Arabie Saoudite : Le Groupe de travail des situations refuse de saisir le Conseil des droits de l'homme de violations flagrantes et particulièrement graves

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Le 19 avril 2021, Alkarama a été informée que le Groupe de travail des situations de la procédure de plainte (*) du Conseil des droits de l'homme (CDH) a décidé de rejeter notre communication sur l'Arabie saoudite. En attente depuis 2016, notre plainte documentait les violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme commises par les autorités saoudiennes, en focalisant sur la détention arbitraire de dissidents pacifiques, notamment à la suite de procès inéquitables devant le Tribunal pénal spécialisé.

Nous sommes consternés par cette décision de ne pas soumettre la question à l'examen du CDH, qui, selon nous, contribue à un climat omniprésent d'impunité dans lequel les autorités saoudiennes continuent d'agir. Cette décision est un affront aux nombreuses victimes d'abus en Arabie saoudite et va à l'encontre de l'esprit de la procédure de plainte du Conseil des droits de l'homme, qui devrait tenir les États responsables des violations flagrantes des droits humains.

Nous avons ainsi décidé de publier notre réponse au Groupe de travail des situations ci-dessous ainsi que notre plainte initiale.
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Copie à : Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme ; Chef du HCDH pour l'Asie-Pacifique ; Chef du HCDH pour la région MENA ; Missions permanentes de l'Allemagne, de l'Uruguay, du Cameroun, des Philippines ; Présidence du Conseil des droits de l'homme.

Objet : Nos commentaires sur votre décision de rejeter notre communication sur l'Arabie Saoudite

Chers membres du Groupe de travail sur les situations du Conseil des droits de l'homme,

Nous souhaitons vous faire part de notre plus grande inquiétude quant à votre récente décision d'interrompre l'examen de notre communication concernant l'Arabie Saoudite. Nous sommes consternés par cette décision, qui n'est par ailleurs pas motivée, pour les raisons suivantes :

Sur le fond de notre communication :

Nous rappelons que dans notre communication initiale du 8 février 2016, nous avons fait valoir que les forces de sécurité agissant sous l'autorité du ministère de l'Intérieur étaient responsables d’arrestations arbitraires de nombreuses personnes pour avoir exercé leurs droits et libertés fondamentaux, notamment la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association. Nous avons identifié un modèle de détention arbitraire de dissidents pacifiques, notamment à la suite de procès manifestement inéquitables devant le tribunal pénal spécialisé, et sur la base d'un cadre juridique défectueux et répressif, et nous avons fourni de nombreux témoignages.

Après que le Groupe de travail des communications ait jugé notre communication recevable et l'a transmise au Groupe de travail des situations en février 2017, nous avons fourni quatre communications de suivi apportant des éléments supplémentaires et des mises à jour sur les cas inclus dans la plainte initiale.

Nos communications, qui démontrent de manière concise des schémas constants de violations flagrantes des droits de l'homme, étaient non seulement soutenues par plusieurs cas minutieusement documentés, mais aussi par des informations concordantes provenant d'autres organes des Nations Unies chargés des droits de l'homme, notamment le Haut-Commissariat aux droits de l'homme, le Comité des Nations Unies contre la torture et les procédures spéciales des Nations Unies.

Comme vous le savez également, deux déclarations conjointes ont été prononcées par les États membres du Conseil des droits de l'homme lors de ses 40e et 45e sessions, respectivement. Ces déclarations dénonçaient, entre autres, les violations flagrantes des droits de l'homme mises en évidence dans notre communication, notamment l'arrestation et la détention arbitraire continues de défenseurs des droits de l'homme, ainsi que l'utilisation de la législation antiterroriste et d'autres dispositions légales contre des personnes exerçant pacifiquement leurs droits.

Aujourd'hui, le schéma constant des violations des droits de l'homme commises par les autorités saoudiennes a été constamment documenté et largement dénoncé par la communauté internationale.

En rejetant notre communication, nous comprenons que vous n'avez pas jugé les autorités saoudiennes responsables de violations flagrantes des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ceci est non seulement erroné, mais va à l'encontre des conclusions des organisations de la société civile, du Haut-Commissaire aux droits de l'homme et des mécanismes des droits de l'homme des Nations unies, de plusieurs États membres des Nations unies ainsi que du Parlement européen.


Sur l'aspect procédural :

Nous réitérons notre très grande inquiétude quant au fait que votre décision de rejeter notre communication n'était pas motivée. En outre, tout au long de la procédure, nous n'avons reçu aucune information, si ce n'est des lettres succinctes indiquant que notre plainte a été "examinée" et que votre Groupe a décidé de "maintenir l'affaire à l'étude" et de "demander des informations supplémentaires au gouvernement d'Arabie saoudite".
Nous souhaitons souligner que nous avons toujours coopéré de bonne foi avec la procédure de plainte. Entre autres, nous avons respecté strictement le principe de confidentialité tout au long de la procédure et avons soumis des informations de suivi. Cependant, et malgré nos tentatives répétées, la communication avec le Secrétariat de la procédure de plainte a été rare tout au long des quatre années pendant lesquelles notre plainte était pendante devant le Groupe de travail des situations.

A la lumière de ce qui précède, nous sommes alarmés par l'opacité et le manque de transparence de la procédure du Conseil des droits de l'homme. Nos préoccupations ne découlent pas seulement du traitement de notre communication sur l'Arabie Saoudite, mais également du rejet de deux autres plaintes sur d'autres pays, qui mettaient également en évidence des schémas flagrants et cohérents de violations des droits de l'homme. Ces autres plaintes, qui étaient fondées et parfaitement documentées, ont également été sommairement rejetées, sans aucune justification.

Alkarama s'était précédemment engagée sans succès dans la procédure 1503 du Conseil des droits de l'homme, que nous avions alors jugée opaque et inefficace. Cependant, en 2007, lorsqu'elle a été remplacée par la procédure 5/1 du Conseil des droits de l'homme, nous espérions que ce mécanisme constituerait un moyen de demander des comptes aux pays auteurs de violations flagrantes des droits de l'homme. Il avait été alors annoncé que la nouvelle procédure visait à atteindre une "plus grande transparence" et à avoir une "approche plus orientée vers les victimes".

Aujourd'hui, nous pensons que votre procédure de plainte n'a pas rempli son objectif. Votre inaction et votre refus de transmettre la situation en Arabie saoudite au Conseil des droits de l'homme contribuent et contribuera encore de toute évidence au climat d'impunité dans lequel les autorités continuent d'agir. Il s'agit non seulement d'un affront aux nombreuses victimes d'abus en Arabie saoudite, notamment celles dont nous avons recueilli le témoignage, mais aussi d'un manquement à l'esprit de la procédure de plainte du Conseil des droits de l'homme qui a été réformée en 2007.

Respectueusement,
Alkarama.

(*) La procédure de plainte du Conseil des droits de l'homme (CDH) a été établie en 2007 pour répondre à des schémas cohérents de violations flagrantes et attestées de manière fiable de tous les droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le Groupe de travail des situations peut porter ces questions à l'attention du CDH pour examen. En 2021, il est composé des ambassadeurs des Philippines, du Cameroun, de l'Uruguay et de l'Allemagne.