Mauritanie : L’Alliance Globale des Institutions Nationales des Droits de l’Homme recommande la rétrogradation de la CNDH au « statut B »

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A la suite de l’examen de la Commission Nationale des Droits de l'Homme mauritanienne (CNDH) en novembre 2017, le Sous-Comité d'accréditation (SCA) de l’Alliance Globale des Institutions Nationales des Droits de l'Homme (GANHRI) a recommandé que la CNDH soit rétrogradée du statut A au statut B – une décision contestée par la CNDH –, marquant ainsi son manque de conformité avec les Principes de Paris. Dans son rapport de session publié le 26 janvier 2018, le SCA a ainsi exprimé de nombreuses préoccupations, notamment le manque de transparence dans la sélection de ses membres et son manque d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.

En octobre 2017, Alkarama ainsi que plusieurs ONGs mauritaniennes avaient soumis un rapport  de suivi au SCA, soulignant le fait que la CNDH ne jouait pas le rôle attendu d’une institution nationale des droits de l’homme (INDH) dotée d’un statut A, dont elle jouit depuis 2011. 

Sur l’indépendance de la Commission : sélection, désignation de ses membres et représentation politique au sein de la CNDH

Le 5 juillet 2017, les autorités mauritaniennes ont adopté la loi n°2017-016 fixant la composition, l’organisation, et le fonctionnement de la CNDH. Dans son rapport de novembre 2017, le SCA a souligné que si les dispositions de la nouvelle loi répondaient à certaines préoccupations soulevées en novembre 2016, ces dernières ne suffisaient pas à répondre à celles relatives à l’indépendance du processus de sélection et de nomination de ses membres. Le SCA a ainsi rappelé que le processus de sélection et de désignation de l’organe de décision de la CNDH devait être « clair, transparent et participatif » et « consacré moyennant une loi, un règlement ou des directives administratives contraignantes ». Le SCA a également rappelé que « le processus de sélection doit se faire au mérite et assurer le pluralisme, afin de garantir l’indépendance de l’INDH et susciter la confiance de la population dans ses hauts responsables ».

Le SCA a ainsi encouragé la CNDH à demander l’adoption et l’application d’un processus de sélection formel qui prévoit de « diffuser amplement les annonces vacances, élargir le réservoir de candidats potentiels ; favoriser d’amples consultations et un processus participatif lors de la soumission, le criblage et la sélection des candidats ; évaluer les candidatures en fonction de critère prédéterminés, objectifs et publics ; et choisir les membres à titre personnel en fonction de leur compétences personnelles plutôt que de l’organisation qu’ils représentent ».

Manque de coopération avec la société civile

Suite aux informations fournies par la société civile et transmises par Alkarama au SCA selon lesquelles la CNDH ne coopère pas avec certaines ONGs, notamment les plus critiques envers le gouvernement, le SCA avait encouragé en novembre 2016 la CNDH à fournir des renseignements supplémentaires à ce sujet. Il avait en outre rappelé l’importance d’une ample coopération avec un large éventail d’organisations de la société civile afin de permettre à l’INDH d’être plus efficace dans l’exécution de son mandat de promotion et de protection des droits de l’homme.

Pour rappel, l’absence d’indépendance de la CNDH vis-à-vis de l'exécutif avait entraîné une défiance de la part de nombreuses ONGs, notamment celles travaillant sur des sujets considérés comme sensibles tels que la pratique de l'esclavage, la torture ou encore la détention arbitraire. La Commission n'a en effet jamais dénoncé ces pratiques persistantes et s’est contentée, au contraire, d’adopter à plusieurs reprises la position gouvernementale allant jusqu’à féliciter les autorités de l’absence de recours à la torture par exemple, alors que de nombreux cas avaient été documentés par la société civile.

Sur le traitement des cas de violations des droits de l’homme

Dans son rapport final, le SCA a noté une réticence de la CNDH « à s’impliquer effectivement dans les affaires concernant de graves violations des droits de l’homme, qui vont des allégations de torture jusqu’aux conditions de détention, aux détentions arbitraires ou à la liberté d’expression ».

Pour rappel, dans son rapport initial, Alkarama s’était inquiétée d’une déclaration de la CNDH sur son site internet datée du 7 janvier 2014, favorable à l’exécution de Mohamed Cheikh Ould Mohamed, un ingénieur de 28 ans condamné à mort pour apostasie. Alkarama avait considéré qu’une telle prise de position portait atteinte à la crédibilité de la CNDH en tant qu’organe indépendant, et rappelé qu’il ne relevait pas de son rôle de plaider à charge contre un justiciable avant même la tenue de son procès, particulièrement lorsque ce justiciable est poursuivi de manière arbitraire et risque la peine de mort. Dans son dernier rapport, le SCA s’est inquiété de l’absence de rétractation officielle ou de déclaration publique de la CNDH affirmant l’incompatibilité de l’application de la peine de mort pour un crime de cette nature avec les normes internationales des droits de l’homme.

Le rapport d’Alkarama avait souligné qu’en octobre 2016, la CNDH avait également failli à son rôle en ne condamnant pas l’arrestation d’activistes anti esclavagistes alors qu’un groupe de sept experts des droits de l’homme des Nations Unies avait publié un communiqué de presse afin d’exprimer leur « grave préoccupation » quant à leur situation. Ils avaient été « emprisonnés en raison de leur rôle présumé dans une manifestation contre les expulsions forcées à Nouakchott » et « ciblés par le gouvernement pour leur plaidoyer anti-esclavagiste ». 

En outre, le SCA a noté que dans les différentes affaires présentées devant elle, « la CNDH ne s’est pas prononcée de manière à protéger les droits de l’homme » et que la réponse fournie était insuffisante, démontrant « sa réticence à traiter toutes les questions de droits de l’homme, y compris, celles relatives à la liberté d’expressions et au droit public à l’information ».

Le SCA a enfin réitéré que « le mandat d’une INDH doit être interprété de manière large, libérale et affirmée, afin de favoriser une définition progressiste des droits de l’homme, qui doit englober tous les droits énoncer dans les instruments nationaux, régionaux et internationaux ». Le SCA a également rappelé que « les INDH sont censées promouvoir et assurer le respect de tous les droits humains, ainsi que les principes démocratiques et le renforcement de l’Etat de Droit en toutes circonstances et ce, sans aucune exception ».

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