ALGERIE : Le Comité des droits de l’homme de l’ONU condamne encore l’Algérie pour les violations graves commises dans les camps de Tindouf
Au cours de la 134ème session qui s’est tenue à Genève du 28 février au 25 mars 2022, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a de nouveau conclu à la responsabilité des autorités algériennes quant aux violations commises par les agents du Polisario contre un réfugié sahraoui du camp de Tindouf (Sud-est de l’Algérie), M’Rabih ADDA.
L’organe onusien a enfin rendu sa décision en faveur de la victime défendue par Alkarama qui avait déposé une plainte au nom de la victime le 12 juin 2015.
Dans une précédente affaire soumise par Alkarama, dans laquelle l’un des fondateurs du Front Polisario, Ahmed Khalil Mahmoud Braih, avait été enlevé au centre d’Alger par des agents de la direction des renseignements et de la sécurité (DRS) algériens et avait disparu depuis après avoir été détenu à la prison militaire de Blida, le comité d’experts onusiens avait également mis en cause la responsabilité du gouvernement algérien.
Selon ses proches, Ahmed Khalil Mahmoud Braih s’était montré particulièrement critique des violations des droits de l’homme commises en toute impunité par la direction du Polisario dans les camps de réfugiés de la région de Tindouf.
Rappel des faits
Réfugié des camps de Tindouf, M’Rabih ADDA, co-fondateur de l’association « Assoumoud » et du mouvement du « 5 mars » , a été arrêté à Tindouf par des agents du DRS le 25 juillet 2014 à la suite d’un sit-in de protestation contre le Front Polisario devant le Haut-Commissariat aux réfugiés pour revendiquer le droit à la liberté d’expression et de mouvement ainsi que des conditions de vie digne pour les réfugiés de Tindouf.
Le soir de son arrestation, après avoir été torturé, il a été remis par le DRS aux agents du Polisario et conduit au centre de détention « Errachid » connu par les réfugiés des camps pour être un centre de torture.
Détenu au secret pendant 14 jours, il a été interrogé à propos de ses activités politiques et sévèrement torturé. Il a notamment été suspendu par les poignets, battu à coups de bâtons et privé de sommeil et de nourriture plusieurs jours consécutifs pour avoir refusé de lire une déclaration préparée par ses tortionnaires dans laquelle il « reconnaissait ses erreurs » et témoignait « avoir été recruté par le Maroc ». Après plus de deux mois de supplice, épuisé, il a fini par céder et lire des « aveux » filmés par les agents du Polisario en s’engageant à cesser toute activité politique.
Finalement libéré, la victime a dû fuir les camps pour se réfugier en Mauritanie où vit une partie de sa famille.
L’Algérie, responsable des violations sur l’ensemble de son territoire
Dans sa plainte au Comité, Alkarama avait fait valoir que l’ensemble des violations commises dans les camps de réfugiés de Tindouf peuvent être imputées à l’Algérie en vertu de sa souveraineté et de son obligation de faire respecter les droits de l’homme sur l’ensemble de son territoire.
C’est en ce sens que le Comité des droits de l’homme a finalement statué en rejetant tous les arguments des autorités d’Alger et en déclarant que la dévolution de facto des pouvoirs de l’État partie au Polisario et l’administration des camps de réfugiés par ce dernier ne l’exonère pas moins de ses responsabilités.
Les experts de l’ONU ont donc réaffirmé l’obligation pour l’Algérie de protéger et de faire respecter l’ensemble des droits fondamentaux de toutes les personnes placées sous sa juridiction, quel que soit leur statut, en vertu du principe de territorialité et conformément à l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié en 1989.
Selon le Comité, il incombe de ce fait à l’État partie de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte.
Violation du droit à la liberté et à la sécurité de la victime
Alkarama avait également soulevé la question de la violation du droit à la liberté et la sécurité des personnes, droit consacré par l’article 9 du Pacte qui interdit toute arrestation et détention arbitraire en imposant à l’État partie un certain nombre de garanties procédurales.
En l’espèce, les agents du DRS qui ont arrêté M’Rabih Adda ne lui ont pas précisé les motifs de son arrestation ni présenté aucun mandat. Celui-ci a ensuite été maintenu illégalement en détention par les agents du Polisario bien au-delà du délai maximal légal de 12 jours et n’a donc jamais été présenté devant une autorité judiciaire compétente afin qu’il soit statué sur la légalité de sa détention.
Les experts ont ainsi conclu à la responsabilité de l’État partie du fait de la violation du droit de la victime à la liberté et à la sécurité consacré à l’article 9 du Pacte.
Le Comité relève des traitements cruels, inhumains et dégradants commis par les agents du Polisario
Concernant la détention au secret de 14 jours, les experts indépendants ont reconnu que celle-ci constitue une forme de torture au regard de l’article 7 du Pacte eu égard au « degré de souffrance qu’implique une telle privation de liberté sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie ».
Le Comité a également déclaré que les supplices infligés à la victime sont, en plus d’être contraires à l’article 7, une violation de son droit d’être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine tel que garantie par l’article 10 du Pacte.
Le Comité rejette les attaques politiques des autorités algériennes dirigées contre ALKARAMA et son directeur juridique
Au cours de l’examen de la plainte, le Comité a également rejeté l’ensemble des conclusions des autorités algériennes qui ont cru devoir échapper à leurs responsabilités en s’abstenant de répondre aux faits de violations avérés rapportés par Alkarama par des arguments juridiques pertinents et en cherchant à politiser la plainte par des accusations et des attaques personnelles dirigées contre Alkarama et son directeur, M. Rachid MESLI.
Face à la réponse officielle des autorités algériennes dénuée de fondement et dépourvue d’arguments juridiques pertinents et sans aucun lien avec la teneur de la plainte, les experts onusiens ont noté que « l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sur le fond » et ont ainsi rappelé l’obligation pour l’État partie de collaborer avec la procédure conformément à ses engagements internationaux.
Le Comité a donc conclu à la responsabilité complète des autorités d’Alger du fait des violations subies par M’Rabih Adda et leur ont intimé de procéder, dans le délai imparti, à une « enquête rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente » concernant les violations, et d’assurer un recours utile à la victime en lui accordant une réparation intégrale.
Alkarama veillera au suivi effectif de cette importante décision en collaboration avec le Comité des droits de l’homme des Nations Unies et attachera une attention particulière à la manière dont les autorités concernées la mettront en œuvre.