Arabie saoudite : Le cas du citoyen yéménite Abdulsamed Esmail Mohammed Salem torturé à mort pendant sa détention devant les Nations Unies

Ambassade Saoudienne en Turquie

Le 3 avril 2023, Alkarama a saisi le Rapporteur spécial des Nations Unies (NU) sur les exécutions extrajudiciaires et la Rapporteuse spéciale sur la torture du cas d’Abdulsamed Esmail Mohammed Salem, homme d’affaires yéménite torturé à mort par des membres des services de sécurité saoudien au cours de sa détention au centre de l’Administration générale pour le contrôle des drogues à Jazan (sud-ouest).

Arrestation d’Abdulsamed Esmail Mohammed Salem

Le 9 septembre 2021, aux alentours de 15h30, une escouade de sécurité composée de 25 hommes armés affiliés au département de lutte contre les stupéfiants, dirigée par le lieutenant Hussein Jafari, a fait une descente dans le restaurant d’Abdulsamed Esmail Mohammed Salem dans le quartier de Sabya.

Selon plusieurs témoins, M. Salem qui se trouvait à l'intérieur de son restaurant a été violemment battu à coups de pied, de poing et de crosse de fusil. Il a ensuite été emmené de force à son domicile où il a également été battu sous le regard de sa femme et de ses trois enfants.

L’épouse de M. Salem a rapporté que le lieutenant Hussein Jafari qui a accusé son mari de détenir des sommes d'argent provenant du trafic de stupéfiants l’a interrogé sur l'endroit où leur argent était caché en le menaçant d'arrêter et d'emprisonner sa femme, ses deux filles et son fils handicapé s'il gardait le silence.

Les agents ont confisqué une forte somme d’argent et les bijoux de sa femme et de sa fille. Le restaurant de M. Salem a été fermé pendant une longue période et tous ses biens ont été saisis.

Selon la famille de  la victime les agents n'ont présenté aucun mandat avant de l'emmener de force vers une destination inconnue. Huit employés du restaurant ont également été arrêtés avant d'être relâchés quelques jours plus tard.

Torturé à mort pendant sa détention

Deux jours après son arrestation, M. Salem a été autorisé à passer un bref appel téléphonique à sa femme. Celle-ci a indiqué que pendant cet appel son mari pouvait à peine parler.

Le lendemain, 12 septembre 2021, l'épouse de M. Salem a reçu un appel téléphonique de la police qui l'a informée du décès de son mari et lui a demandé d’aller chercher le corps à l'hôpital d'Abu Arish. Cependant, la famille a refusé de récupérer le corps et a demandé un rapport médico-légal pour identifier la cause de sa mort.

L'épouse de M. Salem a déclaré que ce dernier était en bonne santé et n'avait jamais rencontré de problème au cours des 25 années qu'il avait passées en Arabie Saoudite.

Toutefois, elle a ajouté que son mari avait eu un grave désaccord avec son « kafil » (garant) saoudien après que son mari eut exprimé sa volonté de s’émanciper et de devenir un investisseur indépendant en sortant du "système de la Kafala" (système de parrainage).

Le "système de kafala" est un cadre juridique qui régit les relations entre les employés étrangers et leurs garants ou employeurs saoudiens. Ce système a été sévèrement critiqué pour la vulnérabilité à l'exploitation et à l'oppression des travailleurs étrangers en raison de la position supérieure du kafil.

Sous la pression internationale, l'Arabie saoudite a mis en place en mars 2021 de nouvelles conditions pour les travailleurs expatriés dans le Royaume dans le but d'améliorer le système. Les nouvelles conditions du système de kafala saoudien permettront aux travailleurs migrants de changer d'emploi à l'expiration de leur contrat de travail sans avoir besoin de l'approbation de leur ancien employeur.

Les lois récemment édictées prévoient également des mécanismes de transition. Les travailleurs migrants pourront ainsi voyager en dehors du pays, sous certaines conditions,  sans avoir à demander une autorisation préalable du kafil.

L'épouse de M. Salem a révélé que son mari avait justement déposé une telle demande un mois environ avant son arrestation, demande à l’origine du désaccord survenu entre son mari et son kafil.

M. Salem, décédé sous le coup des tortures

Dans sa communication adressée au Rapporteur spécial des NU sur les exécutions extrajudiciaires, Alkarama a mis en exergue la responsabilité des agents de l’Administration générale pour le contrôle des drogues de Jazan dans le décès de la victime.

Selon le rapport médico-légal établi à la demande de la famille, et dont Alkarama a obtenu une copie, ce dernier a été admis à l'hôpital d'Abu Arish le 9 septembre 2021, c'est-à-dire le lendemain de son arrestation.

A son arrivée, M. Salem présentait des « ecchymoses éparses », une « accumulation de sang sur le membre supérieur gauche et le côté gauche de la poitrine et de l'abdomen » et « plusieurs fractures des côtes ».

Toujours selon le rapport médical, dans la soirée du 12 septembre 2021, M. Salem qui avait des difficultés respiratoires « est mort des suites d’une embolie pulmonaire ».

En dépit de l’évidence du lien de causalité entre la mort de M. Salem et les tortures subies pendant sa détention, les plaintes déposées par la famille de M. Salem auprès du ministère public de Sabya ainsi que celle déposée par son avocat auprès du Conseil des doléances du royaume sont restées sans réponses.

M. Salem, arbitrairement arrêté

Sous prétexte et à la suite d’une dénonciation anonyme qu’il détenait des sommes d'argent provenant du trafic de stupéfiants, M. Salem a été arrêté sans mandat d'arrêt et sans flagrant délit.

Alkarama a souligné que conformément au rapport d'enquête criminelle en date du 29 novembre 2021 établi par le Département des enquêtes criminelles de la Division de la lutte contre le crime organisé et économique, ni l'enquête ni la perquisition du domicile de M. Salem n'ont révélé de preuves permettant de confirmer les accusations anonymes portées contre lui.

Le même rapport, qui décrit M. Salem comme un homme d'affaires sans aucun précédent judiciaire ou criminel connu dans son environnement social pour son bon comportement, confirme que ce dernier a été battu à mort pendant sa détention.

L’impunité des auteurs de crimes de torture

Dans sa communication, Alkarama a rappelé que lors du dernier examen périodique de l'Arabie Saoudite, le Comité contre la torture s'était dit profondément préoccupé "par les nombreuses informations portées à son attention selon lesquelles la torture et d'autres mauvais traitements sont couramment pratiqués dans les prisons et les centres de détention de l'État partie".

Le Comité avait alors appelé l'État partie à veiller à ce que les auteurs d'actes de torture fassent l'objet d'enquête et de poursuites rapides, efficaces et impartiales.

Cependant, sept ans plus tard, ces recommandations restent lettre morte et les autorités s’abstiennent toujours de poursuivre les responsables d’actes de torture.

Préoccupée par l’inertie persistante de l’Arabie Saoudite, Alkarama s’est donc adressée au Rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires et à la Rapporteuse spéciale des NU sur la torture pour leur soumettre cette situation.

L’Arabie Saoudite est tenue, en vertu de ses obligations internationales résultant de sa ratification de la Convention contre la torture, d’initier dans cette situation une enquête rapide, indépendante et impartiale sur le décès de M. Salem, de poursuivre ses tortionnaires et de les condamner en fonction de la gravité de leurs actes.

L’Arabie saoudite sera d’ailleurs prochainement examiné par le Comité de l’ONU contre la torture chargé de surveiller l’application de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par ses États parties.

Alkarama avait dernièrement soumis sa liste de questions à soulever par les experts du Comité dans le cadre du futur examen de l’état partie auquel elle participera de nouveau en soumettant un nouveau rapport alternatif.