Tunisie : Alkarama Soumet son Rapport de Suivi des Recommandations du Comité contre la Torture

.

Dans le cadre du suivi du troisième examen périodique de la Tunisie par le Comité contre la torture (CCT), Alkarama a soumis au Comité son rapport d’évaluation de la mise en œuvre des recommandations prioritaires émises par les experts à l’issue de l’examen du pays en mai 2016. Ce rapport a pour but de vérifier que les problématiques les plus importantes soient traitées par les autorités dans l’année qui suit l’examen devant le CCT. Parmi ces recommandations, les experts avaient identifié la reconduction de l’état d’urgence, la réforme du secteur de la sécurité et de la justice et les limites au mandat l’Instance Vérité et Dignité (IVD).

Dans son rapport de suivi alternatif, Alkarama a souligné les insuffisances dans la mise en œuvre de certaines de ces recommandations et notamment les effets de l’état d’urgence sur les libertés fondamentales et les limites du mandat de l’IVD. Le rapport a aussi été l’occasion de soulever la récente condamnation de Maître Najet Laabidi, avocate de victimes de torture.

Les conséquences inquiétantes d’un état d’urgence constamment reconduit

La reconduction constante de l’état d’urgence par le président Béji Caid Essebsi, la dernière prolongation datant du 15 juin 2017 entraîne une prolongation des mesures restrictives de libertés individuelles, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En effet, l’état d’urgence est toujours fondé sur un décret présidentiel de 1978, qui donne dans son article 5 autorité au ministère de l’Intérieur d’ordonner l’assignation à résidence de toute personne suspectée d’avoir des activités considérées comme « susceptibles de mettre en danger la sécurité et lordre public ».

Alkarama a souligné que le décret de 1978 ne permet pas le respect des droits et libertés fondamentales des personnes visées par ces mesures. Ce texte ne prévoit pas de contrôle judiciaire indépendant sur les nombreuses mesures d’assignation à résidence imposées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Poursuites à l’encontre de Me Najet Laabidi, avocate de victimes de torture : exemple des insuffisances de la réforme du secteur judicaire et de sécurité

La condamnation de Me Najet Laabidi à six mois d’emprisonnement avec sursis, le 10 mai 2017, par le Tribunal de première instance de Tunis pour diffamation, suite à une procédure entachée de nombreuses irrégularités, a par ailleurs été soumise à l’attention des experts du CCT. Cette avocate représentait les victimes de torture dans l’affaire dite de « Barraket Essahel » qui concernait 244 militaires torturés et accusés de tentative de coup d'État en 1991. Dans le cadre de son mandat, Me Laabidi avait constaté de nombreux dysfonctionnements et avait fait état publiquement des manquements du Tribunal militaire et de sa partialité dans cette affaire. 

Alkarama a donc rapporté cette condamnation dénoncée par de nombreux avocats tunisiens comme une forme de représailles contre Me Laabidi pour avoir défendu le droit de ses clients à un recours effectif face à  irrégularités procédurales.

Concernant le mandat et les moyens de l’Instance Vérité et Dignité

Dans ses observations finales, le Comité avait constaté que l’État partie n’accordait à l’Instance Vérité et Dignité (IVD) que cinq ans pour faire la lumière sur les violations commises pendant près de 60 ans, et qu’elle avait déjà reçu 28 087 plaintes, dont environ 20 000 relatives à des cas de torture et mauvais traitement. A ce titre, il avait recommandé à l’État partie de doter l’IVD de ressources suffisantes pour lui permettre de s’acquitter de sa mission avec efficacité et s’assurer que les plaintes de torture et mauvais traitements soient transférées à une autorité d’enquête indépendante, lorsque son mandat sera terminé.

Or, aucun changement sur la durée du mandat de l’IVD ou sur son budget n’a été annoncé par les autorités alors que ces insuffisances mettent en péril le droit à la réparation des nombreuses victimes de violations graves des droits de l’homme commis pendant l’ancien régime. Alkarama a donc rappelé l’obligation pour l’État partie d’adopter une politique de réparation avec des critères clairs et non discriminatoires, et de garantir le droit des victimes d’entamer des actions judiciaires, indépendamment des recours disponibles au sein de l’Instance Vérité et Dignité.

Pour plus d'informations ou une interview, veuillez contacter media@alkarama.org (Dir: +41 22 734 10 08).