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أبو فرج الليبي

Le 29 novembre 2022, Alkarama a soumis le cas de Mustafa Faraj Mohammad Masud AL JADID AL UZAYBI (également connu sous le nom de « Abu Faraj AL LIBI ») au Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA). Ce ressortissant libyen est détenu arbitrairement au centre de détention de Guantánamo Bay depuis son transfert d’un « site noir » de la CIA le 4 septembre 2006.

Arrêté le 2 mai 2005 au Pakistan par les forces spéciales pakistanaises, AL JADID AL UZAYBI a été remis aux forces américaines, après quoi il a fut maintenu dans des « sites noirs » par la CIA en Afghanistan et en Roumanie et où il fut torturé au point de perdre l’ouïe.

Depuis son transfert à Guantánamo en tant que « détenu de grande valeur » en septembre 2006, il n’a pas été en mesure de contester véritablement la légalité de sa détention et s’est vu refuser les soins médicaux appropriés.

Il a été qualifié par le personnel médical de l’armée américaine de « détenu le plus gravement handicapé de la base navale de Guantánamo », en raison des tortures et des mauvais traitements qui lui ont été infligés par les forces américaines au cours des deux dernières décennies.

Même après la fin des hostilités en Afghanistan et malgré une évaluation psychiatrique par un psychiatre militaire américain selon laquelle il ne représentait aucune menace, sa demande d’être transféré dans un pays sûr pour retrouver sa famille et recevoir des soins de santé appropriés a été rejetée à plusieurs reprises.

Aujourd’hui, cette communication envoyée par Alkarama au GTDA reste l’un des derniers recours à la disposition d’AL JADID AL UZAYBI.

Disparitions forcées et torture dans le cadre du programme de restitutions de la CIA

Soupçonné d’être associé à al-Qaïda, AL JADID AL UZAYBI fut arrêté le 2 mai 2005 à Mardan (nord du Pakistan) par les forces spéciales pakistanaises et a été remis en dehors de toute procédure, à la CIA. Après son transfert extrajudiciaire, il disparut pendant un an et demi, emmené par la CIA d’un « site secret » à un autre, y compris en Afghanistan et en Roumanie.

Alors qu’il était détenu dans ces sites secrets, AL JADID AL UZAYBI a été soumis à la torture infligée par des agents de la CIA sous la forme de « techniques d’interrogatoire renforcées ». Le gouvernement des États-Unis a officiellement reconnu avoir soumis AL JADID AL UZAYBI à au moins les actes suivants : « (1) manipulation alimentaire, (2) nudité, (3) prises brutales, (4) murage, (5) prise faciale, (6) gifle faciale ou gifle insultante, (7) gifle abdominale, (8) confinement exigu, (9) position debout prolongée pieds attachés au sol (10) positions stressantes prolongées (11), simulation de noyade et (12) privation de sommeil (plus de 48 heures) ».

À la suite de tortures, AL JADID AL UZAYBI a développé plusieurs problèmes de santé et handicaps, y compris une « perte auditive sévère dans les deux oreilles » (perte de 100 % dans l’oreille gauche et de près de 50 % dans l’oreille droite).

Le 4 septembre 2006, il fut emmené au camp de détention de Guantánamo Bay, où il est détenu depuis lors, sans inculpation ni jugement. Alors qu’AL JADID AL UZAYBI est actuellement détenu sous la juridiction du gouvernement américain, Alkarama a déposé une plainte contre les États-Unis ainsi que contre le Pakistan et la Roumanie, également conjointement responsables de l’arrestation arbitraire, de la disparition forcée et de la torture d’AL JADID AL UZAYBI.

Une situation « kafkaïenne » où l’État de droit perd tout son sens…

Vingt ans après le 11/9, le centre de détention de Guantánamo Bay continue de détenir des détenus au mépris des droits humains fondamentaux. Malgré les promesses faites, les demandes réitérées de fermeture, y compris par la Haut-Commissaire aux droits de l’homme et les experts indépendants des Nations Unies (ONU) au fil des ans, sont restées lettre morte.

Le cas d’AL JADID AL UZAYBI est un exemple frappant de ce que les experts de l’ONU ont appelé une « situation kafkaïenne où l’état de droit n’avait aucun sens et où le pouvoir coercitif et brutal de l’État l’emportait ».

AL JADID AL UZAYBI est arrivé à Guantánamo le 4 septembre 2006, alors qu’il était transféré d’un site noir en Roumanie. Il était considéré par la CIA comme un « détenu de grande valeur » (High Value Detainee), car il était soupçonné d’être associé à al-Qaïda et de « constituer une menace pour les États-Unis ou leurs alliés ».

Le 8 février 2007, AL JADID AL UZAYBI a été présenté, pour la première fois, au « Combatant Status Review Tribunal » (CSRT), autorité administrative agissant sous le contrôle de l’exécutif. Le CSRT était chargé de procéder à un examen administratif superficiel pour déterminer si les détenus étaient des « combattants ennemis » et s’ils devaient être présentés devant une commission militaire.

Cependant, à la suite de ce premier processus d’examen, le CSRT n’a pas inculpé AL JADID AL UZAYBI ni ne l’a pas autorisé à être libéré. Au cours de ce processus, il n’a pas été assisté d’un avocat, mais a été désigné par un « représentant personnel » — un responsable militaire sans le statut et les privilèges d’un avocat — pour le représenter pendant la procédure. 

Le 18 août 2016, dix ans après son examen par le CSRT, AL JADID AL UZAYBI est devenu éligible à son premier examen par le Conseil d’examen périodique (Periodic Review Board – PRB), une autre autorité administrative composée exclusivement de membres des agences de sécurité exécutives. Elle a été créée pour examiner si le maintien en détention de certaines personnes détenues à Guantánamo restait « nécessaire pour protéger la sécurité des États-Unis contre une menace importante et continue ».  
N’ayant pas été assisté d’un avocat, il n’a pas été en mesure de contester de manière significative la légalité de sa détention, ni même les allégations des autorités américaines, qui reposent en grande partie sur des déclarations faites par des inconnus ou sur des déclarations faites par d’autres détenus de la CIA sous la torture.

Depuis lors, le PRB n’a cessé d’approuver sa détention sans toutefois se prononcer sur sa légalité, y compris après la dernière audience qui a eu lieu en août 2022, et au cours de laquelle il a été pour la première fois assisté par des avocats.

Le 11 mai 2009, une requête en habeas corpus a été déposée en son nom après qu’il eut pu rencontrer un avocat privé pour la première fois et contester la légalité de sa détention devant le tribunal fédéral de district du District de Columbia. Toutefois, son recours devant la Cour du District de Columbia est toujours pendante plus de 13 ans après la présentation initiale de l’assignation, dépassant largement tout « délai raisonnable ».

Aujourd’hui, la détention d’AL JADID AL UZAYBI n’a pas de fin en vue. Près de 20 ans après son arrestation, les autorités américaines n’ont jamais produit un seul témoin ou preuve matérielle à charge justifiant le maintien en détention d’AL JADID AL UZAYBI.

Un maintien en détention injustifiable, en vertu du droit international et du droit américain

Alkarama a souligné que, si la détention d’AL JADID AL UZAYBI était de toute façon illégale au regard du droit international, elle était également sans fondement même sous la doctrine américaine justifiant la détention sous le droit de la guerre. Selon la doctrine des États-Unis, la détention continue d’un « combattant ennemi », sans procès, serait justifiée en vertu de l’autorisation d’utilisation de la force militaire (AUMF) adoptée par le Congrès en réponse aux attaques du 11 septembre 2001.

Ces détentions étaient fondées sur la seule raison que les “combattants ennemis”, comme AL JADID AL UZAYBI, pouvaient être détenus sans inculpation afin d’empêcher leur retour sur le champ de bataille, et jusqu’à la « fin des hostilités ».  

Cependant, cela ne s’applique plus depuis la décision de l’ancien président Trump de retirer les troupes américaines d’Afghanistan et de signer un accord avec les talibans mettant fin aux hostilités. Son successeur à la Maison-Blanche, le président Joe Biden, a proclamé le 31 août 2021 que « la nuit dernière à Kaboul, les États-Unis ont mis fin à 20 ans de guerre en Afghanistan ».

Il s’ensuit nécessairement que, même en vertu de la doctrine restrictive américaine du maintien en détention en vertu du droit de la guerre, et a fortiori en vertu des normes du droit international des droits de l’homme, la détention illimitée d’AL JADID AL UZAYBI est manifestement dépourvue de tout fondement juridique.

Malgré cela, le PRB a décidé, après le dernier examen de sa détention, que « le maintien en détention du détenu en vertu du droit de la guerre reste nécessaire pour se protéger contre une menace importante et continue pour la sécurité des États-Unis ».
 
Le PRB a justifié sa décision en une brève phrase en rappelant la prétendue et longue histoire d’AL JADID AL UZAYBI avec al-Qaïda, y compris des rôles de leadership, sans pouvoir développer ou prouver de telles affirmations et l’inculper en conséquence, après près de 20 ans de détention arbitraire. Aujourd’hui, la situation d’AL JADID AL UZAYBI équivaut à une détention illimitée, ce qui constitue en soi une forme de torture.

Dans ses observations, Alkarama a demandé aux experts indépendants de l’ONU de reconnaître arbitraire la détention d’AL JADID AL UZAYBI et d’exhorter les États-Unis à prendre les mesures nécessaires pour le libérer et assurer son transfert vers un pays tiers conformément à l’article 3 de la Convention contre la torture et à lui accorder une réparation pour les dommages résultant des sévères violations subies.

Alkarama a demandé au GTDA d’appeler les États-Unis à prendre des mesures concrètes pour mettre fin à la détention illimitée sans procès à Guantánamo Bay et réhabiliter les détenus comme AL JADID AL UZAYBI qui n’ont jamais été inculpés, notamment en leur permettant de retourner dans leurs familles et de recevoir des soins appropriés.