Yémen/Etats-Unis: Les autorités doivent enquêter sur l'exécution de quatre civils tués lors de la frappe aérienne américaine sur Wussab

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Le 17 avril 2013 à 20h30 dans le village de Midhlib, dans la commune de Wusab, à 150km au sud de Sanaa, deux explosions violentes provenant de missiles lancés par des drones américains ont retenti. Ils ont touché un 4x4 au bord duquel se trouvaient quatre Yéménites âgés de 20 à 40 ans qui sont décédés suite à cette attaque. La frappe aérienne aurait visé en réalité un terroriste présumé du nom de Najm Al-Din Ali Adallah Al-Ra'i. Il n'était pas dans la voiture qui a été touchée.

Les familles des victimes ainsi que des témoins rapportent que Hamid Al-Hadidi Al-Radami, un ancien soldat âgé de 40 ans, Isma'il Ahmed Al-Muqdishi (29 ans), Mukram Ahmed Al-Da'ar (20 ans), ont été tués sur le coup au moment où le premier missile a touché leur véhicule. La quatrième victime, Ghazi Al-'Imad, blessé, n'a pu être sauvé en raison de la présence d'un avion américain qui survolait la scène de l'attaque.Ghazi est décédé après la lancée du deuxième missile.

Salim, l'un des accompagnateurs d'Al-Radami qui était à moto à une distance d'un kilomètre environ quand l'attaque a eu lieu, se rappelle de la scène: « Il y avait deux avions qui se suivaient et, au-dessus, un troisième avion tournait pour surveiller la scène. Entre la première frappe et la seconde se sont écoulées environ huit minutes. La deuxième était plus violente, le sol a tremblé et les gens ont paniqué. (...) Je me souviens encore des cris de Ghazi qui nous implorait alors que nous étions incapables de lui porter secours. Pendant trois heures nous avons attendu que l'avion disparaisse pour pouvoir secourir Ghazi."

Les autorités yéménites ont comme dans de nombreux cas similaires annoncé la mort d'un « terroriste dangereux » lors d'une attaque aérienne sans préciser son origine. Rapidement elles ont communiqué les noms de quatre autres hommes tués en les présentant comme étant des terroristes sans préciser les actes qu'ils auraient commis. L'un des noms cités , comme étant l'un des terroristes tués, , Najm Al-Din Ali Adallah Al-Ra'i (نجم الدين علي عبدالله الراعي) s'est avéré encore en vie et ne pas avoir fait partie des occupants du véhicule ciblé.

L'une des quatre victimes, Hamid Muhammed Radman Al-Hadadi appelé Al-Radami, avait été arrêté en 2005 et condamné à quatre années de prison sous l'accusation d'avoir combattu en Irak contre l'armée d'occupation américaine. Il a été maintenu deux années supplémentaires en détention et a finalement été libéré début 2011. A sa sortie de prison, il s'est installé dans son village d'origine et a repris une vie normale tout en s'investissant dans le travail social en particulier en tant que médiateur entre parties en conflit.

Les activités d'Al-Radami, l'ancien prisonnier accusé d'appartenance à Al-Qaida ont suscité des doutes dans certains milieux politiques en opposition au régime d'Abdallah Saleh. De nombreux articles de mise en garde face à l'activité d'Al-Qaida à Wusab ont été publiés. Il semblerait que ce soit l'une des raisons pour lesquelles depuis plus d'un an la région était sous observation permanente de drones ce qui perturbaient beaucoup la population.

Qu'en était-il réellement de cette accusation portée à l'encontre d'Al-Radami ? Nous avons interrogé plusieurs personnes parmi lesquelles Wadhah Al-Qadhi ( وضاح القاضي) jeune activiste de la révolution non-violente, originaire de cette région. Il nous raconte : « Quand les discussions autour d'Al-Radami et ses activités suspectes se sont multipliées, je suis allé le voir à son domicile et je lui ai demandé : «Veux-tu transformer notre région en un centre de conflit ? Ne suffit-il pas que Wusab soit délaissé et manque de tout ?; Je n'avais pas fini de lui dire ce que j'avais à dire que j'ai vu l'homme s'essuyer les larmes et me répondre : 'je ne veux pas qu'une goutte de sang soit versée ici à Wusab et je ne veux pas qu'une seule balle soit tirée. Je suis prêt à coopérer avec toute personne qui veut le bien à cette région et ses enfants' ».

Al-Radami a également donné une interview dans laquelle il a nié toute relation avec Al-Qaida. Il a affirmé s'être mis à la disposition de ses concitoyens et de les aider à obtenir justice. Il s'est étonné des accusations portées contre lui. Cette appréciation est d'ailleurs partagée par de nombreux habitants qui confirment l'action positive menée par Al-Radami et énumèrent les conflits qui ont pu être résolus grâce à son intercession .

Nous nous sommes rendus au centre de la direction de la sécurité où nous avons pu rencontrer son directeur, le colonel Ahmed Abu Sha'ie ( أحمد ابو شائع) qui nous a surpris en nous affirmant : « Hamid Al-Radami était un homme qui pratiquait la médiation sociale et il nous aidait dans certains cas à trouver des solutions. Il n'était pas recherché et s'il y avait eu un mandat d'arrêt contre lui, nous aurions pu l'appréhender facilement. » Il ajoute avoir demandé des explications aux services de sécurité de la province à propos de cet assassinat et ceux-ci lui auraient fait comprendre qu'il n'avait pas à se mêler de cela."

Le soir de l'attaque du drone américain, des habitants s'étaient réunis au domicile d'Al-Radami attendant son retour afin de débattre d'un problème d'aménagement de route.

Najm Al-Din Ali Adallah Al-Ra'i, 20 ans, qui figurait parmi les morts annoncés officiellement, rapporte:
« Je me trouvais au moment des faits au domicile de Al-Radami et l'attendais avec d'autres. J'ai appris par les médias que je figurais parmi les personnes tuées. J'accompagnais le Cheikh comme garde. Tous les shuyukh sont accompagnés. L'espion qui a informé l'avion américain n'a pas vérifié les informations et cela me porte préjudice, je suis ciblé sans aucune raison. » Cette attaque du 17 avril 2013 à Wusab a fait l'objet d'une audition devant le Sous-comité Juridique

L'un des frères d'Al-Radami, Ali, nous confirme les propos du témoin précédent en précisant qu'ils ont attendu jusqu'au lendemain pour enlever les corps du lieu de l'attaque et les enterrer. Aucun représentant du gouvernement n'est venu pour les aider. Il ajoute « Nous savons que le le directeur de la sûreté et le directeur de la région se sont enfuis 2 ou 3 jours avant la frappe et qu'ils ont quitté la région car ils étaient au courant de l'attaque dont nous en faisons porter la responsabilité au gouvernement d'union et nous lui demandons, si ce gouvernement civil existe réellement, qu'il ouvre une enquête sur ce crime et qu'il défère les responsables à la justice ».

Cette attaque du 17 avril 2013 à Wusab a uniquement fait l''objet d'une audition devant le Sous-comité Juridique au parlement yéménite.

Aujourd'hui, Alkarama a sollicité l'intervention du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires Christof Heyns auprès des autorités américaines et yéménites afin qu'elles ouvrent une enquête indépendante, prompte, impartiale et effective sur la mort des quatre civils, en précisant les chaînes de commandement et la procédure suivie pour le ciblage, la traque et l'exécution de ces victimes.

Le 1er juillet, Alkarama et Hood présenteront un rapport à deux experts de l'ONU contenant des informations sur 10 frappes aériennes américaines commises entre 2009 et 2013.

Plus d'informations sur les frappes aériennes américaines au Yémen