Comité des droits de l'homme de l'ONU : L'Algérie condamnée dans l'affaire Abbassi Madani

Alkarama for Human Rights et Algeria-Watch, 21 juin 2007

Alkarama for Human Rights et Algeria-Watch ont pris connaissance des constatations rendues par le Comité des droits de l'homme de l'ONU au cours de sa 89ème session tenue à New-York du 12 au 30 mars 2007 dans l'affaire de la condamnation à 12 années de réclusion criminelle par le tribunal militaire de Blida de M. Abbassi Madani, et son assignation à résidence qui y a fait suite.

Le Groupe de travail de l'ONU sur la détention arbitraire avait déjà déclaré arbitraire la détention des principaux dirigeants du FIS dans un avis rendu le 3 décembre 2001 et avait demandé au gouvernement algérien "  de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation et la mettre en conformité avec les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ".

Aucune suite n'avait alors été donnée par l'Algérie à cet avis de l'ONU, suite à quoi la famille de M. Abbassi Madani, représentée par Maître Rachid Mesli, avait saisie le Comité des droits de l'Homme, organe de surveillance de la Convention internationale ratifiée par l'Algérie le 12 septembre 1989, considérant que sa condamnation par un tribunal militaire à la suite d'un procès manifestement inéquitable ainsi que son placement en résidence surveillée, constituaient une violation par l'Algérie de ses obligations internationales.

Le Comité des droits de l'Homme de l'ONU vient donc de faire droit à la plainte déposée à Genève le 31 mars 2003 au nom du président du FIS dissous.
 
Le Comité a examiné en particulier le fait que M. Abbassi Madani avait été jugé en 1992 par un tribunal militaire pour atteinte à la sûreté de l'Etat et au bon fonctionnement de l'économie nationale sans que L'Etat algérien n'ait alors justifié le recours à ce tribunal ni démontré que les tribunaux civils ordinaires ou " d'autres formes alternatives de tribunaux spéciaux ou de haute sécurité " n'étaient pas en mesure d'entreprendre ce procès. " Le Comité conclut que le procès et la condamnation de Abbassi Madani par un tribunal militaire relèvent une violation de l'article 14 du Pacte ".

Le Comité a également constaté que M. Abbassi Madani, qui avait été condamné à 12 années de prison, avait d'abord été libéré le 15 juillet 1997 pour être assigné à résidence le 1 septembre 1997 sans avoir été informé des raisons de cette assignation par écrit. Le comité considère également qu'" un déni de liberté a été commis entre le 1er septembre 1997 et le 1er juillet 2003 ", date à laquelle l'assignation à résidence a été levée.

Selon le Comité de l'ONU, cette  " détention revêt ainsi un caractère arbitraire et constitue donc une violation du Pacte " (paragraphe3, article 9).

Le fait d'avoir été assigné à résidence pendant près de six ans sans justification spécifique et sans possibilité d'examen judiciaire d'une part et d'avoir été privé d'accès à un défenseur et de la possibilité de contester la légalité de cette détention d'autre part représentent enfin, selon le Comité  une violation supplémentaire du pacte (paragraphe 4, article9).

Le Comité des droits de l'homme conclut que l'Etat algérien " est tenu d'assurer un recours utile à M. Abbasi Madani " et de " prendre des mesures appropriées pour faire en sorte qu'il obtienne une réparation appropriée y compris sous forme d'indemnisation. "
Enfin l'Instance Onusienne déclare que l'Etat algérien " est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent dans l'avenir " et demande à l'Etat partie de lui communiquer dans un délai de 90 jours des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à cette décision en l'invitant à la rendre publique.

Pour rappel:

Abbassi Madani (né en 1931) est l'un des fondateur et le président du Front islamique du Salut (FIS), parti agréé par le gouvernement algérien en 1989. A la veille des élections législatives en juin 1991 et après la victoire du FIS aux élections communales de 1990, le gouvernement envisageait de faire adopter une nouvelle loi électorale qui avait suscité la condamnation unanime des partis d'opposition algériens. En guise de protestation contre cette loi, le FIS a décidé d'organiser une grève générale accompagnée de sit-in sur les places publiques. Après quelques jours de grèves et de marches, la direction du FIS et le gouvernement ont convenu de mettre un terme à ce mouvement de protestation en échange d'une révision prochaine de la loi électorale. Cependant, le 3 juin 1991, le chef du gouvernement a été contraint de démissionner et les places publiques étaient prises d'assaut par l'armée algérienne qui a ouvert le feu contre les manifestants.

Le 30 juin 1991 Abbassi Madani a été arrêté au siège de son parti par des agents du DRS (Département du renseignement et de la sécurité) et présenté le 2 juillet 1991 devant un magistrat instructeur auprès du tribunal militaire pour être inculpé d' " atteinte à la sûreté de l'Etat " et " au bon fonctionnement de l'économie nationale ". Les avocats de Abbassi Madani ont contesté le bien fondé des poursuites ainsi que la régularité de l'instruction assurée par un magistrat militaire subordonné au parquet.

Lors du premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991 une majorité des sièges ont été remportés par des candidats du FIS, et dès le lendemain des résultats officiels, le procureur militaire avait fait part aux avocats de la défense de son intention de mettre fin aux poursuites contre Abbassi Madani. Mais le 12 janvier 1992 le Président de la République " démissionnait ", les élections législatives étaient annulées. Puis, le 9 février, l'état d'urgence a été proclamé, en mars, le FIS a été interdit et le 4 mars 1992, le tribunal militaire de Blida, en l'absence de Abbassi Madani, l'a condamné à 12 années de réclusion criminelle. Le pourvoi en cassation a été rejeté par la Cour suprême le 15 février 1993, rendant ainsi la condamnation pénale définitive.

Pendant sa détention à la prison militaire de Blida, Abbassi Madani a fait l'objet de nombreuses fois de mauvais traitements et de mesures particulièrement sévères, et en dépit de son état de santé préoccupant, il a été soumis pendant une très longue période à un isolement total et une interdiction de recevoir la visite de ses avocats et de sa famille.

Suite à des négociations avec les autorités militaires en juin 1995, il a d'abord été transféré dans une résidence réservée aux hauts dignitaires en visite en Algérie, mais n'ayant pas accepté de renoncer à ses droits politiques, il a de nouveau été emprisonné pendant deux ans dans la prison de Blida dans des conditions particulièrement sévères. Libéré le 15 juillet 1997 à la condition " qu'il se soumette aux lois en vigueur dans le cas où il aurait souhaité quitter le territoire national ", il a été assigné à résidence avec interdiction absolue de quitter son appartement à Alger. Cette assignation lui a été notifiée verbalement par des agents du DRS. Il n'a pas été autorisé à prendre contact avec un avocat ou à effectuer un quelconque recours judiciaire contre cette assignation à résidence qui n'a jamais été transmise par écrit.

En juillet 2003 au terme des 12 années de détention, l'assignation à résidence a été levée et Abbassi Madani a quitté peu après l'Algérie. Il aura passé plus de 24 années de sa vie en prison dont sept de 1954 à 1962 dans les prisons coloniales à la suite de sa participation dans le déclenchement de l'insurrection armée le 1er novembre 1954.