01 sep 2009
Le Conseil des droits de l’homme se réunit du 4 février au 15 février 2010 pour procéder à la 7ème session de l’Examen périodique universel des rapports sur la Qatar. Alkarama a présenté dans ce cadre un rapport le 1er septembre 2009. (télécharger le rapport en pdf)
QATAR
Examen Périodique Universel (EPU)
7ème session; du 4 février au 15 février 2010
1 septembre 2009
1. Contexte
L’Etat du Qatar a acquis son indépendance le 3 septembre 1971. Il est dirigé par l’émir Cheikh
Hamad bin Khalifa Al Thani, qui a renversé son père Khalifa bin Hamad Al Thani en 1995. L'émir
est chef de l'Etat et s'appuie sur la famille Al Thani pour diriger le pays. Traditionnellement, il doit
tenir compte de l’avis d’un conseil consultatif (Madjliss Al-Choura) composé de notables qu’il
choisit et de personnalités religieuses.
Sous son émirat, de nombreux changements sociaux et politiques ont été introduits. En 2003, le pays
adopte par référendum une nouvelle Constitution qui est entrée en vigueur le 09 juin 2005. Celle-ci
prévoit notamment la création d’un Parlement de 45 membres, dont deux tiers sont élus au suffrage
universel et un tiers désigné par l’émir et qui doit l’assister dans l'élaboration de sa politique. Celui-ci
n’a cependant toujours pas été mis en place et l’émir continue à exercer l’essentiel des pouvoirs.
Même si les libertés d’association, de culte ainsi que l’indépendance du pouvoir judiciaire sont
garanties, les partis politiques restent interdits.
Le Qatar entretient des liens étroits avec les Etats-Unis. Dès le 23 juin 1992 a été signé un accord de
coopération de défense qui offre des facilités aux forces militaires américaines sur le territoire qatari.
En décembre 2002, peu avant l'invasion de l'Irak par les forces multinationales, un tiers des effectifs
du CentCom (détachement du centre de commandement militaire américain de Tampa) a été
stationné sur la base militaire d’As-Sayliyah. Le 11 décembre 2002, un accord de coopération
militaire relatif à l’utilisation de la base aérienne d’Al-Udeïd a été signé par les deux pays. Ces deux
bases avaient été construites par les Américains dont la présence militaire au Qatar dans la guerre
contre l'Irak a été déterminante. Chaque année a lieu l’exercice militaire interarmées Eagle Resolve
piloté par les Etats-Unis. Le Qatar y participe avec les autres pays membres du Conseil de
coopération des Etats arabes du Golfe. Des rapports font état de l'existence au Qatar de prisons
secrètes gérées par les services secrets américains (CIA).(1)
Malgré le fait que le Qatar n'avait pas jusqu'à cette date connu d'attentats, il a en 2002 promulgué une
loi dite de "protection de la société" (loi 17/2002), puis adhéré à la Convention des États du Conseil
de coopération du Golfe pour la lutte contre le terrorisme de 2004 et adopté la même année une loi
nationale antiterroriste. Après l'attentat du 19 mars 2005, l'Etat a ratifié 9 des 12 instruments
juridiques internationaux de lutte contre le terrorisme.
Très soucieux du rôle que le Qatar peut jouer sur le plan régional et international, Cheikh Hamad Al-
Thani multiplie les initiatives dans le domaine diplomatique, culturel, médiatique et sportif. Il aurait
ainsi déclaré : « il est plus important d’être reconnu au Comité international olympique (CIO) qu’à
l’Organisation des nations unies. Tout le monde respecte les décisions du CIO ».(2) Ceci étant, l'Etat
qatari a pris certaines mesures dans le but de promouvoir le respect des droits de l'homme. Il a ratifié
certains traités internationaux et créé en 2002 une institution nationale des droits de l'homme. Un
département des droits de l’homme au sein du ministère de l’Intérieur a été créé conformément à la
résolution n°26 de 2005. La traite d'enfants est interdite par la loi 22 promulguée en 2005.
L'économie qui repose à 80% sur les recettes des hydrocarbures s'appuie sur une forte main-d'oeuvre
étrangère qui constitue environ 75% de la population de l'émirat estimée à 1,6 million d'habitants. La
plupart des travailleurs sont originaires du sous-continent indien et de pays arabes ; ils ne sont pas
suffisamment protégés par la loi et font face à des discriminations. C’est le cas des employés de
maison en particulier. Le pays compte aussi plusieurs centaines de personnes déchues de leur
nationalité.
2. Quelques observations sur le système judiciaire
Selon l’article 130 de la Constitution qatarie: «Le pouvoir judiciaire est indépendant et est exercé
dans différents tribunaux qui rendent des jugements conformément à la loi.» Selon l’article 131 de la
Constitution: «Les juges sont indépendants et ne sont soumis dans leur décision à aucune autre
autorité que celle de la loi.» Un des problèmes toutefois est qu'une partie du personnel judiciaire est
composée de non nationaux sous contrat qui peuvent à tout moment être révoqués en raison de leur
statut de séjour. Cette précarité ne leur permet pas d'exercer leur fonction de manière sereine et en
toute indépendance et pourrait constituer une limite au principe de l’inamovibilité du juge.
La Convention du Conseil de coopération des États arabes du Golfe sur la lutte contre le terrorisme
de 2004 à laquelle a adhéré le Qatar ainsi que la loi nationale contre le terrorisme promulguée la
même année définissent le terrorisme en des termes très larges et vagues susceptibles de restreindre,
d’interdire ou de réprimer les droits légitimes à la liberté d’expression, d’association et de réunion.
Le Code de procédure pénale prévoit que les personnes mises en détention doivent être inculpées ou
remises en liberté dans les quarante-huit heures. Cette détention sans inculpation peut toutefois être
prolongée par le procureur général pendant 16 jours avant la présentation devant un juge.
Cependant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme deux lois ont été promulguées. D’abord, la
Loi n° 17 de 2002 sur la "protection de la société" prévoit dans son article 1er que "le ministre de
l'intérieur, dans les crimes liés à la sûreté de l'État ou d'attentat à la pudeur ou la moralité publique,
peut décider la détention d’un prévenu s’il existe de fortes présomptions contre lui, sur rapport qui
sera présenté par le Directeur général de la sûreté générale". L'article 2 prescrit que "la durée de la
détention est de deux semaines prorogeable une ou plusieurs fois sans pouvoir excéder une période
totale de 06 mois au maximum avec le consentement du président du Conseil des ministres. La durée
de la détention peut être doublée en cas de crime lié à la sécurité de l'Etat." La durée totale de la
détention peut donc atteindre, en vertu de cette loi d’exception, une période de deux années.
La loi antiterroriste de 2004 confirme ces dispositions. Aucun recours devant un tribunal n'est
possible lorsque les décisions sont prises en application de ces deux lois qui légalisent la détention
arbitraire et au secret et ouvrent la porte à toutes sortes d'abus. Les prévenus n'étant pas placés sous
le contrôle de la loi, ils sont à la merci de leurs geôliers. Les personnes détenues au titre de ces lois
d'exception ne peuvent contester leur détention et n'ont pas accès à un avocat. Si ces lois ne sont pas
souvent appliquées, le fait même qu'elles soient effectives permet leur application.
L’article 36 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être soumis à la torture ou à un traitement
dégradant. La torture est un délit punissable par la loi ». Le Code pénal de 2004 ne prévoit cependant
pas une disposition particulière pour réprimer ce crime.
Le Code de procédure pénale considère qu'il est illégal de soumettre une personne accusée d’une
infraction pénale à la torture ou à des mauvais traitements: "Nul ne peut être arrêté ou emprisonné si
ce n’est en vertu d’un mandat délivré par les autorités compétentes et dans les circonstances prévues
par la loi. Ces personnes doivent être traitées avec le respect dû à la dignité humaine et ne peuvent
pas être soumises à des mauvais traitements physiques ou psychologiques. Les agents des forces de
l’ordre doivent les informer de leur droit de garder le silence et de prendre contact avec une personne
de leur choix."(3) Selon l’article 232 du même code: "Aucune valeur n’est accordée à une déclaration
dont il est établi qu’elle a été obtenue sous la contrainte ou la menace."
Le Comité contre la torture remarque dans ses Observations finales : '"Il n’existe pas de définition
complète de la torture dans le droit interne qui corresponde à celle formulée par l’article premier de
la Convention. Les références à la torture dans la Constitution ou aux actes de cruauté et aux actes
qui causent un préjudice dans d’autres textes du droit interne, notamment le Code pénal et le Code de
procédure pénale, sont imprécises et incomplètes." L'organe onusien recommande une définition qui
notamment "devrait veiller à ce que tous les actes de torture soient érigés en infractions pénales et
que des sanctions appropriées soient prévues pour leurs auteurs".(4)
Dans leur rapport initial, les autorités confirment : "A la suite de l’adhésion de l’État du Qatar à la
Convention, celle-ci a acquis force de loi de sorte qu’elle peut être invoquée devant les tribunaux
dans tout cas de violation de ses dispositions. Conformément à l’article 68 de la Constitution
permanente de l’État du Qatar et à l’article 24 de la Loi fondamentale provisoire, telle qu’elle a été
modifiée, un traité acquiert force de loi dès l’instant où l’État l’a ratifié ou y a adhéré."(5)
Le Qatar n'a cependant pas prévu de dispositions légales internes interdisant expressément
l'expulsion, le refoulement ou l’extradition d’une personne vers un autre Etat où il y a des motifs
sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la pratique de la torture comme le stipule l'article 3
de la Convention contre la torture. Par ailleurs, le droit interne ne prévoit pas de dispositions légales
relatives à l’octroi de l'asile ou du statut de réfugié au Qatar.
3. Détentions arbitraires, mauvais traitements
Les lois nationales de procédure pénale garantissent un cadre légal aux poursuites et fixent les limites
de la détention dans le cadre de la garde à vue ainsi que la faculté pour un membre du parquet
général de visiter et de contrôler les lieux prévus légalement pour servir à la détention situés dans le
ressort de leur juridiction.
L’article 40 de la loi n°23/2004 portant Code de procédure pénale dispose : "Aucune arrestation ou
détention ne peut être ordonnée que par une autorité compétente et dans les cas prévus par la loi".
L’article 43 du même code précise que le prévenu doit être présenté devant le parquet général dans
les 24 heures et que ce dernier dispose du même délai pour l’entendre, et que, suite à cette audition,
le prévenu sera soit libéré soit placé en détention préventive.
Cependant, les personnes arrêtées au titre des lois d'exception, et en particulier en vertu de la loi dite
de Protection de la société, ne bénéficient pas de la protection que le législateur entend leur donner
dans le cadre des dispositions du Code de procédure pénale.
Celles-ci sont généralement arrêtées et interrogées par les services de renseignements. Elles sont
détenues pour une période indéterminée dans les locaux de la sécurité d'Etat qui ne sont ni placés
sous l’autorité du ministère de la Justice, ni prévus comme un lieu de détention pouvant faire l’objet
de mesures de contrôle et de surveillance par le parquet général, comme prévu par l’article 395 du
Code de procédure pénale. Les personnes détenues dans ces conditions n’ont aucune possibilité de
recours devant une autorité judiciaire ou autre.
Alkarama a présenté ces dernières années des cas de personnes arrêtées et détenues au secret pour
une période de plusieurs mois sans avoir été présentées devant un magistrat ni avoir fait l’objet
d’aucune procédure légale. Le 30 mai 2006 notre organisation avait saisi le Groupe de travail sur la
détention arbitraire des cas de Mohamed Jassem Seif Salem et Ibrahim Aissa Hadji Mohamed Al
Baker, arrêtés les 7 et 9 janvier 2006 et libérés sans jugement le 19 septembre 2006.
Abdullah Mohamed Salem Al Souidane, Fahd Djadie Rached Al Mansouri, Khaled Saïd Fadl Rached
Al Bouainine et Naïf Salem Mohamed Adjim Al Ahbabi, on été arrêtés entre novembre 2005 et
janvier 2006, puis libérés le 22 juin 2006. Ces quatres personnes n'ont jamais fait l’objet d’une
quelconque procédure judiciaire. Ils n’ont pas eu accès à un avocat ou à une procédure légale de
recours pour contester la légalité de leur mise en détention et ignorent les raisons légales pour
lesquelles ils ont été détenus pendant toute cette période. Ce n’est qu’après plusieurs mois de
détention au secret que leurs proches ont pu commencer à leur rendre visite.
Alkarama a également soumis le 31 mai 2006 au Groupe de travail le cas de Monsieur Hamed Alaa
Eddine Chehadda, de nationalité jordanienne qui résidait et travaillait au Qatar. Il avait été détenu au
secret pendant 3 mois avant d’avoir été autorisé à voir son épouse. Il a été libéré 19 mois après son
arrestation sans avoir fait l’objet d’une procédure judiciaire ou été présenté devant un magistrat.
Après sa libération, il a fait l’objet de mesures restrictives, bien qu’aucune procédure légale n’ait été
initiée contre lui. Il lui a été signifié en particulier l’interdiction de voyager.
Abdullah Ghanim Khowar et Salem Hassen Al-Kuwari, tous deux arrêtés par les services de
renseignement le 27 juin 2009, n’ont pas, à ce jour, été présentés devant un magistrat pour être
entendus ou éventuellement inculpés. Ils n’ont toujours pas la possibilité de contester la validité de
leur mise en détention et n’ont pu entrer en contact avec un avocat ; leurs parents ignorent les motifs
de leur arrestation.
Le Comité national des droits de l'homme a constaté que durant l'année 2007, 3 personnes avaient été
arrêtées sur la base de la loi dite de protection de la société. Leur statut ne serait pas connu. Le
Comité national a ainsi demandé aux autorités que tous les détenus sur la base de cette loi soient
libérés ou présentés à la justice.(6)
Une trentaine de personnes ont été arrêtées entre 1995 et 2000 dans le cadre de l’enquête sur la
tentative de coup d’état organisée par le père de l’Emir actuel parmi lesquelles 18 ont été
condamnées à mort en mai 2001. Depuis, l’Emir déchu a, après un exil de quelques années en
Europe, été autorisé à rentrer dans son pays où il vit actuellement. Les deux principaux auteurs de la
tentative avortée, Bakhit Marzouq al Abdallah et Sheikh Hamad bin Jassem bin Hamad al Thani, qui
avaient également été condamnés à mort ont été graciés par l’émir et libérés en 2005. 28 autres
personnes, ayant joué parfois un rôle secondaire dans cet événement, restent à ce jour détenues.
4. Les citoyens qataris déchus de leur nationalité
Un code régissant la nationalité a été promulgué en 2005 (Loi No 38/2005). Des pouvoirs très
étendus en matière d’octroi, de déchéance ou de réintégration de la nationalité qatarie sont attribués à
l’émir par cette loi. L’article 11 l’autorise notamment à déchoir tout citoyen de sa nationalité dans
certains cas, en particulier lorsque celui-ci s’est engagé dans des forces étrangères ou dans une
institution ou une organisation qui porte préjudice à l’organisation sociale, économique ou politique
du pays.
Les personnes naturalisées jouissent de moins de protection encore puisque la nationalité du pays
peut leur être retirée à tout moment même sur simple proposition du ministre de l’Intérieur s’il
estime cette mesure conforme à l’intérêt général (Art.12 in fine). L’inégalité des citoyens qataris
d’origine et naturalisés est instituée par la loi, puisque ces derniers ne jouissent pas des mêmes droits
que les nationaux d’origine, quelque soit l’ancienneté de leur naturalisation ; ils ne peuvent
notamment être ni électeurs, ni éligibles.
La déchéance de nationalité peut revêtir une forme collective comme dans le cas de la tribu Al
Ghufrane, une branche de la grande tribu arabe des Al Merra qui nomadisait historiquement dans
l’Est et le nord-est de la péninsule arabe sur les territoires actuels du Qatar et de l’Arabie Saoudite.
927 chefs de famille représentant 5266 personnes ont été privés de leur nationalité par décision du
ministre de l’intérieur du 01 octobre 2004, chiffre d’autant plus significatif s’il est rapporté à la
population totale du pays. Certains membres de la tribu Al Ghufrane ayant pris fait et cause pour le
père de l’émir actuel lors de sa destitution suivie de la tentative de coup d’état avorté, cette mesure a
été interprétée par certains observateurs comme une sanction collective.
Concrètement, les fonctionnaires, hommes ou femmes, ont été révoqués sans préavis, les enfants
exclus de la scolarité et l’ensemble des familles privées de sécurité sociale et des avantages sociaux
dont ils bénéficiaient (logements, soins médicaux gratuits, autorisation de conduire un véhicule etc.)
et sommées de régulariser leur situation avec les autorités en tant qu’étrangers.
Si de nombreux cas ont été régularisés depuis et les familles concernées réintégrées dans leurs droits
par les autorités, plusieurs centaines de personnes restent cependant à ce jour privées de nationalité.
5. Les violations des droits des migrants
Trois quarts de la population du Qatar sont des travailleurs immigrés en provenance du Pakistan, de
l'Inde, du Népal, du Bangladesh, des Philippines, de l'Indonésie, mais aussi du Soudan, de l'Egypte et
de la Syrie, etc. Le plus grand nombre travaille dans le secteur de la construction. Les conditions de
travail sont très difficiles. Les candidats doivent au préalable verser une somme au recruteur pour
lequel ils s’engagent à travailler environ un an pour pouvoir rembourser l'emprunt contracté. Ils
disposent de contrats de travail de trois ans.(7) Ils sont, de par le système de parrainage instauré, à la
merci de leurs employeurs, dont certains les exploitent, les menacent de détention, les sous-paient,
leur confisquent leurs documents de voyages, les privent de leur salaire, leur interdisent de
démissionner ou de changer de travail et de quitter le pays sans autorisation, etc. Ces travailleurs
vivent dans des conditions d’hébergement déplorables et ne bénéficient pas d’une couverture sociale
adéquate.
Le non-paiement des salaires a poussé les travailleurs étrangers à organiser des grèves et des sit-in
malgré les restrictions en matière de droit de grève et de rassemblement. "En mars 2006, par
exemple, 1 500 ouvriers népalais d’une entreprise de construction ont arrêté le travail. Ils protestaient
contre des arriérés de deux à six mois de salaire, et contre des déductions de salaire pour frais de
visa. Le 4 novembre 2006, 2.000 ouvriers de la construction arrêtaient le travail et réclamaient des
augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail."(8)
Les travailleurs immigrés ne peuvent s'organiser dans des syndicats. Lorsque des révoltes éclatent,
les protestataires sont expulsés. Selon la délégation qatarie intervenant lors de l'examen du rapport
initial par le Comité contre la torture, le ministre de l’Intérieur a un pouvoir discrétionnaire pour
déterminer les circonstances dans lesquelles une expulsion peut être nécessaire – mais ce sont les
tribunaux qui prononcent la décision, qui peut aussi concerner les membres de la famille de la
personne considérée comme un danger pour la nation.(9)
Pourtant la délégation relève aussi: "En ce qui concerne la protection accordée par la législation du
Qatar aux étrangers, la Constitution établit clairement que les non ressortissants sont admis à
bénéficier de la même protection que les Qatariens et que tous sont égaux devant la loi, sans aucune
discrimination."(10)
6. Recommandations
- Instaurer des réformes politiques dans le sens d’une réelle participation des citoyens dans la vie
publique du pays ; mettre en place le Parlement prévu par la Constitution et procéder aux élections
au suffrage universel pour désigner les 2/3 des membres éligibles.
- Consacrer le principe de l’inamovibilité des juges en l’étendant à tous les magistrats du pays , y
compris les magistrats étrangers sous contrat, pour assurer une réelle autonomie de la justice.
- Abroger les législations d’exception et en particulier la loi n°17 de 2002 sur la "protection de la
société".
- Prendre les mesures nécessaires pour lutter contre les situations d’apatridie conformément à la
Convention sur la réduction des cas d’apatridie du 30 août 1961.
- Conformément au principe de l’égalité des citoyens en droits et en devoirs (art.34 de la
Constitution), faire bénéficier du droit de grâce la totalité des personnes condamnées en mai 2001 à
la suite de la tentative du coup d’état de 1995.
Sur le plan normatif :
- L’Etat devrait envisager de ratifier le Pacte International relatif aux droits civils et politiques.
- L’Etat devrait intégrer dans la législation interne le crime de torture tel que défini par l’article 1er de
la Convention contre la torture, instituer des peines appropriées pour le réprimer, lever les réserves
relatives aux article 21 et 22 et envisager de ratifier le Protocole facultatif.
Notes de bas de page
1 Jane Mayer, The Secret History of America’s, “Extraordinary Rendition” Program, The New Yorker 14 février 2005.
2 Journal du dimanche, Paris, 15 février 2004, cité par Pascal Boniface, De la chaîne Al-Jazira à la promotion du sport, Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe, Le Monde diplomatique, juin 2004.
3 Article 40 du Code de procédure pénale cité dans le rapport initial présenté au Comité contre la torture en 2005.
(CAT/C/58/Add.1) 5 octobre 2005.
4 Examen des rapports présentés par les états parties en application de l’article 19 de la convention; Conclusions et
recommandations du Comité contre la torture, Qatar (CAT/C/QAT/CO/1) 25 juillet 2006 ; Page 2, Paragraph 10
5 Examen des rapports presents par les états parties conformément à l’article 19 de la convention, Rapports initiaux des
états parties attednus en 2000, Additif, Qatar (CAT/C/58/Add.1) 5 Octobre 2005; introduction, page 4
6 National Human Rights Committee, rapport annuel 2008, http://www.nhrcqa.
org/ar/files/downloads/NHRC%20Annual%20Report%20-%20A%20-%202008.pdf
7 Tristan Bruslé, Au Qatar, visages des soutiers de la croissance, Rue 89, 7 juillet 2008,
http://www.rue89.com/2008/07/07/au-qatar-visages-des-soutiers-de-la-croissance
8 Confédération syndicale internationale (CSI), 2007, Rapport annuel des violations des droits syndicaux,
http://survey07.ituc-csi.org/getcountry.php?IDCountry=QAT&IDLang=FR
9 Compte rendu analytique de la première partiede la 710e séance du 10 mai 2006, CAT/C/SR.710 du 22 mai 2006.
10 idem.
L’Etat du Qatar a acquis son indépendance le 3 septembre 1971. Il est dirigé par l’émir Cheikh
Hamad bin Khalifa Al Thani, qui a renversé son père Khalifa bin Hamad Al Thani en 1995. L'émir
est chef de l'Etat et s'appuie sur la famille Al Thani pour diriger le pays. Traditionnellement, il doit
tenir compte de l’avis d’un conseil consultatif (Madjliss Al-Choura) composé de notables qu’il
choisit et de personnalités religieuses.
Sous son émirat, de nombreux changements sociaux et politiques ont été introduits. En 2003, le pays
adopte par référendum une nouvelle Constitution qui est entrée en vigueur le 09 juin 2005. Celle-ci
prévoit notamment la création d’un Parlement de 45 membres, dont deux tiers sont élus au suffrage
universel et un tiers désigné par l’émir et qui doit l’assister dans l'élaboration de sa politique. Celui-ci
n’a cependant toujours pas été mis en place et l’émir continue à exercer l’essentiel des pouvoirs.
Même si les libertés d’association, de culte ainsi que l’indépendance du pouvoir judiciaire sont
garanties, les partis politiques restent interdits.
Le Qatar entretient des liens étroits avec les Etats-Unis. Dès le 23 juin 1992 a été signé un accord de
coopération de défense qui offre des facilités aux forces militaires américaines sur le territoire qatari.
En décembre 2002, peu avant l'invasion de l'Irak par les forces multinationales, un tiers des effectifs
du CentCom (détachement du centre de commandement militaire américain de Tampa) a été
stationné sur la base militaire d’As-Sayliyah. Le 11 décembre 2002, un accord de coopération
militaire relatif à l’utilisation de la base aérienne d’Al-Udeïd a été signé par les deux pays. Ces deux
bases avaient été construites par les Américains dont la présence militaire au Qatar dans la guerre
contre l'Irak a été déterminante. Chaque année a lieu l’exercice militaire interarmées Eagle Resolve
piloté par les Etats-Unis. Le Qatar y participe avec les autres pays membres du Conseil de
coopération des Etats arabes du Golfe. Des rapports font état de l'existence au Qatar de prisons
secrètes gérées par les services secrets américains (CIA).(1)
Malgré le fait que le Qatar n'avait pas jusqu'à cette date connu d'attentats, il a en 2002 promulgué une
loi dite de "protection de la société" (loi 17/2002), puis adhéré à la Convention des États du Conseil
de coopération du Golfe pour la lutte contre le terrorisme de 2004 et adopté la même année une loi
nationale antiterroriste. Après l'attentat du 19 mars 2005, l'Etat a ratifié 9 des 12 instruments
juridiques internationaux de lutte contre le terrorisme.
Très soucieux du rôle que le Qatar peut jouer sur le plan régional et international, Cheikh Hamad Al-
Thani multiplie les initiatives dans le domaine diplomatique, culturel, médiatique et sportif. Il aurait
ainsi déclaré : « il est plus important d’être reconnu au Comité international olympique (CIO) qu’à
l’Organisation des nations unies. Tout le monde respecte les décisions du CIO ».(2) Ceci étant, l'Etat
qatari a pris certaines mesures dans le but de promouvoir le respect des droits de l'homme. Il a ratifié
certains traités internationaux et créé en 2002 une institution nationale des droits de l'homme. Un
département des droits de l’homme au sein du ministère de l’Intérieur a été créé conformément à la
résolution n°26 de 2005. La traite d'enfants est interdite par la loi 22 promulguée en 2005.
L'économie qui repose à 80% sur les recettes des hydrocarbures s'appuie sur une forte main-d'oeuvre
étrangère qui constitue environ 75% de la population de l'émirat estimée à 1,6 million d'habitants. La
plupart des travailleurs sont originaires du sous-continent indien et de pays arabes ; ils ne sont pas
suffisamment protégés par la loi et font face à des discriminations. C’est le cas des employés de
maison en particulier. Le pays compte aussi plusieurs centaines de personnes déchues de leur
nationalité.
2. Quelques observations sur le système judiciaire
Selon l’article 130 de la Constitution qatarie: «Le pouvoir judiciaire est indépendant et est exercé
dans différents tribunaux qui rendent des jugements conformément à la loi.» Selon l’article 131 de la
Constitution: «Les juges sont indépendants et ne sont soumis dans leur décision à aucune autre
autorité que celle de la loi.» Un des problèmes toutefois est qu'une partie du personnel judiciaire est
composée de non nationaux sous contrat qui peuvent à tout moment être révoqués en raison de leur
statut de séjour. Cette précarité ne leur permet pas d'exercer leur fonction de manière sereine et en
toute indépendance et pourrait constituer une limite au principe de l’inamovibilité du juge.
La Convention du Conseil de coopération des États arabes du Golfe sur la lutte contre le terrorisme
de 2004 à laquelle a adhéré le Qatar ainsi que la loi nationale contre le terrorisme promulguée la
même année définissent le terrorisme en des termes très larges et vagues susceptibles de restreindre,
d’interdire ou de réprimer les droits légitimes à la liberté d’expression, d’association et de réunion.
Le Code de procédure pénale prévoit que les personnes mises en détention doivent être inculpées ou
remises en liberté dans les quarante-huit heures. Cette détention sans inculpation peut toutefois être
prolongée par le procureur général pendant 16 jours avant la présentation devant un juge.
Cependant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme deux lois ont été promulguées. D’abord, la
Loi n° 17 de 2002 sur la "protection de la société" prévoit dans son article 1er que "le ministre de
l'intérieur, dans les crimes liés à la sûreté de l'État ou d'attentat à la pudeur ou la moralité publique,
peut décider la détention d’un prévenu s’il existe de fortes présomptions contre lui, sur rapport qui
sera présenté par le Directeur général de la sûreté générale". L'article 2 prescrit que "la durée de la
détention est de deux semaines prorogeable une ou plusieurs fois sans pouvoir excéder une période
totale de 06 mois au maximum avec le consentement du président du Conseil des ministres. La durée
de la détention peut être doublée en cas de crime lié à la sécurité de l'Etat." La durée totale de la
détention peut donc atteindre, en vertu de cette loi d’exception, une période de deux années.
La loi antiterroriste de 2004 confirme ces dispositions. Aucun recours devant un tribunal n'est
possible lorsque les décisions sont prises en application de ces deux lois qui légalisent la détention
arbitraire et au secret et ouvrent la porte à toutes sortes d'abus. Les prévenus n'étant pas placés sous
le contrôle de la loi, ils sont à la merci de leurs geôliers. Les personnes détenues au titre de ces lois
d'exception ne peuvent contester leur détention et n'ont pas accès à un avocat. Si ces lois ne sont pas
souvent appliquées, le fait même qu'elles soient effectives permet leur application.
L’article 36 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être soumis à la torture ou à un traitement
dégradant. La torture est un délit punissable par la loi ». Le Code pénal de 2004 ne prévoit cependant
pas une disposition particulière pour réprimer ce crime.
Le Code de procédure pénale considère qu'il est illégal de soumettre une personne accusée d’une
infraction pénale à la torture ou à des mauvais traitements: "Nul ne peut être arrêté ou emprisonné si
ce n’est en vertu d’un mandat délivré par les autorités compétentes et dans les circonstances prévues
par la loi. Ces personnes doivent être traitées avec le respect dû à la dignité humaine et ne peuvent
pas être soumises à des mauvais traitements physiques ou psychologiques. Les agents des forces de
l’ordre doivent les informer de leur droit de garder le silence et de prendre contact avec une personne
de leur choix."(3) Selon l’article 232 du même code: "Aucune valeur n’est accordée à une déclaration
dont il est établi qu’elle a été obtenue sous la contrainte ou la menace."
Le Comité contre la torture remarque dans ses Observations finales : '"Il n’existe pas de définition
complète de la torture dans le droit interne qui corresponde à celle formulée par l’article premier de
la Convention. Les références à la torture dans la Constitution ou aux actes de cruauté et aux actes
qui causent un préjudice dans d’autres textes du droit interne, notamment le Code pénal et le Code de
procédure pénale, sont imprécises et incomplètes." L'organe onusien recommande une définition qui
notamment "devrait veiller à ce que tous les actes de torture soient érigés en infractions pénales et
que des sanctions appropriées soient prévues pour leurs auteurs".(4)
Dans leur rapport initial, les autorités confirment : "A la suite de l’adhésion de l’État du Qatar à la
Convention, celle-ci a acquis force de loi de sorte qu’elle peut être invoquée devant les tribunaux
dans tout cas de violation de ses dispositions. Conformément à l’article 68 de la Constitution
permanente de l’État du Qatar et à l’article 24 de la Loi fondamentale provisoire, telle qu’elle a été
modifiée, un traité acquiert force de loi dès l’instant où l’État l’a ratifié ou y a adhéré."(5)
Le Qatar n'a cependant pas prévu de dispositions légales internes interdisant expressément
l'expulsion, le refoulement ou l’extradition d’une personne vers un autre Etat où il y a des motifs
sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la pratique de la torture comme le stipule l'article 3
de la Convention contre la torture. Par ailleurs, le droit interne ne prévoit pas de dispositions légales
relatives à l’octroi de l'asile ou du statut de réfugié au Qatar.
3. Détentions arbitraires, mauvais traitements
Les lois nationales de procédure pénale garantissent un cadre légal aux poursuites et fixent les limites
de la détention dans le cadre de la garde à vue ainsi que la faculté pour un membre du parquet
général de visiter et de contrôler les lieux prévus légalement pour servir à la détention situés dans le
ressort de leur juridiction.
L’article 40 de la loi n°23/2004 portant Code de procédure pénale dispose : "Aucune arrestation ou
détention ne peut être ordonnée que par une autorité compétente et dans les cas prévus par la loi".
L’article 43 du même code précise que le prévenu doit être présenté devant le parquet général dans
les 24 heures et que ce dernier dispose du même délai pour l’entendre, et que, suite à cette audition,
le prévenu sera soit libéré soit placé en détention préventive.
Cependant, les personnes arrêtées au titre des lois d'exception, et en particulier en vertu de la loi dite
de Protection de la société, ne bénéficient pas de la protection que le législateur entend leur donner
dans le cadre des dispositions du Code de procédure pénale.
Celles-ci sont généralement arrêtées et interrogées par les services de renseignements. Elles sont
détenues pour une période indéterminée dans les locaux de la sécurité d'Etat qui ne sont ni placés
sous l’autorité du ministère de la Justice, ni prévus comme un lieu de détention pouvant faire l’objet
de mesures de contrôle et de surveillance par le parquet général, comme prévu par l’article 395 du
Code de procédure pénale. Les personnes détenues dans ces conditions n’ont aucune possibilité de
recours devant une autorité judiciaire ou autre.
Alkarama a présenté ces dernières années des cas de personnes arrêtées et détenues au secret pour
une période de plusieurs mois sans avoir été présentées devant un magistrat ni avoir fait l’objet
d’aucune procédure légale. Le 30 mai 2006 notre organisation avait saisi le Groupe de travail sur la
détention arbitraire des cas de Mohamed Jassem Seif Salem et Ibrahim Aissa Hadji Mohamed Al
Baker, arrêtés les 7 et 9 janvier 2006 et libérés sans jugement le 19 septembre 2006.
Abdullah Mohamed Salem Al Souidane, Fahd Djadie Rached Al Mansouri, Khaled Saïd Fadl Rached
Al Bouainine et Naïf Salem Mohamed Adjim Al Ahbabi, on été arrêtés entre novembre 2005 et
janvier 2006, puis libérés le 22 juin 2006. Ces quatres personnes n'ont jamais fait l’objet d’une
quelconque procédure judiciaire. Ils n’ont pas eu accès à un avocat ou à une procédure légale de
recours pour contester la légalité de leur mise en détention et ignorent les raisons légales pour
lesquelles ils ont été détenus pendant toute cette période. Ce n’est qu’après plusieurs mois de
détention au secret que leurs proches ont pu commencer à leur rendre visite.
Alkarama a également soumis le 31 mai 2006 au Groupe de travail le cas de Monsieur Hamed Alaa
Eddine Chehadda, de nationalité jordanienne qui résidait et travaillait au Qatar. Il avait été détenu au
secret pendant 3 mois avant d’avoir été autorisé à voir son épouse. Il a été libéré 19 mois après son
arrestation sans avoir fait l’objet d’une procédure judiciaire ou été présenté devant un magistrat.
Après sa libération, il a fait l’objet de mesures restrictives, bien qu’aucune procédure légale n’ait été
initiée contre lui. Il lui a été signifié en particulier l’interdiction de voyager.
Abdullah Ghanim Khowar et Salem Hassen Al-Kuwari, tous deux arrêtés par les services de
renseignement le 27 juin 2009, n’ont pas, à ce jour, été présentés devant un magistrat pour être
entendus ou éventuellement inculpés. Ils n’ont toujours pas la possibilité de contester la validité de
leur mise en détention et n’ont pu entrer en contact avec un avocat ; leurs parents ignorent les motifs
de leur arrestation.
Le Comité national des droits de l'homme a constaté que durant l'année 2007, 3 personnes avaient été
arrêtées sur la base de la loi dite de protection de la société. Leur statut ne serait pas connu. Le
Comité national a ainsi demandé aux autorités que tous les détenus sur la base de cette loi soient
libérés ou présentés à la justice.(6)
Une trentaine de personnes ont été arrêtées entre 1995 et 2000 dans le cadre de l’enquête sur la
tentative de coup d’état organisée par le père de l’Emir actuel parmi lesquelles 18 ont été
condamnées à mort en mai 2001. Depuis, l’Emir déchu a, après un exil de quelques années en
Europe, été autorisé à rentrer dans son pays où il vit actuellement. Les deux principaux auteurs de la
tentative avortée, Bakhit Marzouq al Abdallah et Sheikh Hamad bin Jassem bin Hamad al Thani, qui
avaient également été condamnés à mort ont été graciés par l’émir et libérés en 2005. 28 autres
personnes, ayant joué parfois un rôle secondaire dans cet événement, restent à ce jour détenues.
4. Les citoyens qataris déchus de leur nationalité
Un code régissant la nationalité a été promulgué en 2005 (Loi No 38/2005). Des pouvoirs très
étendus en matière d’octroi, de déchéance ou de réintégration de la nationalité qatarie sont attribués à
l’émir par cette loi. L’article 11 l’autorise notamment à déchoir tout citoyen de sa nationalité dans
certains cas, en particulier lorsque celui-ci s’est engagé dans des forces étrangères ou dans une
institution ou une organisation qui porte préjudice à l’organisation sociale, économique ou politique
du pays.
Les personnes naturalisées jouissent de moins de protection encore puisque la nationalité du pays
peut leur être retirée à tout moment même sur simple proposition du ministre de l’Intérieur s’il
estime cette mesure conforme à l’intérêt général (Art.12 in fine). L’inégalité des citoyens qataris
d’origine et naturalisés est instituée par la loi, puisque ces derniers ne jouissent pas des mêmes droits
que les nationaux d’origine, quelque soit l’ancienneté de leur naturalisation ; ils ne peuvent
notamment être ni électeurs, ni éligibles.
La déchéance de nationalité peut revêtir une forme collective comme dans le cas de la tribu Al
Ghufrane, une branche de la grande tribu arabe des Al Merra qui nomadisait historiquement dans
l’Est et le nord-est de la péninsule arabe sur les territoires actuels du Qatar et de l’Arabie Saoudite.
927 chefs de famille représentant 5266 personnes ont été privés de leur nationalité par décision du
ministre de l’intérieur du 01 octobre 2004, chiffre d’autant plus significatif s’il est rapporté à la
population totale du pays. Certains membres de la tribu Al Ghufrane ayant pris fait et cause pour le
père de l’émir actuel lors de sa destitution suivie de la tentative de coup d’état avorté, cette mesure a
été interprétée par certains observateurs comme une sanction collective.
Concrètement, les fonctionnaires, hommes ou femmes, ont été révoqués sans préavis, les enfants
exclus de la scolarité et l’ensemble des familles privées de sécurité sociale et des avantages sociaux
dont ils bénéficiaient (logements, soins médicaux gratuits, autorisation de conduire un véhicule etc.)
et sommées de régulariser leur situation avec les autorités en tant qu’étrangers.
Si de nombreux cas ont été régularisés depuis et les familles concernées réintégrées dans leurs droits
par les autorités, plusieurs centaines de personnes restent cependant à ce jour privées de nationalité.
5. Les violations des droits des migrants
Trois quarts de la population du Qatar sont des travailleurs immigrés en provenance du Pakistan, de
l'Inde, du Népal, du Bangladesh, des Philippines, de l'Indonésie, mais aussi du Soudan, de l'Egypte et
de la Syrie, etc. Le plus grand nombre travaille dans le secteur de la construction. Les conditions de
travail sont très difficiles. Les candidats doivent au préalable verser une somme au recruteur pour
lequel ils s’engagent à travailler environ un an pour pouvoir rembourser l'emprunt contracté. Ils
disposent de contrats de travail de trois ans.(7) Ils sont, de par le système de parrainage instauré, à la
merci de leurs employeurs, dont certains les exploitent, les menacent de détention, les sous-paient,
leur confisquent leurs documents de voyages, les privent de leur salaire, leur interdisent de
démissionner ou de changer de travail et de quitter le pays sans autorisation, etc. Ces travailleurs
vivent dans des conditions d’hébergement déplorables et ne bénéficient pas d’une couverture sociale
adéquate.
Le non-paiement des salaires a poussé les travailleurs étrangers à organiser des grèves et des sit-in
malgré les restrictions en matière de droit de grève et de rassemblement. "En mars 2006, par
exemple, 1 500 ouvriers népalais d’une entreprise de construction ont arrêté le travail. Ils protestaient
contre des arriérés de deux à six mois de salaire, et contre des déductions de salaire pour frais de
visa. Le 4 novembre 2006, 2.000 ouvriers de la construction arrêtaient le travail et réclamaient des
augmentations de salaires et de meilleures conditions de travail."(8)
Les travailleurs immigrés ne peuvent s'organiser dans des syndicats. Lorsque des révoltes éclatent,
les protestataires sont expulsés. Selon la délégation qatarie intervenant lors de l'examen du rapport
initial par le Comité contre la torture, le ministre de l’Intérieur a un pouvoir discrétionnaire pour
déterminer les circonstances dans lesquelles une expulsion peut être nécessaire – mais ce sont les
tribunaux qui prononcent la décision, qui peut aussi concerner les membres de la famille de la
personne considérée comme un danger pour la nation.(9)
Pourtant la délégation relève aussi: "En ce qui concerne la protection accordée par la législation du
Qatar aux étrangers, la Constitution établit clairement que les non ressortissants sont admis à
bénéficier de la même protection que les Qatariens et que tous sont égaux devant la loi, sans aucune
discrimination."(10)
6. Recommandations
- Instaurer des réformes politiques dans le sens d’une réelle participation des citoyens dans la vie
publique du pays ; mettre en place le Parlement prévu par la Constitution et procéder aux élections
au suffrage universel pour désigner les 2/3 des membres éligibles.
- Consacrer le principe de l’inamovibilité des juges en l’étendant à tous les magistrats du pays , y
compris les magistrats étrangers sous contrat, pour assurer une réelle autonomie de la justice.
- Abroger les législations d’exception et en particulier la loi n°17 de 2002 sur la "protection de la
société".
- Prendre les mesures nécessaires pour lutter contre les situations d’apatridie conformément à la
Convention sur la réduction des cas d’apatridie du 30 août 1961.
- Conformément au principe de l’égalité des citoyens en droits et en devoirs (art.34 de la
Constitution), faire bénéficier du droit de grâce la totalité des personnes condamnées en mai 2001 à
la suite de la tentative du coup d’état de 1995.
Sur le plan normatif :
- L’Etat devrait envisager de ratifier le Pacte International relatif aux droits civils et politiques.
- L’Etat devrait intégrer dans la législation interne le crime de torture tel que défini par l’article 1er de
la Convention contre la torture, instituer des peines appropriées pour le réprimer, lever les réserves
relatives aux article 21 et 22 et envisager de ratifier le Protocole facultatif.
Notes de bas de page
1 Jane Mayer, The Secret History of America’s, “Extraordinary Rendition” Program, The New Yorker 14 février 2005.
2 Journal du dimanche, Paris, 15 février 2004, cité par Pascal Boniface, De la chaîne Al-Jazira à la promotion du sport, Le Qatar se veut un modèle pour le Golfe, Le Monde diplomatique, juin 2004.
3 Article 40 du Code de procédure pénale cité dans le rapport initial présenté au Comité contre la torture en 2005.
(CAT/C/58/Add.1) 5 octobre 2005.
4 Examen des rapports présentés par les états parties en application de l’article 19 de la convention; Conclusions et
recommandations du Comité contre la torture, Qatar (CAT/C/QAT/CO/1) 25 juillet 2006 ; Page 2, Paragraph 10
5 Examen des rapports presents par les états parties conformément à l’article 19 de la convention, Rapports initiaux des
états parties attednus en 2000, Additif, Qatar (CAT/C/58/Add.1) 5 Octobre 2005; introduction, page 4
6 National Human Rights Committee, rapport annuel 2008, http://www.nhrcqa.
org/ar/files/downloads/NHRC%20Annual%20Report%20-%20A%20-%202008.pdf
7 Tristan Bruslé, Au Qatar, visages des soutiers de la croissance, Rue 89, 7 juillet 2008,
http://www.rue89.com/2008/07/07/au-qatar-visages-des-soutiers-de-la-croissance
8 Confédération syndicale internationale (CSI), 2007, Rapport annuel des violations des droits syndicaux,
http://survey07.ituc-csi.org/getcountry.php?IDCountry=QAT&IDLang=FR
9 Compte rendu analytique de la première partiede la 710e séance du 10 mai 2006, CAT/C/SR.710 du 22 mai 2006.
10 idem.