Jordanie: La démocratie doit encore attendre 10 ans

Le Comité des droits de l'homme a procédé les 13 et 14 octobre 2010 à l'examen du quatrième rapport périodique de la Jordanie. Les experts ont partagé les principales préoccupations d'Alkarama tant sur la question des violations de droits de l'homme les plus graves que sur les dysfonctionnements sur le plan normatif. Notre organisation avait contribué au processus d'examen en présentant un rapport alternatif et en participant au briefing entre ONG et experts du Comité.

Durant le briefing qui a précédé l'examen du rapport jordanien par le Comité des droits de l'homme, Alkarama a fait part de ses principales préoccupations et des derniers développements sur la situation des droits de l'homme dans le pays. Le centre Amman pour les droits de l'homme a également participé à cette rencontre. Cette réunion a été l'occasion d'apporter aux experts des informations récentes sur les derniers développements sur le terrain.

Une forte délégation jordanienne a pris part à l'examen du quatrième rapport périodique, qui - rappelons le - a été présenté avec plus de dix ans de retard. Cette délégation, présidée par le Dr. Malek Twal, secrétaire général du ministère du développement politique, comprenait notamment M. Shehab A. Madi, ambassadeur de la mission permanente auprès des Nations-Unies et M. Maher Alshishani, colonel de la Direction de la sécurité publique. Plusieurs experts du Comité ont déploré l'absence de représentants de l'Institution nationale des droits de l'homme qui n'a pas non plus collaboré à l'élaboration du rapport national. M. O'Flaherty, l'un des experts, a aussi relevé l'absence de transparence dans la nomination des membres de cette institution.

La majorité des experts ont soulevé la question des lois d'exception et du rôle des services de sécurité en particulier dans le cadre de la lutte antiterroriste. Le Comité a demandé si les avocats ou justiciables ont la possibilité d'invoquer directement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques devant les juridictions nationales. La délégation jordanienne a précisé que dans 160 affaires, les juges auraient appliqué directement le pacte de leur propre initiative pour fonder leurs sentences. Un membre du Comité, M. Bhagwati, a exprimé ses préoccupations quant à l'indépendance de la Cour de sûreté de l'Etat et sur ce point, un autre expert s'est interrogé sur l'indépendance de la justice en particulier après la décision unilatérale de mise à la retraite d'office  de quatre juges de la Cour suprême, connus pour leur compétence et leur probité. Il est nécessaire de rappeler que cette destitution déguisée avait soulevé de vives protestations dans le milieu de la magistrature et des avocats jordaniens.

Lorsque M. Lallah, expert du Comité, a abordé la question de la torture et l'utilisation d'aveux soutirés par la force, en particulier devant la Cour de sûreté de l'Etat, la délégation a catégoriquement nié ces pratiques en dépit des exemples concrets rapportés et documentés par plusieurs ONG parmi lesquelles Alkarama.

Soucieux de démontrer que les abus de membres de forces de sécurité sont systématiquement poursuivis et sanctionnés, le colonel Maher Alshishani, de la Direction de la sécurité publique, a insisté sur le fait que des 26 plaintes pour mauvais traitements déposées au bureau des plaintes (maktab al-madhalim) de sa direction, une dizaine ont été portées devant la justice. Il n'a cependant pas informé des suites judiciaires et quel était le sort des 16 autres plaintes.

Les experts ont également relevé le grave problème de la détention administrative en Jordanie que la délégation a d'ailleurs reconnu. Elle a justifié cette pratique par la nécessité de contenir les manifestations populaires, en particulier lors de l'attaque israélienne sur Gaza qui risquaient, selon le Dr. Malek Twal, de porter atteinte à la sécurité de l'ambassadeur d'Israël. Des efforts seraient toutefois entrepris pour limiter la détention administrative et ouvrir des enquêtes sur les abus commis. Selon le chef de la délégation, des dysfonctionnements du système existent encore mais qu'en 2020 la Jordanie sera une démocratie.

Il est à relever que malgré les questions précises du Comité sur un nombre important de violations, la délégation est restée la plupart du temps évasive, de sorte que les experts souvent ont été contraints de réitérer leurs questions sans toutefois obtenir des réponses satisfaisantes.