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Aujourd'hui, 9 avril 2010, se sont achevées les séances de comparution de Mustafa Sayw et de Kamal Al-Na'san devant le Conseil de justice. Alkarama avait soumis le 27 octobre 2009 les cas de Mustafa et de Kamal ainsi que ceux de deux autres personnes, dont Malik Al-Na'san, le frère de Kamal, libéré après neuf mois de détention, au Rapporteur spécial sur la torture. Nous craignons que les aveux extorqués sous la torture n'aient été utilisés contre Mustafa et Kamal au cours de leur procès.

Mustafa Sayw et Kamal Al-Na'san ont été jugés au cours de la même audience avec d'autres personnes sur des accusations liées au terrorisme. Tous étaient suspectés d'être impliqués dans des activités terroristes, notamment dans l'explosion de deux bus à Ayn Alaq le 13 février 2007, explosion qui a fait de nombreuses victimes.

Après des mois d'interruption, le Conseil de justice a poursuivi à 15 h aujourd'hui la session d'interrogatoires. Kamal Al'Nasan a été interrogé concernant son rôle dans l'incident et la nature de ses liens avec les autres prévenus. La séance a ensuite été ajournée au 18 juin 2010, date à laquelle la séance d'interrogatoires des victimes va reprendre.

Lors des sessions, Kamal Al-Na'san a confirmé une partie des déclarations faites aux services de la sécurité intérieure et a rejeté celles faites sous la contrainte. Il a dit qu'il était innocent et qu'il n'avait jamais entendu parler de l'organisation Fatah Al-Islam, organisation qui serait à l'origine des incidents survenus dans le camp de réfugiés de Nahr Al-Bared au cours de l'été 2007 et de l'explosion du bus d'Ayn Alaq.

Avant la clôture de la session, le Président du Conseil de justice a, pour répondre aux requêtes des défendeurs, insisté pour que leurs droits soient respectés en détention. Mustafa Sayw, condamné à la peine de mort, avait demandé pour exprimer son désespoir à ce qu'il soit « exécuté au plus vite » tout en affirmant qu'« il était la «victime dans cette affaire » ; Yasir Al-Shaqiri a quant à lui déclaré que « tout ce qu'ils ont avoué pendant la séance d'interrogatoire a été obtenu sous la torture et les coups ». M. Al-Shaqiri a montré les tâches! de sang sur sa chemise, des tâches qui ont été faites 5 mois auparavant et a dit: « Manger, dormir, voir la lumière du jour, prier ne font-ils pas partie des droits élémentaires des prisonniers ? » Il a ajouté que 10 personnes parmi les prévenus dormaient dans une seule pièce de 2 mètres carré et qu'ils n'avaient droit à rien, si ce n'est des insultes et des coups. Même Guantanamo est mieux que ça...Si seulement un autre pays nous ouvrait les portes de ses prisons, on n'hésiterait pas à y aller plutôt que de rester ici. »

Contexte

Suspecté d'être lié à des activités terroristes, M. Sayw a été arrêté arbitrairement par des agents de la sécurité intérieure le 20 mars 2007. Lors de sa détention, il a été soumis à des mauvais traitements et de graves actes de torture par la section des services de renseignement libanais à Beyrouth. Il a été détenu au secret et placé en cellule d'isolement pendant 26 mois au centre de la section du service des renseignements de Beyrouth. De plus, il a été transféré à plusieurs reprises au sein de la prison de Roumieh d'une section à l'autre du centre de détention. Après avoir passé trois mois et demi au sous-sol des locaux sous l'autorit&e! acute; des services de renseignement, il a été transféré en mai 2009 au 2e étage de la section pour mineurs de la prison de Roumieh. Il a ensuite été emmené au 3e étage du même bâtiment où il a été battu et torturé par les autorités libanaises.

Kamal Al-Na'san a été arrêté le 26 février 2007 à son domicile au Mont-Liban. Il a été emmené au centre de la section des services de renseignement à Beyrouth où il a été torturé. M. Al-Na'san est resté détenu au secret et en cellule d'isolement pendant 9 mois au centre de la section des services de renseignement à Beyrouth et dans les locaux des mêmes services à la prison de Roumieh. Il a été détenu pendant 47 jours au sous-sol du centre de la section des services des renseignements. Là, il a été soumis à plusieurs reprises à des séances de tortures, et ce pendant plusieurs heures d'affilée. Les tortures subies par M. Al-Na'san sont comparables dans leur gravit&eacu! te; à celles subies par M. Sayw.

Tribunaux d'exception et tortures au Liban

Le Conseil de justice a été créé par la résolution No. 1905 du 12 mai 1923 et, de même que les tribunaux militaires, il s'agit d'une juridiction d'exception. Il continue d'exercer à ce jour des pouvoirs étendus. Le Conseil de justice est compétent pour toute affaire relevant de la sécurité interne ou externe de l'Etat telle que les crimes de trahison, d'espionnage ainsi que les atteintes à la sécurité ou à l'unité nationale, etc. La saisine du Conseil de justice se fait sur la base d'un décret officiel émis par le Conseil des ministres, en violation du principe de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif. De plus, ses ! décisions sont définitives et ne peuvent faire l'objet d'un recours devant une autre instance judiciaire, alors que le droit de faire appel est un droit fondamental du défendeur.

Les mauvais traitements subis par M. Al-Na'san et M. Sayw sont exemplaires des tortures dont souffrent les prisonniers libanais en détention. En octobre 2009, Alkarama a publié un rapport intitulé Torture in Lebanon : Time to break the pattern dans lequel notre organisation fait état de cas similaires et met au jour la pratique systématique de la torture au Liban.

Alkarama souhaiterait rappeler aux autorités libanaises leurs obligations en vertu de la Convention contre la torture, ratifiée en octobre 1989. Alkarama en appelle aussi aux juges pour qu'ils s'assurent que les déclarations faites sous la torture ne soient pas prises en compte et utilisées comme preuves dans quelque procédure que ce soit.