
Dans une lettre adressée à la Mission permanente italienne auprès des Nations Unies à Genève, Alkarama a fermement condamné les autorités italiennes pour avoir permis à Osama Njeim al-Masri, chef de l’Autorité de la police judiciaire en Libye et accusé de crimes contre l’humanité, d’échapper à la justice après son arrestation conformément à un mandat de la Cour pénale internationale (CPI).
Osama Njeim, haut commandant de la milice des Forces de dissuasion (Radaa) et directeur de la prison de Mitiga, s’était rendu à Turin, en Italie, pour assister à un match de football et séjournait dans un hôtel lorsque la CPI a demandé son arrestation. La police italienne l’a initialement détenu, mais il a rapidement été libéré et renvoyé à Tripoli aux frais du gouvernement italien, invoquant une erreur procédurale dans son arrestation.
Dans ce contexte, le directeur d’Alkarama, l’avocat Rachid Mesli, a déclaré : « Permettre à une personne accusée de crimes contre les droits de l’homme d’échapper à la justice constitue un précédent dangereux et un mépris flagrant pour le Statut de Rome de la CPI, qui tire son nom de la capitale italienne. » Il a ajouté : « L’Italie, en tant qu’État partie au Statut, devrait être parmi les plus engagés à honorer cet héritage humanitaire, auquel elle vient de renoncer. »
M. Mesli a exprimé sa consternation face à cette issue, soulignant que « permettre à une personne suspectée de violations graves des droits de l’homme d’échapper à la justice envoie un message encourageant aux auteurs pour qu’ils poursuivent leurs abus. Parallèlement, cela décourage profondément les victimes et leurs familles, représente un véritable revers pour la justice et renforce de manière flagrante la culture de l’impunité. »
Mandat d’arrêt
Concernant Osama Njeim al-Masri, la Chambre préliminaire I de la CPI a émis un mandat d’arrêt à son encontre le 18 janvier 2025, avec une majorité de ses juges, dans le cadre de la situation en Libye. Al-Masri est suspecté de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, notamment des meurtres, tortures, viols et violences sexuelles, depuis février 2015, lorsqu’il supervisait les installations carcérales à Tripoli où des milliers de personnes ont été détenues pendant de longues périodes.
Le mandat spécifie des crimes de guerre, notamment l’atteinte grave à la dignité humaine en vertu de l’article 8(2)(c)(2) du Statut de Rome, les traitements cruels en vertu de l’article 8(2)(c)(1), la torture en vertu de l’article 8(2)(c)(1), le viol et les violences sexuelles en vertu de l’article 8(2)(e)(6), ainsi que les meurtres en vertu de l’article 8(2)(c)(1). Il inclut également des crimes contre l’humanité, tels que l’emprisonnement en vertu de l’article 7(1)(e), la torture en vertu de l’article 7(1)(f), le viol et les violences sexuelles en vertu de l’article 7(1)(g), les meurtres en vertu de l’article 7(1)(a), et la persécution en vertu de l’article 7(1)(h), tous commis dans la prison de Mitiga à partir du 15 février 2015.
La Chambre préliminaire a conclu que ces crimes avaient été commis personnellement par Osama Njeim al-Masri, sur ses ordres ou avec l’assistance de membres de la Force spéciale de dissuasion (SDF/Radaa).
Selon le mandat, ces crimes ont été perpétrés dans la prison de Mitiga contre des individus détenus pour des raisons religieuses ou soupçonnés d’appartenir à d’autres groupes.
Le même jour, le greffe de la CPI, en consultation avec le Bureau du Procureur et sous la supervision de la Chambre préliminaire, a adressé une demande d’arrestation du suspect à six États parties, dont l’Italie. Cette demande a été transmise par les canaux officiels après consultation et coordination pour garantir une mise en œuvre adéquate. La CPI a également demandé à Interpol d’émettre une « notice rouge » pour suivre le suspect.
Dans les premières heures du dimanche 19 janvier 2025, le suspect a été localisé à Turin, en Italie, et arrêté avec succès par les autorités italiennes. Il a été détenu en attendant l’achèvement des procédures juridiques locales relatives à son arrestation et à son transfert à la CPI.
À la demande des autorités italiennes et par respect pour elles, la CPI s’est abstenue de tout commentaire public sur l’arrestation. En même temps, la CPI a poursuivi sa coordination avec les autorités italiennes pour garantir que toutes les procédures nécessaires soient effectuées conformément au Statut de Rome.
Le 21 janvier 2025, il a été annoncé qu’Osama Njeim al-Masri avait été libéré sans notification préalable ni consultation avec la CPI et avait été renvoyé en Libye, un fait que la CPI vérifie actuellement en contactant les autorités italiennes.
Dans une déclaration, la CPI a rappelé à tous les États parties leur obligation de coopérer pleinement avec la Cour dans ses enquêtes et poursuites pour crimes.
Activisme d’Alkarama
Alkarama a documenté des dizaines de cas de torture, disparitions forcées et détentions arbitraires dans la prison de Mitiga, sous le contrôle de la milice des Forces de dissuasion en Libye. Elle a soumis des plaintes individuelles aux Procédures spéciales de l’ONU, et des experts de l’ONU ont émis des décisions dans certains cas, confirmant le caractère arbitraire des détentions et condamnant la milice Radaa.
Par exemple, le cas d’Abdelhakim Embarek « Al Mecheri », qui a retrouvé sa liberté après huit ans de détention arbitraire dans cette prison tristement célèbre, a été reconnu par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA) dans son Avis n° 62/2021. Le Groupe a conclu que la détention des citoyens libyens Abdelhakim Embarek Mohamed Ali « Al Mecheri » et Suleiman Mohamed Salem Suleiman était arbitraire.
Cette décision faisait suite à une plainte déposée par Alkarama le 11 août 2021, dans laquelle les experts de l’ONU ont exprimé leur inquiétude face aux détentions arbitraires de grande ampleur en Libye. Ils ont noté que « dans certaines circonstances, l’emprisonnement à grande échelle ou systématique, ou toute autre privation grave de liberté, pourrait constituer des crimes contre l’humanité. »
Dans un contexte connexe, le député libyen Hassan Salem al-Farjani et son frère Mohamed Salem restent détenus à la base de l’aéroport de Mitiga. Alkarama a soumis leur cas au Groupe de travail sur la détention arbitraire le 10 juillet 2024. Ils ont été arrêtés par la milice des Forces spéciales de dissuasion.
Contexte
Il convient de noter que la situation en Libye a été renvoyée au Procureur de la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies en vertu de la résolution 1970 du 26 février 2011. Le 3 mars 2011, le Procureur a annoncé la décision d’ouvrir une enquête sur la situation en Libye.
Sept mandats d’arrêt restent encore en suspens dans ce contexte, concernant notamment Abdul Rahim Khalifa Abdul Rahim al-Shakaki, Makhlouf Makhlouf Rahuma Duma, Nasser Mohamed Muftah Daw, Mohamed Mohamed al-Saleheen al-Salmi, Abdul Bari Ayad Ramadan al-Shakaki, Fathi Faraj Mohamed Salem al-Zankal, et Saif al-Islam Kadhafi.