Alkarama a soumis son rapport au Conseil des droits de l’homme dans le cadre de l’Examen Périodique Universel de l’Arabie saoudite

UPR Saudi Arabia

Le 17 juillet 2023, Alkarama a soumis son rapport alternatif dans le cadre du prochain examen périodique universel (EPU) de l’Arabie saoudite. Courant 2024, l’Arabie saoudite sera examinée pour la quatrième fois le cadre de l'examen périodique universel par le Conseil des droits de l'homme. 

Le Conseil des droits de l'homme examine sur une base périodique le respect par chacun des 193 États membres des Nations unies de leurs obligations et engagements en matière de droits de l'homme.

A cette occasion, Alkarama a apporté sa contribution en soumettant son rapport dans lequel elle a évalué la situation des droits de l'homme dans l’État partie et exposé ces principaux sujets de préoccupation, dont entre autres, les atteintes à la liberté d'association et d'expression, la pratique systématique de la détention arbitraire et le recours à la torture et aux mauvais traitements.

1-    Atteintes à la liberté d'expression et d'association

Dans son rapport, Alkarama a souligné que la législation nationale criminalise la dissidence pacifique. En dépit des nombreuses recommandations formulées lors du précédent EPU pour lever les restrictions à la liberté d'expression et d'association et mettre fin aux persécutions et aux représailles, l’Arabie saoudite a procédé à l’arrestation de nombreux militants pacifiques et dissidents uniquement pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d'expression, de réunion et d'association. 

Alkarama a exprimé ses préoccupations concernant la situation des défenseurs des droits de l'homme et des usagers des réseaux sociaux qui restent sous étroite surveillance même à l'étranger. 

Depuis 2017, le nombre de journalistes et de blogueurs derrière les barreaux a plus que triplé. En vertu des lois antiterroristes et des lois sur la cybercriminalité, les journalistes peuvent être poursuivis pour avoir exprimé des commentaires critiques sous prétexte de "blasphème", d'"incitation au chaos", de "mise en danger de l'unité nationale" ou d'"atteinte à l'image et à la réputation du roi et de l'État". L'expression d'opinions en ligne est surveillée par des "brigades électroniques", très actives sur les réseaux sociaux pour repérer les dissidents en ligne, ce qui conduit à leur arrestation et à des poursuites pénales suivies de lourdes condamnations.

Alkarama a rappelé le cas d’Awad Al-Qarni, professeur de droit et éminent universitaire saoudien, arrêté par les services de renseignement (Mahabith) en 2017 lors de la vaste campagne de répression contre les religieux dissidents, les défenseurs des droits de l'homme, les journalistes et les hommes d'affaires. Accusé d'avoir utilisé les réseaux sociaux (Twitter et WhatsApp) pour diffuser des informations interprétées comme "hostiles" aux autorités royales saoudiennes, Al Qarni est arbitrairement détenu depuis son arrestation. Aujourd’hui, il risque la peine de mort uniquement pour avoir exprimé pacifiquement ses opinions dissidentes sur les réseaux sociaux.

2-    La pratique répandue et systématique de la détention arbitraire 

La pratique de la détention arbitraire reste systématique dans le pays. Encore une fois, les autorités ne montrent aucune réticence à recourir à la loi antiterroriste qui criminalise les critiques pacifiques. Les défenseurs des droits de l'homme et les dissidents pacifiques sont alors arbitrairement condamnés et détenus sur le fondement cette loi. 

Le cas de M. Mohammed Al-Qahtani illustre clairement le recours abusif à la loi antiterroriste. Figurant parmi les fondateurs de l'Association saoudienne des droits civils et politiques ( ACPRA) dissoute en 2013, il a été condamné à 10 ans de prison sous prétexte d’avoir « fourni de fausses informations à des sources extérieures », y compris aux  mécanismes de protection des droits de l'homme de l'ONU. 

Dernièrement, Alkarama s’était adressé au rapporteur spécial de l’ONU sur la torture pour exprimer ses préoccupations quant à sa situation après son transfert dans une section de la prison réservée aux détenus souffrant de troubles psychologiques.   

Dans son rapport Alkarama s’est également penché sur le "Programme Munasaha" lancé en 2007. Présenté par les autorités saoudiennes comme un programme de réinsertion et de réhabilitation des "terroristes" ayant purgé la totalité de leur peine d‘emprisonnement, ces centres proposent, selon le gouvernement, une thérapie et un traitement "consistant en des sessions psychologiques, sociales et religieuses visant à éradiquer les idéologies terroristes et extrémistes". Il appartient ainsi au ministère de l'Intérieur de déterminer si ces personnes peuvent être libérées ou non à l’issue du « programme » imposé.

Dans la pratique, ces centres permettent de maintenir arbitrairement de nombreux individus après qu’ils aient purgé leur peine, sans contrôle judiciaire, et sous prétexte qu'ils pourraient continuer à représenter une "menace" à l'avenir parce qu'ils pourraient continuer à avoir des opinions dissidentes après leur libération. Les centres Munasaha sont en réalité conçus pour contraindre les prisonniers politiques à exprimer une loyauté absolue envers l'autorité royale en échange de leur libération. 

3-    Le recours constant à la torture et aux mauvais traitements

Depuis le dernier EPU, de nombreux cas de torture et de mauvais traitements ont été documentés par Alkarama, démontrant un recours systématique à de telles pratiques pour arracher des aveux. De telles pratiques restent systématiques en particulier dans les locaux du Bureau des enquêtes et des poursuites publiques (BIPP) et des services de renseignement ("Al Mabahith"), ces derniers étant chargés d'enquêter sur les crimes "liés à la sécurité". 

Bien que l'Arabie saoudite ait accepté les recommandations visant à garantir que son cadre juridique applicable à la détention offre des garanties suffisantes contre la torture et les mauvais traitements en détention, aucune garantie de ce type n'a été mise en œuvre depuis. 

Alkarama a rappelé que le droit saoudien n’a toujours pas érigé la torture en infraction pénale ne garantissant donc pas son interdiction absolue. Des garanties telles que l'habeas corpus et l'exclusion des déclarations obtenues sous la torture n’existent pas dans la législation interne. 

Parmi les actes de tortures et de mauvais traitements documentés figurent, entre autres, les chocs électriques, les coups violents et la flagellation, la pendaison par les mains et les pieds, les coups sur la plante des pieds (falaqa), la privation de sommeil, de nourriture et de lumière, l'exposition à des températures extrêmes et le recours à l'isolement cellulaire prolongé.

Enfin, Alkarama a indiqué que l’absence de mécanismes indépendants de surveillance et de plainte dans les lieux de détention, placés sous l'autorité de l'exécutif, contribue également à l'impunité des auteurs d'actes de torture. 

Alkarama qui a émis de nombreuses recommandations concernant les différentes violations et manquements qu’elle a pu soulever dans sa contribution a notamment appelé l’Arabie Saoudite à :

1.    Modifier la loi sur la cybercriminalité et la loi antiterroriste afin d'abroger les dispositions qui criminalisent l'exercice pacifique du droit à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique ;

2.    Mettre fin à la pratique de la détention arbitraire et indéfinie dans les centres Munasaha et libérer toutes les personnes détenues au-delà de leur peine dans ces centres ;

3.    Définir et criminaliser la torture conformément à la Convention des Nations unies contre la torture ;

4.    Veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent l'objet d'une enquête efficace et que leurs auteurs soient poursuivis.