
Les autorités marocaines ont procédé à la libération du détenu maroco-belge Abdelkader Belliraj, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, en vertu d’une grâce royale octroyée à l’occasion de la fête de l’Aïd al-Fitr, après dix-sept années de détention.
Cette libération intervient alors que le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA) avait, dans son Avis 27/2016 adoptée le 23 août 2016, conclu au caractère arbitraire de sa privation de liberté et enjoint les autorités marocaines à procéder à sa libération immédiate.
Contexte de l’affaire
Le procès d'Abdelkader Belliraj a été marqué par de graves violations de ses droits fondamentaux, suscitant de vives critiques de la part des organisations de défense des droits humains.
Arrêté le 18 janvier 2008 à Marrakech en l’absence de mandat judiciaire et sans qu’aucun motif ne lui ait été notifié, il a été soumis à une détention secrète d’une durée de vingt-huit jours, période au cours de laquelle il a subi des actes de torture et a été contraint de signer des procès-verbaux sans avoir pu en prendre connaissance et en l’absence de toute assistance juridique.
Les procès-verbaux rédigés à l’issue de cette détention ont modifié a posteriori la date, le lieu et les circonstances de son arrestation, la situant au 16 février 2008 à l’aéroport de Casablanca. Sa famille n’a été informée de son sort que le 20 février 2008, lorsque le ministre de l’Intérieur de l’époque, Chakib Benmoussa, a annoncé, lors d’une conférence de presse, le démantèlement d’une prétendue "cellule terroriste liée à Al-Qaïda", laquelle aurait été constituée en 1992 sous la direction de M. Belliraj. Toutefois, la majorité des individus arrêtés dans le cadre de cette affaire n’avaient aucun lien avec M. Belliraj ni entre eux. Parmi ces personnes figuraient notamment des membres du parti socialiste, cinq journalistes ainsi que des individus issus de courants islamistes.
Poursuivi pour avoir prétendument dirigé ladite organisation, Abdelkader Belliraj a été condamné, le 29 juillet 2009, à la réclusion criminelle à perpétuité, peine confirmée en appel et par la Cour de cassation. Toutefois, les juridictions marocaines n’ont à aucun moment pris en compte les allégations de disparition forcée, de détention secrète, de torture ainsi que de falsification des procès-verbaux, ni ouvert d’enquête à cet égard, en contradiction avec les obligations internationales du Maroc en matière de droits de l’homme.
Il convient de rappeler que les procès-verbaux établis durant la période de détention secrète désignaient M. Belliraj comme étant responsable de l’assassinat du Dr. Wabrane, survenu en Belgique le 3 octobre 1989. Ce chef d’accusation a conduit l’épouse de la victime à solliciter la réouverture de l’enquête auprès des autorités belges.
Toutefois, après un examen approfondi des conditions dans lesquelles les aveux avaient été obtenus, le parquet belge a conclu à l’absence de fondement pour toute poursuite à l’encontre de M. Belliraj, relevant que ses déclarations avaient été extorquées sous la torture et ne pouvaient, dès lors, être retenues comme éléments de preuve. Le tribunal de première instance en Belgique, dans un jugement rendu le 17 avril 2015, a également reconnu l’invalidité de ces déclarations.
Reconnaissance du caractère arbitraire de la détention
Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a qualifié l’arrestation et la détention de M. Belliraj d’arbitraires. Dans son Avis 27/2016, il a relevé de multiples violations de son droit à un procès équitable, depuis son interpellation jusqu’à sa condamnation définitive. Le Groupe a rappelé que l’interdiction de la torture revêt un caractère absolu en droit international et que toute déclaration obtenue par de tels moyens est dénuée de valeur probante.
Les experts onusiens ont en outre souligné que, a minima, les juridictions marocaines auraient dû diligenter une enquête indépendante et impartiale afin d’établir les faits allégués. Ils ont par ailleurs saisi la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats ainsi que le Rapporteur spécial sur la torture afin d’attirer leur attention sur ce dossier.
Malgré les recommandations formulées par le Groupe de travail en faveur d’une libération immédiate et d’une indemnisation pour les préjudices subis, Abdelkader Belliraj est demeuré incarcéré jusqu’à sa récente libération, intervenue à l’occasion d’une mesure de grâce royale.