Algérie: Le combat de l'épouse d'un disparu pour la vérité et la justice continue après plus de 21 ans de souffrance

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Le 26 mai 2016, Alkarama a soumis le cas de Boubekeur Fergani, victime de disparition forcée dans les années 1990 au Comité des droits de l'homme (CDH) de l'ONU. Ce professeur d'histoire père de cinq enfants avait été arrêté arbitrairement à son domicile à Constantine dans la nuit du 22 juin 1995 par une dizaine d'agents en tenue civile et militaire accompagnés d'un informateur cagoulé. Depuis cette nuit, sa famille ne l'a plus jamais revu.

Boubekeur Fergani a été enlevé dans le cadre d'une opération de grande envergure dans la ville de Constantine au cours de laquelle de nombreux militants et sympathisants du Front islamique du salut (FIS) étaient visés ; certains d'entre eux avaient été sommairement exécutés par les services de sécurité de sorte que le lendemain matin, de nombreux cadavres de victimes jonchaient certaines rues de Constantine et des environs.

L'épouse de la victime, qui l'a recherché en vain parmi les cadavres, n'a eu de cesse de demander que la lumière soit faite sur le sort de son époux. Quelques jours après son arrestation, celle-ci s'était rendue dans les casernes du DRS, les commissariats de police et les tribunaux de Constantine espérant obtenir des informations, en vain. Face au silence, l'épouse a formellement déposé une plainte pour enlèvement et séquestration auprès du Procureur, mais aucune enquête n'a jamais été ouverte.

Ce n'est que deux années plus tard que l'épouse de Boubekeur Fergani a été convoquée par la gendarmerie nationale de la brigade de Mansourah pour se voir notifier que les « recherches concernant la disparition de son époux n'avaient pas abouties ». A l'instar de nombreuses épouses et mères de disparus qui se heurtent au silence des autorités, Mme Fergani continue depuis plus de 20 ans à exiger la vérité sur le sort de son époux et à participer aux sit-in organisés par les associations de familles des victimes de disparitions forcées devant le siège local de la Commission Nationale Consultative pour la Protection et la Promotion des Droits de l'Homme (CNCPPDH) en dépit de la répression policière systématique de ces rassemblements.

« Je veux connaitre la vérité sur mon époux. S'il est vivant, je veux qu'il me revienne, s'il est mort, je veux pouvoir l'enterrer et faire le deuil. Un deuil sans mort, sans enterrement, ce ne veut rien dire, c'est impossible », affirme l'épouse de Boubekeur Fergani. « Après 21 ans de souffrance, on ne sait toujours rien, la douleur nous consume de l'intérieur comme un feu qui ne s'éteint pas. C'est la souffrance de toute une famille ; ses enfants et ses petits-enfants me demandent ce qu'il est advenu de lui et je ne sais pas quoi leur répondre. Sa mère de 90 ans ne vit que dans l'espoir de revoir son fils un jour. Notre souffrance ne saurait s'écrire et toutes les larmes ne sauraient l'exprimer. »

L'histoire de Boubekeur Fergani s'ajoute à celle des milliers de victimes enlevées entre 1992 et 1998 – entre 8'000 et 20'000 selon les sources – par les policiers et les militaires en Algérie et dont les familles sont restées sans nouvelles à ce jour. Depuis, les autorités algériennes ont toujours refusé de faire la lumière sur les circonstances de ces crimes et de traduire leurs auteurs en justice, se prévalant des dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale qui instaure une impunité généralisée au profit des auteurs de ces crimes.

Après avoir épuisé toute possibilité de recours en Algérie, l'épouse de la victime a mandaté Alkarama pour que le Comité des droits de l'homme soit saisi du cas de M. Fergani. Son enlèvement et sa disparition constituant des violations graves aux obligations de l'Algérie en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), la famille de la victime a demandé à ce que leurs droit à connaitre la vérité sur le sort de leur proche et à obtenir justice soit enfin respecté par les autorités algériennes.

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