Jordanie: La détention administrative et la torture restent à l'ordre du jour

Le Comité des droits de l’homme a examiné le quatrième rapport périodique de la Jordanie (CCPR/C/JOR/4) les 13 et 14 octobre 2010 et le 26 octobre 2010, il a adopté les observations finales. Rappelons que le rapport jordanien a été présenté avec 12 années de retard. Alkarama a, dans le cadre de cet examen soumis un rapport alternatif.

Le 13 octobre 2010, Alkarama a participé à une réunion avec des experts du Comité des droits de l'homme organisée par le Centre pour les Droits Civils et Politiques à laquelle s'est joint le Centre Amman pour les droits de l'homme *.

Le Comité des droits de l'homme a relevé un certain nombre de problèmes qui recoupent en partie les observations exprimées par notre organisation. Ainsi, il apprécie la création du Centre national des droits de l’homme tout en regrettant l'absence de transparence qui le caractérise et l'insuffisance de moyens financiers alloués à son fonctionnement.

Sur le plan législatif, l'Organe onusien relève "la définition imprécise et étendue des «activités terroristes» donnée dans la loi relative à la prévention du terrorisme, votée en 2006." Il recommande en conséquence de revoir cette loi dans le but de définir plus concrètement les actes relevant des «activités terroristes».

Le Comité s'inquiète également de l’usage répandu de la torture et recommande de "mettre en place un mécanisme efficace et indépendant pour l’examen des plaintes" et de garantir des enquêtes et des poursuites à l'encontre des responsables. Il demande aussi "que tous les détenus aient immédiatement accès à un avocat de leur choix et puissent se faire examiner par un médecin indépendant".

La détention administrative est toujours pratiquée et autorisée par la loi relative à la prévention de la criminalité de 1954. Toute personne «considérée comme présentant un danger pour la société» peut être détenue sans inculpation ni jugement. Le Comité recommande d'amender cette loi en la mettant en conformité avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de "remettre en liberté toutes les personnes qui sont en détention en application de cette loi, ou les déférer immédiatement en justice."

Malgré la garantie de l'indépendance judiciaire inscrite dans la Constitution jordanienne, tout un système de tribunaux spéciaux est chargé des affaires relatives à la "sécurité" qui place à l'abri de poursuites "des militaires et des membres des services de la sûreté ayant commis des violations présumées des droits de l’homme", comme le relevait également le Comité contre la torture dans ses dernières Constatations. Le Comité des droits de l'homme, quant à lui, renouvelle sa recommandation, déjà formulée en 1994 mais jamais prise en compte par l’Etat partie, d'abolir la Cour de sûreté de l’État en raison de l'absence d'indépendance "tant organique que fonctionnelle" de cette juridiction.

Il recommande aux autorités jordaniennes de changer la législation et la pratique à l'encontre des journalistes afin de leur garantir la liberté d'expression ainsi que de modifier la loi relative aux réunions publiques et d'assurer que les contraintes ne soient subordonnées à des considérations politiques. Enfin, il exprime sa préoccupation quant aux restrictions auxquelles sont soumises les ONG et en particulier "la possibilité laissée au gouvernement de nommer un fonctionnaire au poste de président provisoire d’une ONG nouvellement constituée". Le Comité recommande là aussi de se mettre en conformité avec le Pacte.

Le Comité demande à l'Etat jordanien de lui faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations relatives au meilleur fonctionnement du Centre national des droits de l'homme, à l'amendement de la loi autorisant la détention administrative et à l'abolition de la Cour de sûreté de l’État.

Alkarama regrette que le Comité n'ait pas fait une part plus significative aux autres préoccupations des militants des droits de l’homme en Jordanie et en particulier:

- A la nécessité de limiter les prérogatives de la Direction générale du renseignement, responsables de graves violations des droits humains dans le pays, en assurant une séparation des pouvoirs effective entre les autorités chargées de la détention des suspects et celles responsables des enquêtes préliminaires;

- de mettre fin à la pratique de la détention au secret en plaçant tous les lieux de détention, sans exception, sous le strict contrôle du ministère de la justice;

- Enfin, de mettre un terme définitif à la participation de l’Etat partie aux "restitutions" et autres transferts secrets de prisonniers victimes de disparition forcée et rendre public les noms de toutes les personnes qui ont été détenues ou transférées en Jordanie ou par la Jordanie dans ce contexte.

Alkarama ne manquera pas d’informer de la manière la plus large possible les différends acteurs de la société civile jordanienne des Constations et Recommandations du Comité des droits de l’homme et de les sensibiliser à la nécessité de leur suivi rigoureux pour contribuer ainsi à une amélioration concrète de la situation des droits humains dans le pays.

Notre Organisation suivra également avec beaucoup d’attention les suites réservées à ces Recommandations par l’Etat partie à travers une contribution écrite au Comité des droits de l'homme.

* Centre Amman pour les droits de l'homme et Centre pour les Droits Civils et Politiques, Questions recommended for inclusion in the List of Issues for the consideration of the 3rd Periodic Report of Jordan, 9 mars 2010. http://www.ccprcentre.org/doc/HRC/Jordan/ACHRS-CCPR_Jordan98.pdf