Maroc : Le cas de Mohamed Attaoui, militant écologiste, soumis au Rapporteur spécial sur le droit à l’environnement

Cédraie MAROC

Le 22 août 2023, Alkarama s’est adressé au Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’environnement concernant le cas de M. Mohamed ATTAOUI, militant des droits de l’homme et écologiste engagé, victime de représailles et d’actes d’intimidation de la part des autorités locales et régionales de Midelt (Moyen-Atlas) depuis qu’il a dénoncé la contrebande du bois de cèdre dans les communes rurales de la région. 

Dénonciation de la contrebande du bois de cèdre 

Originaire de la commune de Tounfite, M. ATTAOUI, technicien assermenté des collectivités locales, préside l'Association « Avenir pour le cèdre et le mouflon » depuis sa création en 2006, et lutte pour préserver la cédraie de l’Atlas (sud-est Maroc), patrimoine national forestier s’étendant sur des milliers d’hectares et menacé d’extinction en raison de coupes illégales. 

Cette exploitation effrénée dont M. ATTAOUI est le témoin depuis de nombreuses années est régulièrement dénoncée par la population locale. Les habitants de la commune de Sidi Yahya Ou Youssef, village situé dans la province de Midelt, où une grande partie de la cédraie a été anéantie n’ont eu de cesse de dénoncer ce massacre écologique qu’ils vivent au quotidien. 

Dans la nuit du 11 au 12 février 2010, plusieurs camions transportant chacun plusieurs dizaines de stère de bois de cèdre abattu illégalement ont traversé leur commune au vu et au su de tous. 

Devant les protestations exprimées par les habitants, la gendarmerie de Tounfite s’est finalement résolue à arrêter un seul de ces camions et dressé un procès-verbal pour déferrer le chauffeur devant le procureur du roi. 

Dans un article en date du 16 février 2010 paru dans le quotidien arabophone local « Al Monataf », M. ATTAOUI a rapporté ces faits en dénonçant ceux qu’il a qualifiés de « mafia du cèdre » et le silence des autorités locales. En parallèle, son association, « Avenir pour le cèdre et le mouflon », a publié un rapport sur les conséquences écologiques de ce trafic et a manifesté sa volonté de se constituer partie civile dans le procès du chauffeur de camion arrêté quelques jours auparavant. 

Arrestation de M. ATTAOUI 

Le 8 mars 2010, soit vingt jours après la publication de son article et trois jours avant le procès au cours duquel M. ATTAOUI devait représenter son association, il a été arrêté sans mandat de justice sur la voie publique par plusieurs gendarmes. 

Brutalisé et menotté les mains derrière le dos, M. ATTAOUI a été accusé d’avoir détenu de la drogue et a directement été conduit à la brigade de Tounfite avant d’être emmené, tout à fait illégalement dans un véhicule civil au commissariat de police de Midelt distant de 90 km. 

Placé en garde à vue, il a été interdit de contacter ses proches et son avocat n’a pu lui rendre visite que le 12 mars 2010. Par ailleurs, aucun des commissariats de Tounfite et de Midelt n’ont reconnu sa détention lorsque son épouse a cherché à le voir. A l’issue de sa garde à vue, il a été forcé d’apposer son empreinte digitale sur un procès-verbal antidaté de la gendarmerie selon lequel l’arrestation aurait eu lieu à Midelt la veille aux alentours de 19 heures. 

Le lendemain, lors de sa présentation devant le procureur du roi, il fût stupéfait de découvrir qu’il était accusé en réalité d’ « offense au roi », de « faux », d’ « extorsion » et d’ « escroquerie » alors même qu’il avait été initialement interpellé sous prétexte de possession de stupéfiants. 

Devant le Procureur du Roi, M. ATTAOUI a tenté en vain d’expliquer les véritables motifs de son arrestation en précisant qu’il avait été forcé de signer le procès-verbal en y apposant son empreinte. Déféré devant le tribunal de première instance de Midelt le 19 mars 2010 M. ATTAOUI a été condamné à deux ans de prison ferme et 20 000 dirhams de dommages et intérêts pour avoir prétendument extorqué 1 000 dirhams (90 euros) à son collègue de travail obligé de témoigner contre lui. 

Après avoir interjeté appel de cette décision, le 13 juin 2010, après plusieurs reports d’audiences, sa peine a été réduite à une année de prison ferme et 10 000 dirhams de dommages et intérêts. 

Pendant sa période d’emprisonnement, M. ATTAOUI a été plusieurs fois victime de tortures. Il a notamment été frappé par plusieurs agents pénitenciers à l’aide d’un tuyau de caoutchouc sur les différentes parties de son corps, a été maintenu dans des positions extrêmes pendant plusieurs heures avec les yeux bandés, et suspendu au plafond par les pieds. 

Suspension de ses fonctions et nouvelle condamnation 

Après avoir purgé la totalité de sa peine, M. ATTAOUI n’a pas été réintégré dans ses fonctions et ce n’est que le 1er septembre 2012 qu’il a été officiellement suspendu, par arrêté du président de la localité de Tounfite, de ses fonctions de technicien. 

Sans emploi ni ressource pour subvenir aux besoins de sa famille, M. ATTAOUI a cependant continué à militer et à dénoncer publiquement la contrebande du bois de cèdre et le silence des autorités locales. C’est la raison pour laquelle, le 21 janvier 2013, il a été convoqué par le Procureur du Roi qui entendait cette fois le poursuivre pour « usurpation de fonction » alors même qu’il n’exerçait alors aucune fonction. 

Déféré devant le juge d’instruction, il a de nouveau été placé sous mandat de dépôt, et, le 14 février 2013, il a été condamné encore à dix mois de prison ferme pour “exercice d’une fonction publique sans y être habilité” sur le fondement de l’article 262 du Code pénal, le tribunal ayant considéré ses déplacements dans la forêt comme illégales. 

Au cours de ce nouveau procès, M. ATTAOUI a tenté de faire valoir qu’il faisait l’objet de représailles et qu’il a été suspendu de ses fonctions en raison de ses dénonciations des atteintes à la cédraie locale. Il a remis des vidéos et des photos au tribunal pour le sensibiliser sur l’ampleur des dommages causés à la forêt de cèdres. En dépit des arguments de la défense, le juge a néanmoins refusé d’entendre les témoins et d’examiner les vidéos et les enregistrements démontrant les atteintes graves portées à la cédraie locale. 

Pendant sa deuxième période d’emprisonnement, M. ATTAOUI a été constamment maintenu dans des conditions particulièrement difficiles et a été interdit de tout contact avec le monde extérieur, à l’exception de sa famille. 

Son affaire ayant été médiatisée et sa situation dénoncée par plusieurs ONG, il a alors été interdit de tout contact avec ces ONG sous peine d’être emmené au cachot. 

Le Rapporteur spécial saisi du cas 

Dans son premier rapport soumis au Conseil des droits de l’homme, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement soulignait que les droits de l’homme et l’environnement étaient interdépendants. Selon cette interdépendance un environnement sûr, propre, sain et durable est nécessaire à la pleine jouissance de toute une série de droits de l’homme et, réciproquement, l’exercice des droits de l’homme est indispensable pour protéger l’environnement. 

Dans sa plainte, Alkarama a démontré que les violations subies par M. ATTAOUI sont en contravention avec les obligations du Maroc relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable. 

En effet, en exposant M. ATTAOUI à des poursuites pénales et administratives alors même qu’il est du devoir du Maroc de s’acquitter pleinement de ses obligations relatives aux droits de l’homme, tel que la liberté d’expression, qui s’exerce dans le domaine de l’environnement, l’État a failli à son devoir de protection. 

Alkarama a souligné que la nature disproportionnée de la peine à laquelle M. ATTAOUI a été condamné pour avoir prétendument soutiré à un collègue une somme pourtant insignifiante reflète en réalité la volonté des autorités marocaines de le punir pour s’être exprimé publiquement au sujet du trafic du bois de cèdre. 

En l’espèce, M. ATTAOUI a été arrêté à titre de représailles pour avoir pacifiquement usé de son droit à la liberté d’expression et son droit d’association garantis par les articles 19 et 20 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que les articles 19 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 

L’État marocain a non seulement manqué à son devoir de veiller à ce que les droits de M. ATTAOUI soient protégés mais il a également ouvert la voie aux violations à son égard en recourant à ces représailles en réponse à l’exercice de ses droits. En s’abstenant d’ouvrir une enquête rapide et impartiale sur les violations subies par M. ATTAOUI, l’État marocain l’a également privé de son droit à un recours effectif. 

Pour ces raisons, Alkarama a appelé le Rapporteur spécial sur le droit à l’environnement à enjoindre le Maroc de mettre un terme à toute forme de représailles à l’encontre de M. ATTAOUI en raison de ses activités de défenseur de l’environnement, de le réintégrer dans la totalité de ses droits de fonctionnaire, d’initier une enquête rapide et impartiale sur les violations dont il a été victime et de sanctionner les auteurs. 

Alkarama a également invité le Rapporteur spécial à appeler les autorités marocaines à prendre des mesures urgentes pour lutter efficacement contre tout trafic de bois de cèdre et protéger ainsi la cédraie du Maroc tout en fixant une date définitive relative à la visite acceptée le 14 avril 2021 et restée en suspens depuis, en y incluant notamment une visite de la cédraie marocaine dans la région de Midelt.