Egypte : 7 cas de décès sous la torture en moins de 40 jours

A l'occasion de la Journée internationale de soutien aux victimes de torture, Alkarama souhaite exprimer sa profonde préoccupation quant à l'augmentation des cas de décès sous la torture dans les centres de détention en Egypte et l'absence d'enquête impartiale et effective par les autorités. 

En moins de 40 jours, sept cas de décès dans les prisons et les postes de police nous ont été rapportés. . La cause présumée ? Insuffisance circulatoire aiguë. Explication qui contredit la cause réelle établie par les rapports médico-légaux et les témoignages des familles de victimes.

Heba Muhamad, Prison de Damanhour

Heba Muhamad, 32 ans, détenue à la prison de Damanhour, est décédée le 19 mai dernier.

Alkarama a reçu un rapport établi par le Dr Muhamad Ali Muqresh, inspecteur de la santé à Al Buhirah. Celui-ci mentionne avoir trouvé dans le dossier médical de la détenue des documents et des rapports médicaux qui montrent qu'elle se rendait régulièrement à l'hôpital pour changer les pansements d'une blessure d'environ 8 cm qu'elle avait à la fesse gauche. La plaie avait été recousue ; 6 points de suture sous-cutanés et 10 points cutanés. La cause présumée de cette blessure serait une chute de la victime. Un autre rapport a mentionné que la détenue s'était rendue plusieurs fois à l'hôpital de Damanhour durant le mois de mai. Elle avait une plaie en haut de sa cuisse gauche et souffrait de saignements anaux et d'une anémie aigue. Heba Muhamad est décédée dans des circonstances qui demeurent inexpliquées. Un rapport médico-légal du 19 mai évoque que le décès aurait été causé par une insuffisance circulatoire aigue.


Lors de l'autopsie effectuée par le Dr Muhamad Ali Muqresh, il a été découvert que la défunte avait des contusions à l'arrière de la jambe gauche, ainsi qu'une incision ouverte d'environ 8 cm dans le haut de la cuisse gauche. Elle avait également des marques sur son visage et son bras gauche.
Le Dr Muqresh a assuré que ces blessures ne pouvaient être dues à une simple chute et que le décès avait probablement été causé par des tortures. Cette hypothèse est renforcée par l'inexactitude des rapports médicaux de l'hôpital de Damanhour qui mentionnent que la blessure avait été recousue, alors que le corps de la victime ne portait aucune trace de points de suture.

Prison d'Alwadi Aljadid : 3 décès au mois de mai
Trois cas de décès de détenus nous ont été rapportés en l'espace d'un seul mois : Thabet Muhamad Ali, 56 ans, décédé le 3 mai dernier, Ibrahim Ali, 33 ans, décédé le matin du 19 mai et Uthman Dahi, 56 ans, décédé le 19 mai au soir.

Les rapports médicaux établissent les trois décès auraient été causés par une insuffisance circulatoire aiguë.

Décès dans les postes de police
Dans les cas de décès dans les postes de police qui sont survenus au cours des derniers mois, la cause présumée rapportée par les autorités est également « une insuffisance circulatoire aigue ».

Majdi Wadii, 54 ans, est décédé le 11 mai dernier alors qu'il était détenu au poste de police d'Assaf. Il était en détention provisoire dans le cadre d'une affaire de chèque sans provisions. Les enquêtes officielles ont révélé que l'accusé souffrait d'une insuffisance circulatoire aigue et qu'il devait être libéré juste avant son décès.

Ibrahim Mahrous Tawfiq, 35 ans serait décédé le 29 avril à cause « d'un état d'épuisement extrême » dont il aurait souffert alors qu'il était détenu au poste de police d'Embaba. Il a été transféré à l'hôpital, où il est décédé dès son arrivée. Selon le rapport médical, le décès aurait été causé par une insuffisance circulatoire aiguë.

Hussam Kamal Abdulbaqi, 26 ans, est décédé le 5 juin dans un hôpital public où il a été transféré suite à la détérioration de son état de santé alors qu'il était détenu au poste de police de Hilwan depuis le 12 mai.

Selon Hamdi Aziz, l'un des proches du défunt, un conflit aurait eu lieu entre Hussam et le chef des services de renseignement le jour de l'arrestation. Alors que l'officier tentait de le fouiller de force, Hussam lui a dit qu'il lui avait donné sa carte d'identité et qu'il n'avait aucun droit de le fouiller. Ce refus d'obtempérer a mis en colère l'officier qui a ordonnée que le jeune homme soit battu et conduitau poste de police.

Hussam avait déclaré à sa famille lors d'une visite que l'officier l'avait insulté à plusieurs reprises. Lorsque le jeune homme s'est indigné, l'officier a menacé de l'inculper sur la base d'une « affaire fabriquée ». Il a effectivement mis sa menace en exécution en l'accusant d'avoir été en possession de drogues. Il l'a par la suite humilié et agressé. Il a même ordonné aux autres prisonniers de le maltraiter. Dès le cinquième jour de sa détention, la santé de Hussam s'est détériorée. Il est devenu très pâle et a commencé à perdre rapidement du poids.

Dix jours durant, la famille de Hussam n'a cessé d'adresser des demandes au chef du poste de police pour que Hussam soit transféré à l'hôpital pour y recevoir des soins. Leur demande a été longtemps ignorée jusqu'à ce que la famille apprenne qu'il était soit décédé à l'hôpital. L'avocat de la famille a publié un communiqué dans lequel il accusait l'officier des services de renseignement et le chef du poste de police d'être à l'origine du décès de Hussam, que ce soit par la torture ou par la négligence qui a causé la dégradation de son état de santé. Le rapport du médecin légal a une fois de plus établi que la cause du décès était une insuffisance circulatoire aiguë.

Ahmed Mefreh, représentant d'Alkarama au Caire a déclaré : « L'Etat, à travers le ministère de l'Intérieur, est légalement responsable de toutes les prisons et centres de détentions ainsi que de la sécurité des détenus. Il est tenu de leur garantir l'accès à des soins médicaux et le contrôle de leur état de santé. Il est inacceptable qu'autant de décès surviennent en moins de 40 jours et soient qualifiés par les autorités de morts naturelles. Le ministère de l'Intérieur doit prendre ses responsabilités. »

Alkarama requiert des autorités égyptiennes qu'elles ouvrent des enquêtes sérieuses et indépendantes qui mettent au jour les circonstances de ces décès dans les prisons et les centres de détention. Elles doivent s'assurer que les causes de ces décès ne soient pas de nature criminelle.

L'augmentation du nombre de décès dans les prisons et les postes de police dans différentes régions, avec des détenus d'âges différents à chaque fois expliqués par une « insuffisance circulatoire aiguë » ne fait qu'accentuer les doutes quant à la cause et les circonstances réelles de ces décès.