Le 1er décembre, Alkarama a adressé une communication au Rapporteur spécial sur la torture (SRT) concernant le cas de M. Zied Younes, un ingénieur de 25 ans arrêté le 10 septembre 2014 par la Brigade antiterroriste, torturé par les services de sécurité et des gardiens de prison et détenu dans des conditions préoccupantes, avant d'être jugé sur la base de preuves obtenues sous la torture.
Arrêté à son domicile familial aux alentours de 1h30 du matin par un groupe d'agents de la brigade spéciale de lutte contre le terrorisme s'étant introduit de force dans la maison, M. Younes a été conduit dans les locaux des services de sécurité de Kasserine, une ville voisine de la montagne de Chaambi à l'ouest de la Tunisie, où il a été soumis à toutes sortes de sévices, y compris la position dite du « poulet rôti » dans le but de lui faire avouer détenir des armes et préparer des attentats terroristes, avant d'être transféré à la capitale tunisienne à plus de 300km de Kasserine dans le coffre d'une voiture sans aération.
À Tunis, il a été placé en détention au centre d'arrêt de Bouchoucha avant d'être à nouveau transféré à la prison d'Al Gorjani pour terminer sa période de garde à vue où il a été privé de sommeil, de nourriture, d'eau et d'accès aux sanitaires. Enfermé par la suite dans une cellule surpeuplée avec des dizaines d'autres détenus, M. Younes témoigne des punitions collectives infligées à l'initiative d'un gardien qui les forçait à s'agenouiller avant de les frapper violemment pendant plusieurs heures, et qui l'a électrocuté à de nombreuses reprises.
Lorsqu'Alkarama a demandé à M. Younes s'il désirait rendre publique les différentes violations dont il avait été victime, il a déclaré : « Je veux que tout le monde le sache, je ne vois pas ce qui peut être pire que d'être suspendu et tabassé tout nu et de subir tout cela en présence d'un autre prévenu, lui-même soumis au même traitement, sinon le fait que les agresseurs soient non pas des criminels mais des agents de l'ordre et des enquêteurs de mon pays ».
A l'issue de quatre jours de souffrance et après avoir constaté les graves blessures causées à l'un des codétenus qui refusait de signer, M. Younes a finalement été contraint de signer le procès verbal d'interrogatoire contenant des aveux sans le lire.
Six jours après son arrestation, il a finalement été présenté au juge d'instruction devant lequel il a nié toutes les accusations formulées contre lui par la police en déclarant avoir signé le procès-verbal sous la torture. Le juge n'a cependant tenu compte ni des affirmations du détenu, ni de la demande de ses avocats d'ouvrir une enquête relative aux mauvais traitements dont il a été victime. Il a, au contraire, ordonné sa détention à la prison de Mornaguia en se contentant de consigner au procès-verbal d'audition que le prévenu déclarait avoir été victime de torture lors de sa garde à vue.
Cette affaire s'inscrit dans le contexte de la lutte contre le terrorisme dans le pays, qui justifie de plus en plus de violations des droits de l'homme de la part des autorités, au détriment des personnes arrêtées. La loi antiterroriste du 10 décembre 2003, n'est pas conforme au droit international que la Tunisie s'est engagée à respecter en accédant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques en mars 1969 et à la Convention contre la torture en septembre 1988.
Préoccupée par la situation de M. Younes, qui s'ajoute à de nombreux cas − tels que Karim Rhimi également arrêté par la Brigade antiterroriste le 19 septembre 2014 et gravement torturé dans les locaux des services de sécurité de Kasserine − la Fondation Alkarama a appelé le Rapporteur spécial sur la torture (SRT), M. Juan Méndez, d'intervenir auprès des autorités tunisiennes afin de leur enjoindre à ouvrir une enquête impartiale et indépendante sur les allégations formulées par M. Younes et ses avocats, conformément à leurs obligations internationales.
Alkarama, qui a récemment appelé les experts du Sous-comité pour la prévention de la torture (SPT) à visiter le pays, rappelle encore que la Tunisie est tenue de prendre des mesures efficaces pour empêcher que de telles violations se produisent, y compris de traduire les auteurs de ces crimes en justice pour mettre fin à leur impunité.
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