant internes qu'internationales.
« Même si tu es un jour officiellement libéré, tu sortiras d'ici handicapé ou mort. », a dit l'Inspecteur de la maison d'arrêt de Tora à Ahmad Abdallah
En Syrie, le dernier rapport de la Commission d'enquête des Nations Unies établit que la pratique de l torture utilisée par les forces gouvernementales et ses milices affiliées est endémique et systématique, particulièrement dans les centres de détention et les prisons contrôlés par l'armée syrienne. Les défenseurs des droits de l'homme syriens, Mazen Darwish et ses deux collègues du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression (SCM), Hussein Gharir et Hani Zaitani, comparaissent aujourd'hui devant la Cour anti-terroriste de Damas à cause de leurs activités de militants pacifiques. Alors qu'ils étaient détenus par les services de renseignement de l'armée de l'air au Centre Al-Mezza à Damas,ils ont été gravement torturés. De plus, depuis le début du procès, Mazen Darwish a demandé l'annulation de toutes ses déclarations prononcées en détention étant donné qu'elles ont été extraites sous la torture. Les autorités syriennes doivent s'abstenir d'utiliser ces aveux et enquêter sur ces allégations de torture, poursuivre les coupables et assurer une réparation complète à Mazen Darwish ainsi qu'à ses collègues pour la torture et le mauvais traitement dont ils ont été sujets, en conformité avec leurs obligations internationales.
Aux Emirats arabes unis, des cas de torture continuent à être signalés. Il est probable que procès des « 94 des Emirats » soit entêché de graves irrégularités , notamment l'utilisation d' aveux obtenus sous la torture. , Des ressortissants égyptiens détenus aux Emirats dans le cadre d'une autre affaire ont également confié à leurs familles qu'ils avaient été torturés en détention. Alkarama est préoccupée par la généralisation de la pratique de la torture et des mauvais traitements dans les centres de détention des Emirats arabes unis
« On m'a dit que j'allais rencontrer des fonctionnaires de haut rang mais en réalité, j'ai été emmené quelque part et battu. J'ai été battu sur les paumes, le cou et les épaules – il a continué à me battre. Il m'a dit : « tu ne mérites pas de vivre dans ce pays. Tu es la lie de la société et la prochaine fois que nous allons nous revoir, je vais mettre ma chaussure dans ta bouche et piétiner ton estomac', » Mohamed Al Sadiq, l'un des « Sept des Emirats » qui ont été déchus de leur nationalité émiratie en 2012 à cause de leur militantisme.
En Arabie saoudite, la nature arbitraire du système judiciaire et le caractère généralisé de la détention arbitraire, souvent à l'isolement, restent très préoccupants. De fait, la détention en cellule d'isolement d'une durée supérieure à 15 jours est considérée comme une torture ou un mauvais traitement au regard du droit international des droits de l'homme. En outre, les conséquences psychologiques d'une détention prolongée à l'isolement peuvent être irréversibles. Autre sujet de préoccupation : les nombreux cas de détentions prolongées , également considérés comme des cas de tortures et mauvais traitements, sans oublier leur impact sur les familles des détenus. Les histoires de Cherif Al Karoui et de Hichem Matri sont exemplaires de ces pratiques : arrêtés pour des raisons inexpliquées le 27 mai 2010, ils ont été détenus près de trois ans sans savoir quand ils seraient libérés. Ils sont des centaines, sinon des milliers, à partager la même histoire dans le Royaume.
Au Maroc, malgré la reconnaissance officielle du recours fréquent à la pratique de la torture par les autorités, particulièrement dans les affaires de « terrorisme » - le Roi Mohammed V a lui-même reconnu cela en 2005 dans une interview avec El Pais – les responsables de ces actes ne sont que très rarement jugés. Alkarama est particulièrement préoccupée par les cas de détention de centaines de personnes arrêtées arbitrairement suite aux attentats de Casablanca en 2003, et en particulier par les procès inéquitables au cours desquels les aveux obtenus sous la torture ont été utilisés comme preuves. Si le Maroc avait tenu ses engagements pris en 2012 dans le cadre de l'Examen périodique universel d' « accélérer ses efforts en vue de combattre l'impunité, » il aurait effectivement libérer ces personnes, poursuivi les responsables et accordé une réparation complète aux victimes.
Réparations effectives pour les survivants de tortures
Dans un appel conjoint publié aujourd'hui, les experts de l'ONU ont invité les gouvernements à « mieux remplir leurs obligations pour que les victimes de torture et leurs familles obtiennent des réparations effectives et soient pleinement réhabilitées . » Dans son Commentaire général n˚3, le Comité contre la torture, qui a célébré son 25ème anniversaire cette année, a insisté sur le fait que le droit à la réparation incluait différents éléments, dont la restitution au survivant de sa situation antérieure à la torture, la compensation, la réhabilitation, la satisfaction (par exemple, la poursuite et la sanction des responsables, l'établissement de la vérité, les excuses publiques) et la garantie de non-répétition. Le Rapporteur Spécial Juan E. Mendez a également demandé aux gouvernements d'adopter une approche « centrée sur la victime » et « holistique » dans les mesures de réhabilitation des survivants de torture.
En outre, le droit à la réparation pour les survivants de torture va de pair avec l'obligation des gouvernements d'ouvrir des enquêtes sur les allégations de violations et de poursuivre en justice les responsables. Le Rapporteur Spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition a déclaré que la réparation ne peut être efficace que si les gouvernements s'engagent à lutter contre l'impunité. Il déclare : « Il est crucial pour les victimes d'être impliquées dans la recherche de la vérité et dans les procédures judiciaires pour établir des enquêtes efficaces et impartiales, des poursuites ainsi que des jugements qui reflètent le degré de gravité de l'infraction. »
Etant donné la prévalence de la torture, des peines et des traitements cruels, inhumains et dégradants dans le Monde arabe, les gouvernements doivent d'honorer leurs engagements en matière de lutte contre la torture et de remplir leurs obligations en prenant toutes les mesures nécessaires pour prévenir la torture et permettre aux victimes d'obtenir une réparation complète, en luttant contre l'impunité des responsables de ces actes.