MAROC : LES NATIONS UNIES CONCLUENT À LA RESPONSABILITÉ DU MAROC DU FAIT DES TORTURES SUBIES PAR MOHAMED HAJIB

Mohamed Hajib

Le Comité contre la torture des Nations Unies, initialement saisi par Alkarama le 30 octobre 2018, a reconnu la responsabilité de l’État marocain du fait des tortures subies par Mohamed Hajib à la suite de son arrestation et de sa condamnation pour de prétendus actes terroristes à dix ans de prison sur la seule base d’aveux extorqués sous la torture.

Par sa décision, rendue au cours de la 74ème session (12-29 juillet 2022), le Comité a exhorté le Maroc à entreprendre une enquête approfondie sur les tortures subies tout en garantissant à M. Hajib une réparation appropriée.

Arrestation et tortures lors de la garde à vue

Arrêté au Pakistan, M. Hajib, de nationalité allemande et marocaine, a été détenu 6 mois puis a été libéré après avoir été blanchi de tout soupçon. Il s’est alors rendu à Francfort où il a été accueilli à son arrivée le 17 février 2010 par la police allemande et interrogé sur ses intentions de voyage. Il a alors expliqué qu’il comptait d’abord rendre visite à un proche en Hollande. Il a alors subi des pressions des policiers allemands qui sont allé jusqu’à l’aider à acheter un billet d’avion pour qu’il se rende sans plus attendre au Maroc.

M. Hajib a ainsi été arrêté dans la nuit du 17 au 18 février 2010 à l’aéroport de Casablanca dès sa descente de l’avion par des agents de la Direction de la surveillance du territoire (DST) avant d’être immédiatement transféré au commissariat d’El Maarif. Il y a subi des actes de torture durant sa garde à vue de 12 jours au terme de laquelle il a été contraint de signer un procès-verbal de police qu’il n’a même pas été autorisé à lire.

Le 24 juin 2010, M. Hajib a comparu devant le tribunal et a été condamné à 10 années d’emprisonnement à la suite d’un procès expéditif. Les juges se sont contentés de se référer intégralement aux procès-verbaux de la police sans tenir compte des déclarations de l’accusé devant le juge d’instruction et devant le tribunal relatant la torture subie lors de sa garde à vue. Sa peine a néanmoins été réduite en appel à 5 ans de prison.

Torturé en prison

Le 16 mai 2011, M. Hajib a participé à un mouvement de protestation mené à la prison de Salé par plusieurs centaines de détenus contre le caractère inéquitable de leurs condamnations. Accusé d’être à l’origine de ces troubles, les autorités carcérales l’ont torturé avant de le transférer à la prison de Toulal où les sévices ont perduré. Il a notamment été battu sur différentes parties du corps provoquant une perforation de son tympan droit ainsi qu’une fracture du nez.

Pendant 15 jours, les autorités ont maintenu M. Hajib en détention au secret qui n’a pris fin que le 31 mai 2011 suite à l’intervention des autorités consulaires allemandes. Ces dernières ont d’ailleurs fait part aux autorités marocaines de leur inquiétude sur la situation de leur ressortissant.

Transféré en 2012 à la prison de Tiflet où il est resté détenu jusqu’à sa libération le 18 février 2017, M. Hajib a en mai 2016 dénoncé une nouvelle fois le caractère arbitraire de sa détention en revêtant une tenue orange comparable à celle portée par les prisonniers de Guantanamo.

En réponse à ce geste, M. Hajib a de nouveau fait l’objet d’actes de torture et de mauvais traitements de la part des gardiens de prison. Il a notamment été brûlé au niveau du dos à l’aide d’une barre de fer incandescente alors qu’il était maintenu sur le lit de sa cellule pieds et poings liés et les yeux bandés, et ce, en présence de hauts responsables de l’administration pénitentiaire.

Aucune enquête n’a été ouverte sur les allégations de torture exprimées par M. Hajib comme le prévoit pourtant la loi interne et la Convention contre la torture ratifiée par le Maroc. Au contraire, il a même été condamné à deux années de prison supplémentaires en raison de sa participation au mouvement de protestation des détenus de Salé.

Le cas de M. Hajib soumis au Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires

Saisi par Alkarama, le Groupe de travail sur la détention arbitraire (GTDA) avait rendu un Avis en date du 28 février 2012 dans lequel la détention de M. Hajib avait été qualifiée d’arbitraire dès lors qu’il existait une grave violation de ses droits à un procès juste et équitable.

Les sévices subis par M. Hajib qualifiés d’actes de tortures au sens de la Convention

A la suite de sa libération M. Hajib a de nouveau mandaté Alkarama pour saisir le Comité contre la torture de l’ONU lequel a reconnu que les mauvais traitements qui lui ont été infligés pendant toute la durée de sa détention sont constitutifs de torture au sens de la Convention ratifiée par le Maroc en 1993.

A l’occasion de cette affaire, les experts onusiens ont également exprimé leurs préoccupations quant à l’admissibilité par les tribunaux marocains des aveux extorqués sous la torture.

Le Comité a donc exhorté le Maroc à prendre « immédiatement des mesures concrètes pour enquêter sur les actes de torture, et poursuivre et punir leurs auteurs, ainsi que de prendre toutes mesures nécessaires pour garantir que les condamnations pénales soient prononcées sur la foi de preuves autres que les aveux de l’inculpé, notamment lorsque l’inculpé revient sur ses aveux durant le procès ».

Violation des droits fondamentaux et absence de recours efficaces

L’organe onusien a également reconnu la violation des droits fondamentaux de M. Hajib, dont entre autres, son droit d’accès à un avocat et à une assistance médicale, son droit d’être informé des chefs d’accusation retenus contre lui et son droit d’informer sa famille. Les experts indépendants ont indiqué que M. Hajib n’a pas bénéficié́ de voies de recours efficaces pour contester la torture et les mauvais traitements dont il a été victime.

Manquement du Maroc à son devoir de surveillance

Le Comité a rappelé qu’en vue d’éviter tout acte de torture il incombe à l’État partie d’exercer une surveillance systématique lors de la garde à vue mais également lors du traitement des détenus sur l’ensemble du territoire marocain.

Dans le cas d’espèce, le Comité a relevé qu’« en l’absence d’informations probantes de la part de l’État partie susceptibles de démontrer que toute la période de détention du requérant – et surtout sa garde à vue – a en effet été́ placée sous sa surveillance, et en l’absence de tout élément de preuve quant au traitement effectif des plaintes du requérant », le Maroc a failli à son devoir de surveillance.

Absence d’enquêtes et droit à la réparation

Les experts ont jugé que le classement sans suite des trois enquêtes concernant les déclarations de tortures de M. Hajib sans audition de ce dernier ni d’expertise médicale est incompatible avec l’obligation qui incombe à l’État partie, au titre de l’article 12 de la Convention, de veiller à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été́ commis. En agissant ainsi, le Maroc a privé M. Hajib de la possibilité́ de se prévaloir de son droit à réparation.

Le Comité contre la torture de l’ONU a donc fait droit à la demande de M. Hajib en reconnaissant les actes de tortures qu’il a subis. En conséquence, l’Etat partie a été exhorté à ouvrir une enquête impartiale et approfondie et à sanctionner les auteurs de ces actes tout en accordant une indemnisation appropriée à M. Hajib du fait des violations subies.

Le Comité a demandé à recevoir des informations

Le Maroc dispose d’un délai de quatre-vingt-dix jours pour informer le Comité des mesures qu’il prendra pour donner effet à la décision.

Dans le cadre de la procédure de suivi instituée par l’organe onusien relativement à la plainte individuelle, Alkarama accordera une importance particulière à la mise en œuvre de cette décision afin de s’assurer que les droits des victimes et de leurs proches, reconnues également comme victimes, ainsi que leur dignité soient finalement rétablis.

La situation des droits de l’homme au Maroc sera examinée lors de son prochain examen périodique (EPU) par le Conseil des droits de l’homme prévu le 11 novembre 2022 à Genève.