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Tunisie : le Comité des disparitions forcées demande à la Tunisie de mettre en œuvre ses engagements

Du 7 au 8 mars 2016 s’est tenu l’examen initial de la Tunisie par le Comité des disparitions forcées (CDF) des Nations Unies dans le cadre de sa 10ème session. Avant cet examen, Alkarama a eu l’occasion de présenter les grandes lignes de son rapport aux experts du Comité lors d’une réunion préliminaire ; à cette occasion notre organisation a exprimé ses principales préoccupations sur la mise en œuvre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (CIPPDF) ratifiée au lendemain de la révolution de 2011 par la Tunisie.

Une absence de mise en œuvre de la Convention lourde de conséquences

Sur le plan de la législation interne, Alkarama a souligné que le Code pénal tunisien ne contient pas de définition du crime de disparition forcée conforme à l’article 2 de la Convention, ni en conséquence, de peine appropriée sanctionnant les auteurs de ce crime. Les membres du Comité ont quant à eux rappelé la nécessité de prévoir dans la législation interne des voies de recours en cas de refus de divulguer des informations sur les personnes privées de liberté. Ils ont également insisté sur l’importance de promulguer la loi de mise en œuvre de la Convention dans les meilleurs délais. Selon le gouvernement, une Commission technique a été mise sur pied en vue de finaliser un projet de loi relatif aux disparitions. Actuellement, les juges et les avocats peuvent invoquer directement les dispositions de la Convention, la Constitution tunisienne prévoyant que les Conventions internationales sont directement applicables dans le pays, mais ces derniers ont encore une connaissance limitée des textes internationaux relatifs aux droits de l’homme.

Un cadre juridique de la lutte contre le terrorisme qui ne prend pas en compte les obligations internationales du pays

Alkarama a rappelé au Comité que les dispositions de la loi organique n°26/2015 relative à la lutte contre le terrorisme, prévoyant notamment un délai légal de garde à vue de 15 jours − bien au-delà des standards internationaux de 48 heures −, augmentait les risques de détention au secret. La délégation officielle a invoqué la menace terroriste comme un obstacle à la construction d’un régime des droits de l’homme en Tunisie et a rappelé l’attaque du 7 mars à Ben Guerdane (Sud-Est) qui a fait une cinquantaine de morts. Les experts ont cependant fait valoir que la protection des citoyens passait avant tout par le respect des droits fondamentaux et rappelé qu’aucune circonstance exceptionnelle − y compris le terrorisme − ne pouvait être invoquée pour justifier la disparition forcée. Alkarama estime pour sa part que le contexte d’instabilité qui prévaut en ce moment dans le pays est encore trop souvent utilisé par les autorités pour justifier une surenchère sécuritaire.

Selon la Tunisie, « aucun cas de disparition forcée depuis 2011 »

M. Kamel Jendoubi −le Chef de la délégation – a souligné que le pays se trouvait dans une période de transition en rupture avec les pratiques liberticides du passé affirmant que depuis 2011, il n’y avait pas eu un seul cas de disparition forcée dans le pays. Alkarama considère cependant, qu’au sens de la Convention, les détentions au secret et non reconnues de personnes soupçonnées de terrorisme constituent une forme de disparition. Les nombreux témoignages reçus par Alkarama établissent en effet d’une manière incontestable que les familles des personnes arrêtées qui tentent d’obtenir des nouvelles de leur proche sont systématiquement confrontées à un déni des autorités qui ne reconnaissent ni le lieu, ni la réalité de la détention.

Radidja Nemar, responsable juridique pour l’Afrique du Nord d’Alkarama a déclaré à l’issue de l’examen que « pour assurer la non-répétition des crimes de l’ancien régime et bâtir les fondations d’un Etat respectueux des droits et libertés des citoyens, il est crucial que la Tunisie assure une véritable mise en œuvre de la Convention à travers une législation adéquate. Il faut éviter le piège de la dérogation aux droits fondamentaux au nom d’une situation exceptionnelle » en ajoutant que « le respect de règles fondamentales telles que l’interdiction de la disparition forcée et de la détention au secret doit être au cœur de toute politique, y compris la politique sécuritaire. »

Quelles sont les prochaines étapes ?

Compte tenu du lien étroit entre disparition forcée et risque de torture, il est fort probable que nombre des problématiques soulignées durant cette session soient encore au centre des prochaines discussions durant la revue de la Tunisie par le Comité des Nations Unies contre la torture (CAT) qui se tiendra du 20 au 21 avril prochain.

Alkarama appelle la Tunisie à mettre sur pied une véritable politique de prévention des disparitions forcées comme le prévoit la Convention et à s’abstenir d’invoquer la dégradation de la situation sécuritaire pour soustraire des individus à la protection de la loi. L’Etat partie dispose d’un délai d’un an pour soumettre au Comité des informations sur la mise en œuvre des recommandations formulées à la suite de cette 10ème session.

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