Égypte : l'occasion pour le Parlement de mettre fin à l'état d'urgence - au moins 188 personnes toujours détenues et de nouveaux cas devant les tribunaux d'urgence

(Londres, 30 mai 2012) - Le nouveau parlement égyptien a l'occasion de clore un chapitre violent de l'histoire récente en mettant fin à toutes les mesures liées à la loi d'urgence dont la prolongation actuelle expire le 31 mai 2012, ont déclaré aujourd'hui Alkarama et Human Rights Watch.L'Assemblée du peuple ne devrait pas seulement laisser la loi tomber en désuétude, mais devrait également adopter une mesure législative qui mettrait un terme à toutes mesures exceptionnelles qui n'expireraient pas automatiquement avec la loi, ont conseillé Alkarama et Human Rights Watch. Celle-ci devrait exiger que le ministre de l'Intérieur libère tous les détenus dans le cadre de la loi d'urgence ou les défère à des procureurs pour inculpation, et que le procureur public transfère tous les procès de la Cour suprême de sûreté de l'État (ESSC) à des tribunaux civils réguliers.

« Le Parlement égyptien devrait s'assurer que cet état d'urgence, la marque de fabrication de l'état policier violent d'Hosni Moubarak, soit sans avenir, » a déclaré Joe Stork, adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Le Parlement devrait également ouvrir une enquête approfondie sur les violations des droits humains qui se sont multipliées sous la loi d'urgence, et le procureur public devrait s'assurer que les principaux responsables de la torture et des disparitions forcées systématiques fassent l'objet de poursuites. »
L'Égypte était en état d'urgence depuis 1981. La levée de celui-ci était exigée depuis longtemps par l'opposition égyptienne et était la principale requête des manifestants lors du soulèvement de janvier 2011. Les mécanismes internationaux de protection des droits humains ont condamné la loi d'urgence à maintes reprises.
Le 17 mai, le comité des droits de l'homme de l'Assemblée du peuple a demandé la levée de l'état d'urgence au plus tard le 31 mai, n'autorisant pas de prolongation supplémentaire, et mettant fin à la détention administrative et aux procès devant les cours de sûreté sous cette loi. Le 29 mai, lors d'une conférence de presse, Mohamed Morsy, candidat aux présidentielles et membre du parti Liberté et Justice a déclaré : « Nous ne reviendrons pas à l'état d'urgence, nous n'en avons pas besoin... Les lois en place sont suffisantes. »

L'état d'urgence d'Égypte a été renouvelé la dernière fois par Moubarak, en mai 2010, neuf mois avant son éviction de la présidence. Le 24 janvier 2012, le dirigeant militaire d'Égypte, Field Marshal Hussein Tantawy, a publié un décret limitant l'application de la loi d'urgence aux cas de « violences », imitant la revendication dépourvue de sens de Moubarak en mai 2010 pour limiter l'application de la loi d'urgence au terrorisme et aux crimes en rapport avec la drogue. En effet, les autorités ne sont pas tenues de présenter des preuves à une autorité judiciaire, cela n'a aucun sens de dire qu'elle sera utilisée pour une catégorie particulière de détenus ou en rapport avec un crime spécial, ont déclaré Human Rights Watch et Alkarama.
« Lever l'état d'urgence a été l'une des recommandations principales des entités de protection des droits de l'homme des Nations Unies depuis 20 ans, » a affirmé Rachid Mesli, directeur du département juridique de la Fondation Alkarama. « Il est grand temps que le peuple égyptien vive en étant protégé par l'État de droit, sans exception. »

Malgré les promesses début 2011 de mettre un terme à l'état d'urgence et de libérer les détenus dans le cadre de la loi d'urgence, le Conseil suprême des forces armées (SCAF) est revenu à l'utilisation de la loi d'urgence. Le ministre de l'Intérieur détient actuellement au moins 188 personnes au nom de cette loi.
Les procès devant la ESSC créés en vertu des articles 7 à 12 de la loi d'urgence (loi No 162 de 1958) ont également continué, et le procureur public a déféré au moins six nouvelles affaires en 2011 et 2012 à ces tribunaux, ont déclaré Alkarama et Human Rights Watch. Au moins huit cas sont toujours traités par les cours de sûreté de l'État. En surveillant les procès devant ces tribunaux, Human Rights Watch a trouvé une régularité des juges à ne pas enquêter correctement sur les allégations de torture et à ne pas rejeter les confessions obtenues sous la torture, ainsi qu'une interdiction aux accusés de recevoir un accès adéquat aux avocats en dehors de la salle d'audience.

Deux des affaires impliquent des incidents de violences à caractère religieux, deux d'espionnage présumé et une de violence lors d'une manifestation. Le 21 mai, lors de la condamnation la plus récente, un tribunal de sûreté d'État a condamné 12 accusés à la prison à vie, en acquittant huit autres, en connexion avec un incident de violence d'origine religieuse en avril 2011 dans la province de Minya qui avait entraîné la mort de deux personnes.
« Le procureur public devrait demander le transfert de toutes les affaires des Cours de sûreté d'État à des tribunaux criminels réguliers pour un nouveau procès, » a communiqué Stork. « Il est inacceptable qu'il y ait toujours en Égypte des tribunaux qui n'offrent aucun droit d'appel, une garantie fondamentale de procès équitable. »
Le 4 juin 2011, le procureur public a déféré 48 personnes arrêtées après un épisode de violence à l'église d'Imbaba au Caire, durant lequel 12 personnes ont trouvé la mort, pour être jugées devant la Cour de sûreté de l'État. La prochaine séance de leur procès est prévue pour le 2 juin. En octobre 2011, les procureurs de sûreté de l'État ont fait la même chose pour 76 personnes arrêtées en connexion avec l'attaque du 9 septembre sur l'ambassade israélienne du Caire. Le procès des 25 accusés de la « cellule Zeitoun, » accusés d'être membres d'une organisation terroriste qui s'est ouvert le 14 février 2010 est toujours devant la Cour de sûreté de l'État. Dans trois de ces affaires au moins, les avocats de la défense soutiennent que l'article 19 de la loi d'urgence autorisant les procès à continuer après la fin de l'état d'urgence est anticonstitutionnel. Les juges ont renvoyé l'article 19 à la Cour constitutionnelle pour révision.

Le 29 mars, le SCAF a publié le décret numéro 1 de 2012 dans lequel il a nommé des juges au bureau de sûreté de l'État pour un an, jusqu'à mars 2013, en citant la loi d'urgence dans le préambule. Le fait que ce décret reste en vigueur suggère que le SCAF n'a aucune intention de mettre fin à l'état d'urgence, ou au moins de fermer les tribunaux d'urgence fin mai, et qu'il y a un besoin d'intervention législative du Parlement, ont déclaré Human Rights Watch et Alkarama.
La loi d'urgence autorise le ministère de l'Intérieur à détenir des personnes sans chef d'accusation ou de procès pour des périodes indéfinies. Le contrôle judiciaire par les Tribunaux de sûreté fourni par la loi s'est avéré inefficace en pratique, depuis que le ministère de l'Intérieur a régulièrement ignoré les injonctions du tribunal de libérer les détenus. Alkarama et Human Rights Watch ont connaissance de 188 cas de personnes détenues actuellement sous la loi d'urgence (une liste de 91 noms de détenus apparaît ci-dessous).
Dans une affaire typique, au sud de la ville d'Assiout, un rapport de police datant du 24 octobre 2011 demande la détention d'Abd al Rahim Abd al Rahman en vertu de la loi d'urgence en tant que « mesure dissuasive et pour le bien de la sécurité publique. » Le ministère de l'Intérieur a lancé un ordre de détention dans le cadre de la loi d'urgence numéro 1803/6 du 24 octobre 2011, ordonnant la détention d'al Rahman.

Alkarama a présenté deux affaires dans lesquelles la police avait arrêté des hommes pour avoir bu de la bière et les avait ensuite mis en détention dans le cadres de la loi d'urgence. Le fils de Gamal Amin, 55 ans, arrêté le 12 décembre 2011 a déclaré que la police avait accusé son père de « possession de bière, » bien que cela ne soit pas un crime pour la loi égyptienne. Le procureur local a ordonné sa libération le jour même. Mais, le 18 décembre, des employés du ministère de l'Intérieur ont donné un ordre de détention et Amin est toujours emprisonné à la prison de Wadi el Gedid. Dans la seconde affaire, la police de Mallawi a arrêté Zakarya Ghali Rizkallah, 64 ans, le 15 décembre et l'a accusé de « boire de la bière. » Le procureur a ordonné sa libération le 18 décembre, mais des employés du ministère de l'Intérieur ont donné un ordre de détention le 19 décembre et il a été replacé dans la prison de Wadi el Gedid.
Le SCAF (Conseil des Forces Armées) a également utilisé l'état d'urgence pour justifier davantage de restrictions sur la liberté d'association et le droit de grève. Le 12 avril 2011, le SCAF a approuvé la Loi No 34 de 2011 « sur la criminalisation des attaques sur le droit de travailler et sur les installations publiques » qui pénalise les appels et la participation à la grève et aux manifestations qui « entravent les travaux publics » s'ils ont lieu « pendant l'état d'urgence. » Une fois que l'état d'urgence expire, cette loi ne sera plus en vigueur, ont affirmé Human Rights Watch et Alkarama.
Parmi les entités internationales pour les droits de l'homme qui ont demandé l'abrogation de la loi d'urgence en Égypte, le Comité des Nations Unies contre la torture a spécifié dans ses observations finales de 2002 concernant l'Égypte qu'« [un] état d'urgence entravant la consolidation complète d'un État de droit en Égypte, est en vigueur depuis 1981. » À la suite d'une visite en Égypte en 2009, le rapporteur spécial de l'ONU sur la lutte contre le terrorisme a également rappelé aux autorités égyptiennes qu'« état d'urgence ne justifie pas une action qui est en violation des normes impératives du droit international, telle que l'interdiction de toute privation arbitraire de liberté. »

Dans un rapport demandant à la nouvelle Assemblée du peuple de faire un certain nombre de réformes légales hautement prioritaires, Human Rights Watch a recommandé que toute nouvelle déclaration d'un état d'urgence doive avoir lieu seulement « si une urgence menaçant la vie de la nation se pose » et qu'elle doive être strictement limitée temporellement et géographiquement aux exigences de la situation. Human Rights Watch a également déclaré que des limites sur les protections des droits de l'homme devraient être identifiées clairement et étroitement, strictement nécessaires et proportionnées. Un état d'urgence, et toute mesure adoptée sous celui-ci devraient être sujets à un contrôle judiciaire, avec des juges ayant la possibilité d'invalider des mesures qui sont disproportionnées ou qui ne sont plus nécessaires pour répondre à une urgence.
« La loi d'urgence a été utilisée par la police de Moubarak et leur a permis de "faire disparaître" et de torturer des milliers d'Égyptiens dans les dernières décennies, » a informé Mesli. « Le Parlement égyptien devrait complètement mettre un terme à toutes ces mesures exceptionnelles et reconnaître qu'une réelle sécurité viendra seulement avec un meilleur maintien de l'ordre et un terme aux violences par les officiers d'application des lois. »

Pour plus de rapports de Human Rights Watch sur l'Égypte, rendez-vous sur :
http://www.hrw.org/middle-eastn-africa/egypt

Pour plus d'informations, veuillez contacter :
Human Rights Watch, au Caire, Heba Morayef (anglais, arabe, Français) : +20-122-381-0319; ou morayeh@hrw.org
Human Rights Watch, à Oslo, Joe Stork (anglais) : +1-202-299-4925; ou morayeh@hrw.org
Alkarama, au Caire, Ahmed Mefreh (arabe) : 20-100-985-0989; ou mefreh@alkarama.org

Liste des personnes actuellement détenues sous la loi d'urgence :
1. Ahmed Hussein Attiya Hamed Ahmed
2. Islam Hassan Mostafa Abdelrahim
3. Abdel Aty Mahmoud Abdel Atry
4. Saber Ali Mahmoud Hassan
5. Al Nokrashi Altaqi Al Sayed
6. Adel Ibrahim Aboul Magd Mahmoud
7. Hegazy Abdelhady Mohamed Abdel Samad
8. Essam Farghaly Mohamed Taha
9. Abdel Rahman Ahmed Hesham
10. Khaled Ahmed Hesham
11. Moahemd Asran Barbari
12. Abdallah Ali Abdallah Hussein
13. Abdel Rahim Abdel Rahman Abdel Rahim
14. Ayman Nasser Khalaf Abdel Rahim
15. Arafa Abdel rahim Hassan
16. Mohamed Nasr Shams
17. Ezz Saad Mostafa Ali
18. Mohamed Mohamed El Fateh Mahmoud
19. El Sayed Mohamed Ali Mohamed
20. Ahmed mohamed Ahmed Mohareb
21. Montasir Galal Rashed
22. Shaaban Fathi Dahi Gabr
23. Tarek Ali Abdelnaby Younis
24. Sayed Salah Zaki
25. Gehad Farag Abdel Salam Mabrook
26. Farag Mohamed Mostafa al Baghdadi
27. Mohamed Ali Selim
28. Essam Agab Ali Khalaf
29. Amr Fawqy Abdu Hassanein
30. Bassem Mohamed Abdel rahim Mohamed
31. Abdel Nasser Mohamed Ibrahim
32. Farag Mohamed Mostafa al Baghdadi
33. Fathi Khalaf Mohamed Marzaban
34. Sayed Fathi Abdel Ghaffar Said
35. Emad Thabet Salem Ali
36. Emad Morsi Mahmoud Morsi
37. Hamada Mahmoud El Sayed
38. Mohamed El Sayed Mabrook Hassan
39. Abdel Salam Mabrook Huseein
40. Ahmed Ali Abdel Halim Ibrahim
41. Mohamed Fahmy Ali Attiya
42. Hassan Aboul Nagd Hassan
43. Mohamed khater Youssef Mohamed
44. Karim Metwally Karim Mohamed
45. Mohamed Mohsin Anwar Hussein
46. Montasir Fawzy Zaki Ali
47. Hassan Marzouk Hussein Mohamed
48. Hamada Ahmed Mohamed Abdel Monim
49. Dhahi Abdallah Khalil El SAYed
50. Mostafa Ali Shaaban Mohamed
51. Sahri Noubi Amin Mohamed
52. Mumtaz Abdel Nasser Mahmoud Hassan
53. Ashraf Fathi Mohamed Abdel Gawad
54. Safwat Mahmoud Mohamed al Bahgi
55. Abou Zeid Jassem Ali Mohamed
56. Salome Mahmoud Ahmed
57. Ahmed Kotb Gaadan
58. Amin Fathy Mohamed Ahmed
59. Ahmed Atef Ahmed Omar
60. Mohamed Hassan Zaki
61. Mahmoud Mohamed Khalaf
62. Ahmed Sharkawy Jibril
63. Kilani Mohammed Ahmed
64. Ashraf Badr Khalil Mohammed
65. Gomaa Hamdy Jibril
66. Ahmed Sharkawi Jibril
67. Adel Muharram Mohamed Hassan
68. Hisham Mahmoud Ahmed Mahmoud
69. Rabiaa Ezzat Mohamed Bayoumi
70. Abdul Hadi Ramadan Mahmoud Hamid
71. Mahmoud Jaber Abdel-Hamid Abu Zayd
72. Abdel-Wahab Gad Ahmed
73. Amin Ahmed Mohamed Abdul Majeed
74. Emad Qyrany Ali Morsy
75. Romany Boqtor Abo yameen
76. Rifaat Fawzy Abdo
77. Zakaria Ghali Rizkallah
78. Mahmoud Ruby qurany Alsayed
79. Ahmed Mohammed Ahmed Mosaed
80. Alaa Alsayed Salem
81. Farhat Alsayed Salem
82. Reda Ismail Ibrahim Murad
83. Mohamed Yahya Fouad Abdel-Azim
84. Nageh Sayed Mansour Salem
85. Jamal Amin Dardir
86. Ashour Ali Hussein
87. Abdullah Ibrahim Mohammed Ali
88. Mohammed Ahmed Saber Mahmud
89. Gomaa Fathy Abdel Samie
90. Osama Thabet Salem
91. Emad Thabet Salem