Algérie : l'affaire de l'enlèvement de Tewfik Djaou à Constantine devant le Comité des droits de l'homme de l'ONU

.

En février 2015, la famille de Tewfik Djaou, disparu depuis sont enlèvement en 1997 à Constantine par des agents du département des renseignements et de la sécurité (DRS), a sollicité Alkarama pour saisir le Comité des droit de l'homme des Nations Unies (CDH) d'une plainte relative à la disparition de leur fils dans le but de faire reconnaître officiellement la responsabilité directe des autorités algériennes ainsi que d'obtenir réparation.

L'auteur de la plainte, Monsieur Djaou Mohamed, président de la Coordination Nationale des familles de disparus (CNFD) père de la victime est un ancien combattant de l'armée de libération nationale (ALN) et a longtemps exercé en tant qu'officier de police à Constantine après l'indépendance. A ce titre, et en raison de son expérience passée de combattant de l'ALN et d'ancien officier de police, il avait été sollicité plusieurs fois par les services du DRS pour diriger une milice armée à Constantine au prétexte de « la lutte contre le terrorisme ».

Il avait ainsi été convoqué plusieurs fois à la caserne du DRS de Bellevue – commune de la wilaya de Mostaganem, située dans le nord-ouest du pays – où les officiers du DRS ont tenté de le convaincre de s'engager, offres qu'il a régulièrement déclinées. Face à son refus, les agents l'ont menacé de s'en prendre à lui et à sa famille. Quelques semaines plus tard, ceux-ci ont effectivement mis leurs menaces à exécution en enlevant son fils dans son local commercial au centre de Constantine.

Arrestation de Tewfik Djaou

Le 29 octobre 1997, Tewkif Djaou alors âgé de 35 ans se trouvait dans sa bijouterie avec son frère Farid et plusieurs employés lorsqu'aux alentours de 9h du matin, des agents en civil et en uniforme, lourdement armés, sont arrivés sur les lieux à bord de plusieurs véhicules. Les témoins présents ont rapporté que les militaires, venus en grand nombre, avaient fermé la rue à la circulation et que seuls trois d'entre eux étaient entrés dans la bijouterie.

Tous ces témoins ont également rapporté que les trois militaires, dont l'un avait été formellement reconnu, ont alors fouillé les lieux avant de s'emparer de la totalité des bijoux exposés en vitrine avant de demander à la victime d'ouvrir le coffre-fort dont ils ont vidé le contenu, volant ainsi une importante quantité de bijoux et la totalité de la somme d'argent qui s'y trouvait.

Déni de la part des autorités

Après avoir emporté les bijoux et l'argent, ils ont menotté Tewfik et l'ont introduit de force dans le coffre de l'un des véhicules avant de l'emmener vers une destination inconnue.

Informé de l'arrestation de son fils et réalisant alors que les services du DRS avaient mis leurs menaces à exécution, Mohamed Djaou s'est immédiatement rendu à la caserne de Bellevue et demandé à voir son fils. Les agents ont totalement nié détenir Tewfik.

La famille de la victime a cependant appris deux mois plus tard par un détenu libéré que leur fils se trouvait bien dans la caserne de Bellevue, témoignage qui sera confirmé le mois de mai suivant par un autre détenu libéré qui précisera même que Tewfik Djaou avait été sévèrement torturé, y compris à l'électricité durant sa détention.

Ni la justice ni les autorités militaires n'ont toutefois reconnu l'arrestation et la détention de Tewfik Djaou en dépit de toutes les démarches et tentatives de son père pour obtenir de ses nouvelles.

Plainte au Comité des droits de l'homme (CDH) onusien

Devant la mauvaise foi évidente des autorités algériennes à faire la lumière sur le sort de la victime et de restituer les bijoux volés par les agents du DRS, sa famille a donc fait appel à Alkarama afin de saisir le Comité des droits de l'homme (CDH), conformément au protocole facultatif au Pacte international sur les droits civils et politiques (PIDCP-OP1) – auquel l'Algérie a adhéré le 12 septembre 1989 – dans le but d'obtenir la reconnaissance officielle de la responsabilité des autorités algériennes dans la disparition de Tewfik Djaou, l'ouverture d'une véritable enquête sur les circonstances de sa disparition et la poursuite pénale des responsables de ce crime dont certains sont parfaitement connus et identifiés.

Dans le cours de l'année précédente, le CDH a rendu quatre décisions condamnant l'Algérie à la suite de plaintes soumises par Alkarama, reconnaissant ainsi les multiples violations à l'égard des victimes et les années de souffrance de leurs proches comme dans les cas de la famille Bourefis, des frères Fedsi, de Lakhdar Bouzenia et de Nedjma Bouzaout.

Suite à une décision du Comité condamnant un État pour des violations du Pacte international aux droits civils et politiques (PIDCP) – ratifié par l'Algérie en septembre 1989 – l'État dispose de six mois pour informer le CDH des mesures prises pour mettre en œuvre ladite décision.

Il est toutefois inquiétant de constater qu'aucune de ces décisions n'a été mise en œuvre à ce jour. Au contraire, pour seule réponse aux différentes décisions du CDH, les services de sécurité algériens aient convoqué les familles des plaignants pour les interroger au sujet de ces plaintes dans une opération qui s'apparente plus à des mesures d'intimidation et de représailles qu'à une réelle volonté de mettre en œuvre les décisions onusiennes et de mettre un terme aux souffrances des familles concernées.

Pour plus d'informations ou une interview, veuillez contacter l'équipe média à media@alkarama.org (Dir: +41 22 734 10 08).