Libye : La détention d’Ali Suleiman Masoud Abdel Sayed qualifiée d’arbitraire par les experts de l’ONU
Le Groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires a reconnu le caractère arbitraire de la privation de liberté du citoyen libyen, Ali Suleiman Masoud Abdel Sayed, et a souligné la responsabilité du gouvernement libyen du fait des violations commises à son encontre.
Au cours de sa 97ème session, le Groupe de travail a rendu son Avis concernant la détention d’Abdel Sayed dont le cas avait été soumis par Alkarama dans une communication en date du 27 mars 2023.
Disparu à la suite de son arrestation
Abdel Sayed a été arrêté le 17 août 2016 à 22 heures sur la voie publique à Ain Zara (sud de Tripoli) par des hommes en tenue militaire se réclamant de la 8ème division de sécurité de la milice du RADAA commandée par Haitham Tadjouri, qui se déclare officiellement rattachée au ministère de l'Intérieur du gouvernement d’entente nationale.
Le lendemain, son fils a tenté de connaître le lieu de sa détention en se rendant notamment au siège de la milice mais n’a pu avoir aucune confirmation qu’il s’y trouvait. Il s’est ensuite adressé à plusieurs autorités dont le Ministère de l’intérieur et le bureau du procureur général pour connaitre le sort de son père sans jamais obtenir de réponse.
Mandatée par la famille, Alkarama avait alors soumis le 16 mars 2017, un appel urgent au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées afin qu’il soit immédiatement localisé. Cependant les autorités libyennes n’ont jamais répondu aux communications du Groupe de travail.
Ce n’est qu’une année après l’arrestation, que la famille d’Abdel Sayed a pu apprendre, grâce à des messages qu’il est parvenu à envoyer par l'intermédiaire de codétenus libérés, qu’il était en vie et qu’il était « détenu dans un centre secret contrôlé par une milice ». Ce n’est qu’en mai 2020 à la suite de son transfert à la prison d'Al Ruwaimi, que la victime a pu recevoir une visite de sa famille, visite au cours de laquelle il a révélé avoir été torturé pendant sa détention.
Le 14 avril 2021, soit cinq ans après son arrestation, Abdel Sayed a été présenté, pour la première fois devant le procureur général qui lui a alors notifié qu’il était accusé de "dissimulation de faits et de documents" sans plus d’explications. Le 17 décembre 2022, Abdel Sayed a finalement été traduit devant la 3ème chambre criminelle du tribunal de Tripoli qui l’a acquitté de toutes les charges retenues contre lui par jugement en date du 20 février 2023.
En dépit de cette décision de justice devenue définitive il n’a pas été libéré et a été reconduit au centre de détention de Mitiga contrôlé par les milices de RADAA.
Le Groupe de travail reconnaît le caractère arbitraire
Dans son Avis, le Groupe de travail a relevé que la détention d’Abdel Sayed est dénuée de base juridique en ce que les autorités n’ont présenté aucun mandat d’arrêt ni ne l’ont informé des charges retenues contre lui au moment de son arrestation et jusqu’à ce qu’il soit déféré devant une autorité judiciaire habilitée après cinq années de détention.
Les experts indépendants de l’ONU ont reconnu qu’Abdel Sayed a été victime de disparition forcée depuis son arrestation, et ce, jusqu’à ce que sa détention ait été officiellement reconnue, ce qui constitue une forme particulièrement aggravée de détention arbitraire. Enfin, il a été indiqué que son maintien en détention malgré l’existence d’une décision judiciaire d’acquittement rend également arbitraire sa privation de liberté.
De plus, le Groupe de travail a conclu à plusieurs violations du droit de la victime à un procès équitable dont celui d'être jugé dans un délai raisonnable. Les experts ont également souligné que le fait pour Abdel Sayed d’avoir été privé de son droit de recevoir des visites et de bénéficier de l’assistance d’un avocat constituent des violations de ses droits fondamentaux.
Les experts se sont déclarés « préoccupés par le fait que M. Abdel Sayed a été et continue d'être privé arbitrairement de sa liberté, même après avoir été acquitté de toutes les accusations portées contre lui ». Ils ont donc rappelé au gouvernement libyen « l'obligation de respecter les normes internationales en matière de droits de l'homme incombe à tous les organes, fonctionnaires et agents de l'État, ainsi qu'à toutes les autres personnes physiques et morales.»
Enfin, le Groupe de travail a exhorté le Gouvernement à « prendre les mesures nécessaires pour remédier sans délai à la situation de M. Abdel Sayed et de la mettre en conformité avec les normes internationales pertinentes, notamment celles énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. »
Les autorités libyennes disposent d’un délai de six mois pour fournir les informations sur les mesures qu’il prendra pour donner suite aux recommandations formulées dans l’Avis rendu.