10 avr 2008
Tribune des droits humains, 9 avril 2008
Parmi les premiers pays à être soumis à l’EPU, ce nouvel examen des droits de l’homme pour tous les membres de l’ONU, la Tunisie est accusée d’avoir dicté les questions posées par les autres membres de l’institution onusienne.
Carole Vann / Tribune des droits humains - « Nous avons été choqués d’entendre le Japon saluer la Tunisie comme modèle de démocratie. Comment peut-on parler de démocratie dans un pays où le président a été élu à 96,4% ? Nous avons été tout aussi choqués d’entendre l’Indonésie féliciter ce même gouvernement pour sa liberté d’expression et son indépendance judiciaire. Cela alors que la Tunisie vient de se faire épingler sur ces points par le Comité sur les droits de l’homme à New York ! » Antoine Madelin, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), ne trouvait pas de mots assez durs durant la conférence de presse donnée l’après midi pour qualifier la « mascarade » qui s’est déroulé mardi matin au Conseil des droits de l’homme à Genève.
Troisième de la liste à passer son examen périodique universel (EPU), après le Bahreïn et l’Equateur, la Tunisie, aurait, selon plusieurs sources diplomatiques, cherché à « biaiser » le processus. Après un rapport délivré par le ministre tunisien de la justice et des droits de l’homme, Béchir Tekkari, les Etats membres ont pu soumettre leurs questions et recommandations. « La plupart des ambassadeurs se sont montrés extrêmement complaisants. Nous avons alors appris que la mission tunisienne à Genève avait téléphoné aux délégations pour télécommander leurs propos durant cet examen. Plusieurs ambassadeurs nous ont expliqué qu’ils avaient intérêt à ne pas se faire d’ennemis vu qu’ils allaient, eux aussi, être évalués », raconte Antoine Madelin.
Présente à la conférence de presse, la journaliste et opposante Sihem ben Seddrin du Conseil national pour les libertés en Tunisie (l’association est interdite au pays), arrive de New York où elle a suivi les sessions du Comité des droits de l’homme : « Les débats et les recommandations sur la Tunisie émis là-bas par les experts du Comité sont aux antipodes de ce qu’on a entendu à Genève. J’ai l’impression qu’on ne parle pas du même pays. »
En réalité, le Conseil des droits de l’homme est en train de subir de plein fouet le dérapage tant redouté pour son tout nouveau mécanisme l’EPU : les Etats, amenés à s’évaluer entre eux, ont intérêt à se ménager les uns les autres. Par ailleurs, comme le précise un diplomate occidental, les règles du jeu sont dictées par les rapports bilatéraux entre les pays. La France s’est ainsi montrée extrêmement complaisante envers la Tunisie, se bornant à évoquer les droits des enfants et évitant soigneusement les questions qui froissent comme la torture, la censure de la presse et de l’internet ou d’autres violations.
« Mais derrière ces procédés choquants, nous avons aussi découvert que des pays, comme la Corée du Sud, le Mexique, le Ghana, l’Angola, et beaucoup de délégations occidentales et latino-américaines, ont fait preuve d’une très grande rigueur en posant les vraies questions », a poursuivi Antoine Madelin.
La Roumanie s’est ainsi basée sur les recommandations du Comité de la torture pour demander si le gouvernement tunisien envisageait de réviser son code pénal afin de s’assurer que la torture ne soit pas utilisée dans les interrogatoires. D’autres ont questionné sur les critères selon lesquels les contenus internet étaient bloqués ou les procédures d’enregistrement des associations.
A la lumière des premiers balbutiements de ce tout nouveau mécanisme, peut-on éviter les pièges de la complaisance ? Selon les défenseurs de libertés, tout espoir n’est pas perdu. Pour cela, les Etats doivent se baser sur les recommandations des experts de l’ONU.
La porte des prisons tunisiennes s’entrouvre
Parmi la longue liste d’engagements pris par la Tunisie pour améliorer son honorabilité internationale en matière de droits de l’homme, la plus concrète est la promesse de permettre à Human Rights Watch (HRW) d’avoir accès aux prisons. « C’est une bonne nouvelle, se réjouit Julie de Rivero de HRW. Nous étions en discussion depuis 2005 ». Le ministre de la justice et des droits de l’homme, Béchir Tekkari, constate des effets positifs qu’exercent déjà les visites régulières du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans les lieux de détention et de garde-à-vue depuis 2005. « C’est une coopération bénéfique, s’est félicité le ministre tunisien devant les membres du Conseil des droits de l’homme. Nous suivons avec intérêt toutes les recommandations émises par le CICR. Le personnel des prisons a une idée plus claire de ce que signifie le respect du prisonnier. Je ne peux que conseiller à tous les pays qui le désirent de coopérer ainsi avec le CICR. »
Fidèle à ses habitudes, l’institution garante des Conventions de Genève ne parle pas à l’extérieur de ce qu’elle voit dans les prisons. L’échange des constatations et d’éventuelles recommandations restent confidentiels. « Nous visitons les prisons et les lieux de garde-à-vue qui nous sont notifiés par les autorités, précise Dorothea Krimitsas, porte-parole du CICR à Genève. Nous examinons les conditions de détention, l’hygiène et le traitement réservé aux prisonniers. » Plus de 20 prisons ont été visitées à ce jour.
Entre 2006 et 2007, les délégués du CICR ont pu s’entretenir en privé avec 2’200 détenus. Pour l’avocate tunisienne Radhia Nasraoui, ces visites du CICR sont importantes – c’est souvent le seul contact du détenu avec l’extérieur - mais insuffisantes. « Il faut beaucoup plus, estime-t-elle. D’autant que plusieurs des prisonniers que je défends m’ont dit avoir été victimes de représailles après avoir parlé au CICR. »
Que va changer l’accès de HRW aux prisons tunisiennes ? Les conditions précises doivent encore être discutées avec les autorités. HRW devra-t-il aussi attendre d’y être invité pour effectuer une visite ? « Ce n’est pas notre méthode de travail, précise-t-on à HRW. Et nous communiquons au public ce que nous voyons. »
Fabrice Boulé/Tribune des droits humains
Parmi les premiers pays à être soumis à l’EPU, ce nouvel examen des droits de l’homme pour tous les membres de l’ONU, la Tunisie est accusée d’avoir dicté les questions posées par les autres membres de l’institution onusienne.
Carole Vann / Tribune des droits humains - « Nous avons été choqués d’entendre le Japon saluer la Tunisie comme modèle de démocratie. Comment peut-on parler de démocratie dans un pays où le président a été élu à 96,4% ? Nous avons été tout aussi choqués d’entendre l’Indonésie féliciter ce même gouvernement pour sa liberté d’expression et son indépendance judiciaire. Cela alors que la Tunisie vient de se faire épingler sur ces points par le Comité sur les droits de l’homme à New York ! » Antoine Madelin, de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), ne trouvait pas de mots assez durs durant la conférence de presse donnée l’après midi pour qualifier la « mascarade » qui s’est déroulé mardi matin au Conseil des droits de l’homme à Genève.
Troisième de la liste à passer son examen périodique universel (EPU), après le Bahreïn et l’Equateur, la Tunisie, aurait, selon plusieurs sources diplomatiques, cherché à « biaiser » le processus. Après un rapport délivré par le ministre tunisien de la justice et des droits de l’homme, Béchir Tekkari, les Etats membres ont pu soumettre leurs questions et recommandations. « La plupart des ambassadeurs se sont montrés extrêmement complaisants. Nous avons alors appris que la mission tunisienne à Genève avait téléphoné aux délégations pour télécommander leurs propos durant cet examen. Plusieurs ambassadeurs nous ont expliqué qu’ils avaient intérêt à ne pas se faire d’ennemis vu qu’ils allaient, eux aussi, être évalués », raconte Antoine Madelin.
Présente à la conférence de presse, la journaliste et opposante Sihem ben Seddrin du Conseil national pour les libertés en Tunisie (l’association est interdite au pays), arrive de New York où elle a suivi les sessions du Comité des droits de l’homme : « Les débats et les recommandations sur la Tunisie émis là-bas par les experts du Comité sont aux antipodes de ce qu’on a entendu à Genève. J’ai l’impression qu’on ne parle pas du même pays. »
En réalité, le Conseil des droits de l’homme est en train de subir de plein fouet le dérapage tant redouté pour son tout nouveau mécanisme l’EPU : les Etats, amenés à s’évaluer entre eux, ont intérêt à se ménager les uns les autres. Par ailleurs, comme le précise un diplomate occidental, les règles du jeu sont dictées par les rapports bilatéraux entre les pays. La France s’est ainsi montrée extrêmement complaisante envers la Tunisie, se bornant à évoquer les droits des enfants et évitant soigneusement les questions qui froissent comme la torture, la censure de la presse et de l’internet ou d’autres violations.
« Mais derrière ces procédés choquants, nous avons aussi découvert que des pays, comme la Corée du Sud, le Mexique, le Ghana, l’Angola, et beaucoup de délégations occidentales et latino-américaines, ont fait preuve d’une très grande rigueur en posant les vraies questions », a poursuivi Antoine Madelin.
La Roumanie s’est ainsi basée sur les recommandations du Comité de la torture pour demander si le gouvernement tunisien envisageait de réviser son code pénal afin de s’assurer que la torture ne soit pas utilisée dans les interrogatoires. D’autres ont questionné sur les critères selon lesquels les contenus internet étaient bloqués ou les procédures d’enregistrement des associations.
A la lumière des premiers balbutiements de ce tout nouveau mécanisme, peut-on éviter les pièges de la complaisance ? Selon les défenseurs de libertés, tout espoir n’est pas perdu. Pour cela, les Etats doivent se baser sur les recommandations des experts de l’ONU.
La porte des prisons tunisiennes s’entrouvre
Parmi la longue liste d’engagements pris par la Tunisie pour améliorer son honorabilité internationale en matière de droits de l’homme, la plus concrète est la promesse de permettre à Human Rights Watch (HRW) d’avoir accès aux prisons. « C’est une bonne nouvelle, se réjouit Julie de Rivero de HRW. Nous étions en discussion depuis 2005 ». Le ministre de la justice et des droits de l’homme, Béchir Tekkari, constate des effets positifs qu’exercent déjà les visites régulières du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans les lieux de détention et de garde-à-vue depuis 2005. « C’est une coopération bénéfique, s’est félicité le ministre tunisien devant les membres du Conseil des droits de l’homme. Nous suivons avec intérêt toutes les recommandations émises par le CICR. Le personnel des prisons a une idée plus claire de ce que signifie le respect du prisonnier. Je ne peux que conseiller à tous les pays qui le désirent de coopérer ainsi avec le CICR. »
Fidèle à ses habitudes, l’institution garante des Conventions de Genève ne parle pas à l’extérieur de ce qu’elle voit dans les prisons. L’échange des constatations et d’éventuelles recommandations restent confidentiels. « Nous visitons les prisons et les lieux de garde-à-vue qui nous sont notifiés par les autorités, précise Dorothea Krimitsas, porte-parole du CICR à Genève. Nous examinons les conditions de détention, l’hygiène et le traitement réservé aux prisonniers. » Plus de 20 prisons ont été visitées à ce jour.
Entre 2006 et 2007, les délégués du CICR ont pu s’entretenir en privé avec 2’200 détenus. Pour l’avocate tunisienne Radhia Nasraoui, ces visites du CICR sont importantes – c’est souvent le seul contact du détenu avec l’extérieur - mais insuffisantes. « Il faut beaucoup plus, estime-t-elle. D’autant que plusieurs des prisonniers que je défends m’ont dit avoir été victimes de représailles après avoir parlé au CICR. »
Que va changer l’accès de HRW aux prisons tunisiennes ? Les conditions précises doivent encore être discutées avec les autorités. HRW devra-t-il aussi attendre d’y être invité pour effectuer une visite ? « Ce n’est pas notre méthode de travail, précise-t-on à HRW. Et nous communiquons au public ce que nous voyons. »
Fabrice Boulé/Tribune des droits humains