Égypte: la résolution du Parlement européen confirme la dangereuse situation pour les droits de l’homme dans le pays

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Le Parlement européen a publié une résolution sur les droits de l'homme en Égypte, qui est considérée comme un premier pas vers le respect de la responsabilité de la communauté internationale concernant le droit international des droits de l'homme et la lutte contre les politiques d'impunité sur les violations. Alkarama exhorte les divers organismes internationaux à assumer leurs responsabilités face à l'aggravation de la réalité des droits de l'homme dans la région arabe en général et à prendre des mesures de durcissements contre les hauts fonctionnaires impliqués dans des crimes de torture, de détention arbitraire, de répression et de toute forme de représailles contre les défenseurs des droits humains.
Dans ce contexte, le directeur juridique d'Alkarama, M. Rachid Mesli, déclare: «Nous suivons avec une grande inquiétude une détérioration effrayante des libertés et des droits de l'homme en République arabe d'Égypte depuis l'arrivée au pouvoir du président égyptien, le Maréchal Abdel Fattah Al-Sissi, là où la politique du pays est caractérisée par une approche militaire du régime dans un contexte  d'état d'urgence et de répression. Il a fait taire l'opposition politique et les activités des droits de l'homme, ce qui a conduit Alkarama, dans le contexte de ses préoccupations, à intervenir dans des dizaines d'affaires au nom des victimes et soumettre des plaintes à leur sujet aux procédures spéciales de l'ONU».

La décision du Parlement européen comprend 19 points, dont le plus important est l’appel à un examen approfondi et complet des relations de l’UE avec l’Égypte, car «la situation des droits de l’homme (dans ce pays) nécessite un examen sérieux», selon le texte paru dans la décision. La résolution a également appelé les pays de l'Union européenne à envisager de prendre des mesures restrictives à l'encontre de hauts responsables égyptiens impliqués dans de graves violations, conformément à la loi Magnitsky. Il a affirmé son soutien à la famille de l'étudiant diplômé italien Giulio Regeni, tué en Égypte en 2016.
Dans le texte de sa décision, le Parlement européen a condamné la poursuite et l'intensification de la répression contre les défenseurs des droits de l'homme et des droits des femmes, les dissidents et les dirigeants de la société civile, appelant à une enquête indépendante et transparente, appelant à la "libération immédiate et inconditionnelle des personnes arbitrairement détenues et condamnées pour avoir mené à bien leur travail légitime et pacifique dans le domaine des droits de l'homme".
Le Parlement s'est dit préoccupé par le sort des prisonniers détenus "dans des lieux surpeuplés dans des conditions sordides pendant le déclenchement de la pandémie du Covid-19", appelant les autorités à réduire d'urgence la surpopulation des lieux de détention.
La résolution a également condamné le «non-respect» par les États membres de l'Union européenne de l'appel à «arrêter toutes les exportations d'armes, de technologies de surveillance et d'autres équipements de sécurité vers l'Égypte qui pourraient faciliter les attaques contre les défenseurs des droits humains et les militants de la société civile, y compris sur les réseaux sociaux.»

Les autorités égyptiennes ont toujours ignoré les avertissements des experts indépendants des droits de l'homme des Nations Unies concernant les risques «graves et inutiles» auxquels sont confrontés les défenseurs des droits de l'homme arrêtés dans le pays en raison de la détention provisoire prolongée.
Les experts avaient déclaré, dans un communiqué publié en août 2020, que les risques sont plus accrus pendant la pandémie de Covid-19, et ont appelé les autorités à faciliter la libération des détenus souffrant de maladies chroniques ou détenus sans base légale adéquate.

Alkarama partage la préoccupation des experts à cet égard, et a suivi de près les cas de nombreux détenus politiques dans les prisons du régime égyptien, y compris le cas de feu le président élu Mohamed Morsi, dont la mort a été annoncée le 18 juin 2019, comme les experts de l'ONU l'ont confirmé à l'époque, sa mort était directement liée aux conditions de détention auxquelles il avait été soumis dans les prisons égyptiennes, avertissant en même temps que d'autres prisonniers subiront le même sort si l'Égypte n'aborde pas la question de la détérioration des conditions dans les prisons. Mais le gouvernement égyptien a ignoré ces avertissements, et le résultat a été la mort d'autres détenus, dont le dernier était le chef des Frères musulmans, Essam El-Erian.

Au cœur des préoccupations d'Alkarama

Dans le contexte de ses préoccupations, le 28 mars 2019, Alkarama a soumis son rapport parallèle sur les droits de l'homme en Égypte au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies en vue de l'Examen périodique universel en novembre 2019, en mettant l'accent sur la pratique systématique de la détention arbitraire et de la torture. Il met également en lumière le crime endémique de disparition forcée. La loi antiterroriste de 2015 qui a légalisé la répression systématique des militants des droits humains, des journalistes et des dissidents pacifiques est une loi vague et incomplète. Alkarama a également fait part de ses préoccupations concernant l'utilisation de la peine de mort comme moyen de réprimer les voix dissidentes et les personnes qui exercent leur droit fondamental à la liberté d'expression.
Alkarama a formulé 24 recommandations dans son rapport, notamment en appelant à la ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, du premier Protocole facultatif, du Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort, du Statut de Rome, et enfin appelant également à la facilitation du travail des procédures spéciales des Nations Unies et à la soumission des rapports en retard aux organes conventionnels.

De plus, Alkarama a recommandé l'abolition de la peine de mort et l'interdiction absolue de la torture, des disparitions forcées et de la détention arbitraire, ainsi que l'ouverture d'enquêtes sur tous les cas signalés. Alkarama a appelé le gouvernement égyptien à modifier sa législation sur la lutte contre le terrorisme mais également sa politique dans le traitement des manifestations et des organisations non gouvernementales, qui viole gravement le droit des citoyens égyptiens à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association.

Plus tôt le 20 septembre 2017, le Sous-Secrétaire général des Nations Unies aux droits de l'homme, Andrew Gilmour, a présenté le rapport annuel du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil des droits de l'homme sur les représailles contre les personnes qui coopèrent avec les Nations Unies.
Le rapport (A/HRC/36/31) incluait un certain nombre de cas sur lesquels Alkarama travaille, y compris le cas d'Ahmed Amasha, qui a été enlevé et détenu au secret pendant 20 jours au cours desquels il a été soumis à des décharges électriques et à des viols par des agents de la sécurité de l'État pour le contraindre à avouer appartenir à un groupe interdit. Il a été inculpé en vertu de la loi antiterroriste pour avoir soumis aux Nations Unies des cas de détention arbitraire et de disparition forcée.
Andrew Gilmour a également évoqué le cas d'Ibrahim Metwally, arrêté à l'aéroport international du Caire le 10 septembre 2017. Il se rendait à Genève pour rencontrer le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées. Ibrahim Metwally a été accusé de «diffusion de mensonges» et de «complot avec des entités étrangères, comprenant le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires».

La torture, une pratique courante

Entre-temps, le Comité contre la torture a conclu après quatre ans d'enquête, sur la base des rapports qu'il a obtenus d'Alkarama entre 2012 et 2016, que la pratique de la torture est «courante, répandue et intentionnelle dans une grande partie de l'Égypte».
Conformément à ses règles, le Comité contre la torture garde les informations et les rapports qu'il reçoit confidentiels tout au long de la période d'enquête. Cependant, après que le comité ait publié ses conclusions, Alkarama a publié son rapport initial parallèlement aux huit rapports de suivi qu'il a soumis au comité des Nations Unies au titre de l'article 20 de la Convention contre la torture afin de mettre en évidence en détail les violations qu'il a documentées en Égypte.

En vertu de l'article 20, Alkarama a soumis des plaintes au Comité contre la torture concernant des cas individuels et collectifs de torture, qu'elle a elle-même ainsi que d'autres ONG documentées. Depuis sa création en 2004, Alkarama a documenté des milliers de cas de torture en Égypte.Elle a également appelé les Nations Unies à mener une enquête, après avoir soumis plus de 150 cas aux procédures spéciales de l'ONU dans son rapport initial.
Lors de sa quarante-neuvième session en novembre 2012, le Comité contre la torture a estimé que les informations contenues dans le rapport d'Alkarama étaient fiables et que «la torture est systématiquement pratiquée sur le territoire égyptien » et a appelé le gouvernement à répondre aux rapports d'Alkarama, puis en novembre 2013, une demande de visite de ses rapporteurs compétents a été faite, mais les autorités égyptiennes n'ont pas répondu a la demande de coopération avec le comité des nations Unies.
Par ailleurs, les autorités égyptiennes n'ont pas répondu au Comité contre la torture entre 2013 et 2014, et ont tenté de faire la lumière sur ses «garanties constitutionnelles et législatives» contre la pratique de la torture et ont tenté de remettre en question la fiabilité des informations fournies par Alkarama.
Cependant, le Comité des Nations Unies a mis en garde contre le grand nombre de cas présentés par Alkarama à «un conflit dangereux entre la loi et la pratique» concernant la torture en Égypte.
Entre 2012 et 2016, Alkarama a continué à documenter davantage de cas et a soumis huit rapports de suivi au comité concerné pour l'informer de l'évolution de la situation et d'autres cas de torture, en plus du non-respect par l'Égypte de ses obligations au titre de la convention et de la pratique continue de la torture systématique pendant la période mentionnée.
Les rapports d'AlKarama couvrent l'ère post-Moubarak au cours de laquelle le Conseil suprême des forces armées, puis le président Morsi, et enfin le maréchal Abdel Fattah al-Sissi ont pris le pouvoir en Égypte. Les données indiquent que la situation des droits de l'homme depuis la prise du pouvoir d'Al-Sissi est la pire période que l'Égypte ait jamais connue.
Le Comité contre la torture, sur la base des rapports qui lui ont été fournis par Alkarama, des fonctionnaires de l'ONU, des agences des Nations Unies et d'autres organisations non gouvernementales, a conclu que la torture restait systématique en Égypte malgré la succession des gouvernements. Les informations obtenues par la commission auprès des sources susmentionnées montrent que la torture est pratiquée pour extraire des aveux de détenus qui sont souvent arrêtés en raison de leurs affiliations politiques ou de leur participation à des manifestations, alors que les personnes impliquées dans ces actes restent loin d'être tenues pour responsables et pratiquent des violations flagrantes des droits de l'homme en toute impunité.
Le Comité contre la torture a conclu, à la lumière des informations obtenues d'Alkarama et d'autres sources, à "une conclusion inéluctable que la torture est une pratique systématique en Egypte". Le Comité contre la torture a adressé plusieurs recommandations urgentes à l'État partie, notamment l'arrêt de la pratique de la torture dans les centres de détention, la tolérance zéro pour les personnes impliquées afin de mettre fin à l'impunité et permettre la condamnation publique de la torture et des mauvais traitements par les fonctionnaires.