Arabie saoudite : Alkarama s’adresse de nouveau aux Nations Unies concernant la mort sous la torture de l’expatrié Yémenite « Al Mohammadi »

المحمدي

Le 23 janvier 2024, Alkarama s'est adressé au Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires au sujet des développements concernant le défunt homme d'affaires yéménite, Abdulsamed Esmail Mohammed Salem (Al Mohammadi), au sujet duquel la quatrième cour pénale saoudienne de la région de Jazan a ordonné la clôture des poursuites pénales l’acquittant de toutes les charges retenues contre lui. Il avait été arrêté par plusieurs policiers, s’était fait confisquer plusieurs sommes d’argent avant d’être torturé jusqu'à ce que mort s’ensuive le 12 septembre 2021. 

Alkarama a réitéré sa demande à l'ONU et les a de nouveau appelé à s'adresser aux autorités saoudiennes pour qu'elles remplissent leurs obligations en vertu de la Convention contre la torture ratifié par l'Arabie saoudite, et qu'elles mènent, en ce sens, une enquête indépendante sur les circonstances de la mort de la victime et qu'elles traduisent les responsables en justice. 

Al Mohammadi est un homme d'affaires yéménite qui vit en Arabie saoudite depuis 25 ans. Son cas a été soumis pour la première fois par Alkarama le 3 avril 2023 au Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires et au Rapporteur spécial sur la torture. 

Contexte de l’affaire 

Le 9 septembre 2021, aux alentours de 15h30, une escouade de sécurité composée de 25 hommes armés affiliés au département de lutte contre les stupéfiants, dirigée par le lieutenant Hussein Jafari, a fait une descente dans le restaurant d’Abdulsamed Esmail Mohammed Salem dans le quartier de Sabya. 

Selon plusieurs témoins, Al Mohammadi qui se trouvait à l'intérieur de son restaurant a été violemment battu à coups de pied, de poing et de crosse de fusil. Il a ensuite été emmené de force à son domicile où il a également été battu sous le regard de sa femme et de ses trois enfants. L’épouse d'Al Mohammadi a rapporté que le lieutenant Hussein Jafari qui a accusé son mari de détenir des sommes d'argent provenant du trafic de stupéfiants l’a interrogé sur l'endroit où leur argent était caché en le menaçant d'arrêter et d'emprisonner sa femme, ses deux filles et son fils handicapé s'il gardait le silence. Les agents ont confisqué une forte somme d’argent et les bijoux de sa femme et de sa fille. Le restaurant d'Al Mohammadi a été fermé pendant une longue période et tous ses biens ont été saisis. 

Selon la famille de  la victime les agents n'ont présenté aucun mandat avant de l'emmener de force vers une destination inconnue. Huit employés du restaurant ont également été arrêtés avant d'être relâchés quelques jours plus tard. Deux jours après son arrestation, Al Mohammadi a été autorisé à passer un bref appel téléphonique à sa femme. Celle-ci a indiqué que pendant cet appel son mari pouvait à peine parler. 

Le lendemain, 12 septembre 2021, l'épouse d'Al Mohammadi a reçu un appel téléphonique de la police qui l'a informée du décès de son mari et lui a demandé d’aller chercher le corps à l'hôpital d'Abu Arish. Cependant, la famille a refusé de récupérer le corps et a demandé un rapport médico-légal pour identifier la cause de sa mort. Les autorités qui ont refusé la requête les ont informés que le corps de la victime a été transporté dans sa ville natale au Yémen où ses funérailles ont eu lieu

Mort sous les tortures 

Dans sa communication adressée au Rapporteur spécial des NU sur les exécutions extrajudiciaires, Alkarama a mis en exergue la responsabilité des agents de l’Administration générale pour le contrôle des drogues de Jazan dans le décès de la victime. Selon le rapport médico-légal établi à la demande de la famille, et dont Alkarama a obtenu une copie, ce dernier a été admis à l'hôpital d'Abu Arish le 9 septembre 2021, c'est-à-dire le lendemain de son arrestation. 

A son arrivée, Al Mohammadi présentait des « ecchymoses éparses », une « accumulation de sang sur le membre supérieur gauche et le côté gauche de la poitrine et de l'abdomen » et « plusieurs fractures des côtes ». Toujours selon le rapport médical, dans la soirée du 12 septembre 2021, d'Al Mohammadi qui avait des difficultés respiratoires « est mort des suites d’une embolie pulmonaire ». 

En dépit de l’évidence du lien de causalité entre la mort d'Al Mohammadi et les tortures subies pendant sa détention, les plaintes déposées par la famille de d'Al Mohammadi auprès du ministère public de Sabya ainsi que celle déposée par son avocat auprès du Conseil des doléances du royaume sont restées sans réponses. 

Acquittement 

Récemment, Alkarama a appris que la quatrième cour pénale saoudienne de Jazan, qui a tenu plusieurs sessions pour examiner l'affaire en octobre dernier, a acquitté la victime des charges retenues contre elle et a exigé la restitution de tous les biens qui avaient été confisqués par les services de sécurité lors de la perquisition du domicile et du restaurant d'Al Mohammadi sur la base d'accusations malveillantes. 

A première vue, il apparaît que les autorités de sécurité saoudiennes ont tenté de manipuler l'affaire en donnant au décès sous le coup des tortures l’image d’une mort naturelle. L’épouse avait été informé que son mari était décédé des suites d’un accident vasculaire cérébral. Cependant, le rapport médico-légal, établi à la suite de l'autopsie, a confirmé qu'il avait été soumis à de violentes tortures, révélant des fractures dans 9 côtes. Entraînant une obstruction de l'artère pulmonaire principale, ces fractures étaient donc à l’origine de la mort. 

Des dizaines d'écrivains, de juristes, d'intellectuels, de personnalités sociales et de représentants d'organisations locales et nationales ont annoncé la formation d'un comité chargé de plaider en faveur de la famille d'Al Mohammadi pour exiger la justice, la restitution des biens et la fin de l’impunité de leurs auteurs. Cependant, les auteurs sont toujours en fuite et les dirigeants du ministère saoudien de l'Intérieur refusent de renvoyer le dossier au parquet pour qu'il ordonne l’ouverture d’une enquête pénale sur les auteurs. 

Malgré l'acquittement d'Al Mohammadi, sa famille et ses proches continuent d'appeler les autorités yéménites à se rapprocher des autorités saoudiennes pour assurer le suivi de l'affaire pénale jusqu'à ce que justice soit rendue et que les auteurs soient déférés devant la justice. 

Impunité pour les auteurs d'actes de torture 

Alkarama rappelle qu'au cours du dernier examen périodique de l'Arabie saoudite, le Comité contre la torture s'est dit profondément préoccupé « par les nombreux rapports portés à son attention selon lesquels la torture et les autres mauvais traitements sont couramment pratiqués dans les prisons et les centres de détention de l'État partie ». 

Au cours des précédents examens, le Comité avait déjà demandé à l'État partie de veiller à ce que les auteurs d'actes de torture fassent l'objet d'enquêtes et de poursuites efficaces et impartiales dans les meilleurs délais. Cependant, sept ans plus tard, ces recommandations n’ont pas été implémentée et les autorités continuent de s'abstenir de poursuivre les responsables d'actes de torture. 

Préoccupé par l’actuelle impasse en Arabie saoudite, Alkarama s'est adressé au Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires et au Rapporteur spécial des Nations unies sur la torture pour attirer leur attention sur la situation. 

Le Royaume d'Arabie saoudite est tenu, conformément aux obligations internationales qui lui incombent en vertu de sa ratification de la Convention contre la torture, de mener sans délai une enquête indépendante et impartiale sur la mort d'Al Mohammadi et de juger et de condamner ses tortionnaires conformément à la gravité de leurs actes.