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Algérie-ONU : Alkarama appelle à l’abrogation des articles du Code pénal qui criminalisent la liberté d’expression et d’association

hirak

À la suite des réformes du Code pénal introduites par l’adoption de la loi n° 20-06 du 28 avril 2020, Alkarama a demandé à plusieurs experts indépendants de se saisir conjointement de la situation des droits et libertés fondamentales en Algérie qui ne cessent de se dégrader depuis l’avènement du Hirak en février 2019. Les violations aux droits à la liberté d’expression, de rassemblement pacifique et d’association sont devenues systématiques avec de nombreux opposants politiques, journalistes et autres activistes pacifiques poursuivis et condamnés à de lourdes peines pour des faits qualifiés d’« atteinte au moral de l’armée » ou à «  l’intégrité du territoire national » par les autorités judiciaires, sans que de tels concepts n’aient jamais été définis.

Cette loi, présentée au parlement par le gouvernement, n’a fait l’objet d’aucun débat parlementaire ou public préalable. Ceci est d’autant plus préoccupant que les articles introduits dans le Code pénal restreignent indûment les droits à la liberté d’expression, de religion et d’association, dans un contexte déjà inquiétant de persécution systématique d’activistes pour toute critique pacifique des autorités. Loin de cesser ces poursuites pénales injustifiées, la dernière modification du Code pénal démontre que les autorités algériennes mettent en œuvre des moyens répressifs supplémentaires pour perpétuer ces violations.

Une criminalisation de la critique de tout agent de l’État

La loi modifie l’article 144 du Code pénal dans les termes suivants :

  • « Art. 144. — Est puni d’un emprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et d’une amende de 100 000 DA à 500 000 DA, ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque, dans l’intention de porter atteinte à leur honneur, à leur délicatesse ou au respect dû à leur autorité́, outrage dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion de cet exercice, un magistrat, un fonctionnaire, un officier public, un commandant ou un agent de la force publique, soit par paroles, gestes, menaces, envoi ou remise d’objet quelconque, soit par écrit ou dessin non rendu public.
  • Lorsque l’outrage envers un ou plusieurs magistrat(s) ou assesseur(s) - juré(s) est commis à l’audience d’une Cour ou d’un tribunal, l’emprisonnement est d’un (1) an à trois (3) ans et l’amende de 200 000 DA à 500 000 DA.
  • La même peine est applicable, lorsque l’outrage est commis envers un imam, à l’intérieur de la mosquée, à l’occasion de l’exercice du culte.
  • Dans tous les cas, la juridiction peut ordonner que sa décision soit affichée et publiée dans les conditions qu’elle détermine, aux frais du condamné, sans que ces frais puissent dépasser le maximum de l’amende prévue ci-dessus ».

De telles dispositions criminalisent de facto toute critique de la politique du gouvernement et interdisent tout débat politique ou publication d’informations qui seraient considérées par un juge comme une atteinte à l’autorité publique.
Lors du dernier examen de l’Algérie par le Comité des droits de l’homme en 2018, celui-ci avait déjà exprimé ses inquiétudes concernant la violation par les autorités algérienne des libertés fondamentales et en particulier la liberté ‘opinion et d’expression.
A ce titre les experts onusiens s’étaient déclarés préoccupés par le fait que les articles 144 et 144 bis, du Code pénal « continuent de criminaliser, ou de rendre passibles d’amendes, des activités liées à l’exercice de la liberté d’expression, telle que la diffamation ou l’outrage aux fonctionnaires ou aux institutions de l’État ».
Le Comité avait exprimé « ses préoccupations quant aux allégations faisant état de l’utilisation de ces dispositions pénales aux fins d’entraver les activités de journalistes ou de défenseurs de droits de l’homme ». Les experts avaient appelé l’État algérien à abroger cette disposition en vue de respecter ses obligations conventionnelles sous l’article 19 du Pacte.

Or, loin de mettre en œuvre cette recommandation, la nouvelle version de cet article aggrave les peines privatives de liberté applicables de deux (2) mois à deux (2) ans à six (6) mois à trois (3) ans pour les mêmes faits.

De plus, le champ d’application de l’article a été étendu en incluant parmi les agents de l’État susceptibles de faire l’objet d’outrage les imams dans les mosquées. Cet article introduit des poursuites pénales contre toute exprimant un désaccord avec le prêche d’un imam. Cela est d’autant plus problématique que les imams sont des fonctionnaires du ministère des Affaires religieuses, chargé notamment par voie de circulaire d’imposer les positions religieuses et politiques que les imams doivent impérativement adopter lors de leurs sermons. À titre d’exemple, de telles circulaires ont été adressées aux imams pour appeler les fidèles à ne pas manifester en utilisant des arguments religieux interdisant la contestation pacifique de l’autorité publique.

Comme affirmé par le Comité des droits de l’homme « [l]’obligation de respecter la liberté d’opinion et la liberté d’expression s’impose à tout État partie considéré dans son ensemble. Tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), ainsi que toute autre autorité publique ou gouvernementale à quelque échelon que ce soit − national, régional ou local −, sont à̀ même d’engager la responsabilité de l’État ». À ce titre, l’État ne peut pas criminaliser la critique pacifique de ses agents dans le cadre des débats politiques, que ces agents fassent partie du secteur judiciaire, de l’exécutif, du parlement, du corps des imams ou encore celui de l’armée. Le Pacte des droits civils et politiques accorde donc une importance particulière « à l’expression sans entraves dans le cadre des débats publics concernant des personnalités du domaine public et politique qui sont tenus dans une société démocratique ».

La criminalisation de la publication de « fausses nouvelles » : un prétexte pour poursuivre les personnes critiques et journalistes indépendants

La loi introduit un nouveau chapitre dans le Code pénal, un chapitre 6 bis intitulé « diffusion ou propagation des informations ou nouvelles portant atteinte à l’ordre et à la sécurité publics » comprenant l’article 196 bis rédigé ainsi qu’il suit :

  •  « Chapitre 6 bis : Diffusion et propagation des informations ou nouvelles portant atteinte à l’ordre et à la sécurité publics »
  • « Art. 196 bis. — Est puni d’un emprisonnement d’un (1) an à trois (3) ans et d’une amende de 100 000 DA à 300 000 DA, quiconque volontairement diffuse ou propage, par tout moyen, dans le public des informations ou nouvelles, fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à̀ la sécurité ou à l’ordre publics.
  • En cas de récidive la peine est portée au double ».

Dans son analyse soumise aux experts onusiens, Alkarama a souligné que l’article 196 (bis) était particulièrement vague et ne définissait pas ce que les autorités considéraient comme des « nouvelles fausses ou calomnieuses, susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre publics ». Ceci ouvre la voie à toutes les interprétations possibles et la poursuite de journalistes, activistes pacifiques ou toute personne diffusant ou partageant des contenus critiques bloquant ainsi tout débat public.

Alkarama a rappelé les principes dégagés par des experts de plusieurs institutions internationales : la « Déclaration commune sur la liberté d’expression et les « fausses nouvelles, la désinformation et la propagande ». Cette déclaration pose les principes permettant de protéger la liberté d’expression et de la presse face à la tendance globale de nombreux gouvernements à criminaliser la propagation de « fausses nouvelles ». Cette déclaration établit que : « [l] es interdictions générales de diffusion d’informations fondées sur des idées vagues et ambiguës, y compris les « fausses nouvelles » ou les « informations non objectives », sont incompatibles avec les normes internationales relatives aux restrictions de la liberté d’expression (…), et devraient être abolies ».

Plutôt que de criminaliser la liberté d’expression à travers l’adoption de telles lois, l’existence d’une presse libre, indépendante et diversifiée constitue le meilleur moyen de prévenir la désinformation. Les États ont donc l’obligation positive de promouvoir un environnement de communication libre, indépendant et diversifié, y compris la diversité des médias, qui demeure un moyen essentiel de lutter contre la désinformation et la propagande.

Or, le cadre juridique régulant la presse en Algérie est fixé par la loi organique n° 12-05 du 12 janvier 2012 relative à l’information, particulièrement restrictive. Cette loi impose que « les activités liées à l’information doivent s’exercer dans le cadre de normes de référence extrêmement diverses, parmi lesquelles l’identité nationale, les valeurs culturelles de la société, la souveraineté nationale et l’unité nationale ». L’existence d’un tel cadre aggrave la restriction introduite par le nouvel article 196 bis et place les journalistes indépendants dans une situation encore plus vulnérable.

Ainsi, loin de protéger le public contre la désinformation, cet article constitue un outil supplémentaire aux mains de l’exécutif pour contrôler l’information tant dans les médias traditionnels que sur les réseaux sociaux.

Criminalisation du financement des associations

La loi introduit l’article 95 bis du Code pénal selon lequel :

  • « Art. 95 bis. — Est puni d’un emprisonnement de cinq (5) à sept (7) ans et d’une amende de 500 000 DA à 700 000 DA, quiconque reçoit des fonds, un don ou un avantage, par tout moyen, d’un État, d’une institution ou de tout autre organisme public ou privé ou de toute personne morale ou physique, à l’intérieur ou à̀ l’extérieur du pays, pour accomplir ou inciter à̀ accomplir des actes susceptibles de porter atteinte à̀ la sécurité de l’État, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité et à l’ordre publics.
  • La peine est portée au double, lorsque les fonds sont reçus dans le cadre d’une association, d’un groupe, d’une organisation ou d’une entente, quelle qu’en soit la forme ou la dénomination ».
  • « Art. 95 bis 1. — Sans préjudice des peines plus graves, est puni d’un emprisonnement de cinq (5) ans à dix (10) ans et d’une amende de 500 000 DA à 1 000 000 DA, quiconque, se livre à̀ des actes mentionnés à l’article 95 bis, en exécution d’un plan concerté à l’intérieur ou à̀ l’extérieur du pays ».

Ces restrictions supplémentaires s’avèrent d’autant plus dangereuses pour la liberté d’association que celle-ci est déjà soumise à un régime juridique restrictif, en contradiction avec l’article 22 du PIDP. Alkarama a rappelé qu’à l’issue du dernier examen de l’État algérien par le Comité des droits de l’homme,  les experts onusiens avait exprimé leurs préoccupations quant à la Loi n° 12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations dont les dispositions limitatives soumettent l’objet et le but des associations à des principes généraux peu précis tels que l’intérêt général et le respect des constantes et des valeurs nationales.

Le Comité s’était également inquiété du fait « qu’en vertu de la Loi n° 12-06 :

  1. La création d’associations s’opère selon un régime d’autorisation ;
  2. La coopération avec des organisations étrangères, tout comme la réception de fonds provenant de l’étranger, est soumise à l’accord préalable des autorités ;
  3. Les associations peuvent être dissoutes par simple décision administrative pour « ingérence dans les affaires internes du pays ou atteinte à la souveraineté nationale ».

Enfin, le Comité avait exprimé ses inquiétudes quant aux « allégations nombreuses et crédibles faisant état du refus de l’administration d’accepter les statuts d’organisations déjà existantes mis en conformité avec la nouvelle loi, pratique limitant les libertés des associations et exposant les membres à de lourdes sanctions pour activité non autorisée ».

Par ailleurs, nous rappelons les principes généraux dégagés par le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association concernant l’accès aux ressources des associations dans le cadre de la protection de l’espace civique. Selon ces principes, « [l] la capacité de rechercher, de recevoir et d’utiliser les ressources est inhérente au droit à la liberté d’association et essentielle pour l’existence et le fonctionnement efficace de toute association».

En tant qu’élément essentiel pour la promotion des droits de l’homme, de la démocratie et de la primauté du droit, les associations doivent pouvoir agir sans entraves dans un environnement sûr et favorable, mis en place et protégé par l’état lui-même.

Or, les articles 95 bis et 95 bis 1 ajoutent aujourd’hui à ce cadre juridique déjà restrictif la criminalisation de l’accès aux ressources, et ce, quel qu’en soit la source. Il est à noter que l’article cite à la fois les sources internes et externes ainsi que celles provenant tant d’institutions publiques que privées. Par exemple, un financement obtenu des Nations Unies tomberait sous le coup de cet article, dès lors que les activités associatives seraient considérées comme « susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État, à la stabilité et au fonctionnement normal de ses institutions, à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale, aux intérêts fondamentaux de l’Algérie ou à la sécurité et à l’ordre publics ». Cet article va donc directement à l’encontre de l’obligation de l’État algérien de permettre aux associations de rechercher, de recevoir et d’utiliser des fonds étrangers et de « faciliter l’accès des organisations des droits de l’homme à des fonds dans le cadre de la coopération internationale et dans des conditions transparentes ».

Pour que les organisations des droits de l’homme puissent mener à bien leurs activités, il est indispensable qu’elles soient en mesure de s’acquitter de leurs fonctions sans restriction de financement. Ainsi, l’article 13 de la Déclaration des défenseurs des droits de l’homme dispose que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de solliciter, recevoir et utiliser des ressources dans le but exprès de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales par des moyens pacifiques ».

Le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association concernant l’accès aux ressources des associations avait affirmé dans ses principes généraux que « [l]a plupart des justifications avancées par les États pour limiter le financement étranger ne sont pas conformes à l’art. 22 par. 2 du PIDCP ». Pour sa part, le rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte antiterroriste avait déclaré que les États ne devaient pas invoquer la sécurité nationale pour justifier des mesures visant à supprimer l’opposition ou pour motiver des pratiques répressives à l’encontre de sa population. Il en va de même pour l’argument de la souveraineté contre les interférences extérieures régulièrement invoqué par les autorités algériennes pour discréditer ou poursuivre les défenseurs des droits de l’homme et activistes politiques pacifiques.

Les demandes d’Alkarama aux experts de l’ONU

Alkarama a appelé les experts indépendants à se saisir de cette question préoccupante, ajoutant que leur attention était d’autant plus nécessaire que les violations graves aux libertés fondamentales des Algériens étaient devenues systématiques depuis l’avènement du Hirak en février 2019. La dernière modification du Code pénal démontre que les autorités algériennes mettent en œuvre des moyens répressifs supplémentaires pour perpétuer ces violations.

L’État algérien devrait être appelé à prendre toutes les mesures nécessaires pour procéder à une révision de la Loi n° 20-06 du 28 avril 2020 afin de s’assurer qu’elle soit conforme à ses obligations conventionnelles en vertu des articles 19 et 22 du Pacte.

L’État devrait également être invité à mettre en œuvre les recommandations du Comité des droits de l’homme, exprimées dans ses Observations finales concernant le quatrième rapport périodique de l’Algérie, notamment celles relatives aux articles 19 et 22 du Pacte.

L’État devrait par ailleurs être appelé à réviser la loi organique no 12-05 du 12 janvier 2012, ainsi que Loi n° 12-06 du 12 janvier 2012, ainsi que recommandé par le Comité des droits de l’homme.

L’État devrait enfin être appelé à cesser toutes poursuites contre les défenseurs des droits de l’homme, journalistes, et autres activistes pacifiques pour avoir critiqué les autorités, poursuites justifiées systématiquement par la sécurité nationale. Il devrait enfin veiller à la remise en liberté immédiate de toute personne condamnée pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression.