Algérie: Le Sous-Comité d’accréditation conclut au manque d’indépendance du Conseil national des droits de l’homme

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A la suite de son examen par le Sous-Comité d’accréditation (SCA) de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI) en mai 2018, le Conseil national des droits de l’homme (CNDH) algérien s’est vu attribuer le statut B, dénotant un manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.

Le SCA a pour mission d'évaluer la conformité des Institutions Nationales des Droits de l'Homme (INDH) aux critères énoncés par les Principes de Paris qui énumèrent une série de conditions auxquelles doivent se conformer les Institutions Nationales de protection et de promotion des Droits de l'Homme (INDH) afin de garantir leur indépendance et impartialité vis-à-vis des autorités étatiques ainsi qu'un fonctionnement efficace.

A l’issue de ces évaluations, les INDH totalement conformes à ces principes peuvent bénéficier du statut A, tandis que celles qui n'y sont que partiellement conformes se voient attribuer le statut B, voire le statut C pour celles qui ne sont pas du tout conformes. Les INDH dotées d’un « statut A » bénéficient de droits spéciaux leur permettant de participer de manière approfondie au système des droits de l’homme des Nations unies, ces dernières ayant notamment le statut d’observateur durant les sessions du Conseil des droits de l’homme.

Le CNDH algérien a été examiné suite à sa succession à la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme (CNCPPDH) laquelle avait également reçu un statut B à la suite de son examen par le SCA en mars 2009 en raison de son manque de conformité avec les Principes de Paris.

Préalablement à ce nouvel examen, la composition, l’organisation et le fonctionnement, ainsi que les modalités de désignation des membres de la nouvelle INDH algérienne avaient été fixés par la loi habilitante n°16-13 promulguée le 3 novembre 2016 suite à la dernière révision constitutionnelle. En dépit de cette réforme législative, le SCA a exprimé un certain nombre de préoccupations faisant écho au dernier rapport d’Alkarama soumis à l’attention du SCA en janvier 2018. Parmi les principales figurent d’une part la sélection des membres du CNDH et d’autre part l’absence d’impartialité de ce dernier dans l’exercice de son mandat.

Non-respect des critères d’indépendance, de mérite et de représentativité des membres du CNDH

Les principes de Paris imposent que les procédures applicables à la sélection, à la nomination et au renvoi des membres des INDH assurent l’indépendance de ces derniers non seulement vis-à-vis de l’exécutif, mais également des partis politiques.

Concernant le processus de sélection et de désignation des membres du CNDH, le SCA a estimé que « la procédure prévue par la loi n’est pas suffisamment ample et transparente » et ne permet pas « d’évaluer les mérites des candidats éligibles ». Le SCA a rappelé au CNDH qu’afin de s’assurer que les membres soient sélectionnés sur leur mérite et représentativité, il était nécessaire d’adopter « d’amples consultations et un processus participatif, lors de la soumission, le criblage et la sélection des candidats».

A ce titre, le rapport d’Alkarama avait souligné que sur les 38 membres du CNDH, quatre sont choisis directement par le président de la République, quatre députés par les présidents de deux chambres parlementaires ; huit issus d’institutions étatiques elles-mêmes composées de personnes choisies et nommées par l’exécutif. De plus, la présence de députés de la majorité présidentielle au sein de l’INDH disposant d’un droit de vote, nuit à l’indépendance de l’INDH vis-à-vis des partis politiques et du gouvernement. Enfin, les membres issus de la société civile sont désignés par un comité de sélection dont les membres sont eux-mêmes choisis et nommés par le président de la République.

Le SCA a ainsi rappelé dans ses conclusions qu’afin d’être pleinement conforme aux principes de Paris, le processus de sélection des membres du conseil « doit se faire au mérite et assurer le pluralisme, afin de garantir l’indépendance de l’INDH et de susciter la confiance de la population vis-à-vis de ses hauts responsables ».

Les garanties d’indépendance des membres ont également été jugées insuffisantes eu égard au fait que leur révocation « n’est pas décidée par une autorité indépendante » mais par l’assemblée plénière du CNDH, elle-même composée de membres d’institutions étatiques émanant de l’exécutif et de membres de partis politiques au gouvernement.

Manque d’impartialité et d’effectivité du CNDH dans l’exercice de son mandat

Selon les principes de Paris, l’impartialité des INDH dans la mise en œuvre de leurs mandats a pour objet d’assurer qu’elles puissent collaborer en toute confiance avec les acteurs de la société civile. La prise de mesures de promotion et de protection des droits fondamentaux des victimes de violations graves, constitue ainsi un élément essentiel pour évaluer de l’indépendance et de l’efficacité de ces institutions. A la lumière de ces principes, le SCA s’est déclaré « préoccupé de ce que les mesures décrites sont limitées et ne constituent pas un traitement adéquat de ces violations des droits humains ».

En effet, bien que le mandat du CNDH lui permet de « recevoir et d’étudier les requêtes sur toute atteinte aux droits de l’Homme et d’en saisir les autorités administratives concernées », le rapport d’Alkarama avait de son coté mis l’accent sur l’absence de suites données aux saisines faites par les familles de victimes de disparitions forcées commises durant la guerre civile. Ces dernières attendent du CNDH qu’il intervienne en vue de mettre en œuvre les recommandations émises par les organes de traités des Nations unies suite à des plaintes individuelles.

Par ailleurs, le SCA a attiré l’attention du CNDH sur un communiqué de presse publié le 6 mars 2018 par Algérie Presse Service, selon lequel: « La présidente du Conseil national des droits de l'homme (CNDH), Fafa Ben Zerrouki, a affirmé, mardi, que le dernier rapport d'Amnesty International sur la situation des droits de l'homme dans le monde, s'était basé, dans le volet réservé à l'Algérie, sur «des déclarations fallacieuses, dénuées de tout fondement».

Le SCA n’a pas été satisfait de l’explication fournie par le CNDH selon laquelle « les commentaires de la présidente, qui étaient initialement donnés en arabe, ont été déformés lorsqu'ils ont été traduits en français », après avoir constaté que le contenu de la citation était similaire dans les deux langues.

Sur le fondement de ces éléments, ainsi que d’autres éléments accentuant le problème du manque d’indépendance du CNDH vis-à-vis du pouvoir exécutif et des autorités gouvernementales, le SCA a recommandé que celui-ci soit accrédité du statut B estimant que les questions évoquées « doivent encore être résolues que le CNDH soit pleinement conforme aux exigences des Principes de Paris ».

Le rapport du SCA est disponible en français et en arabe. Pour plus d'informations ou une interview, veuillez contacter media@alkarama.org (Dir: +41 22 734 10 06).