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L’État algérien condamné par le Comité des droits de l’homme de l’ONU dans l’affaire Mahmoud Boudjema

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Le Comité des droits de l’Homme (Comité DH), organe des Nations Unies chargé de la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ratifié par l’Algérie en 1989, a rendu une décision reconnaissant la responsabilité des autorités algériennes dans la disparition forcée de Mahmoud Boudjema.

Ce dernier avait disparu le 20 août 1996 à la suite de son arrestation par des militaires. Depuis cette date, la famille Boudjema est restée sans nouvelle de lui, malgré les nombreuses démarches entreprises auprès des autorités. Le 18 juin 2013, Alkarama avait alors saisi le Comité d'une plainte au nom de son fils pour faire constater les graves violations dont son père avait été victime.

Rappel des faits

Durant l’été 1996, un important dispositif militaire avait été déployé dans la Wilaya de Jijel dans le contexte de la guerre civile qui avait débuté quatre ans plutôt suite au coup d’état militaire de janvier 1992.

Dans la nuit du 19 au 20 août 1996, une unité de l’Armée nationale populaire (ANP) dirigée par le Commandant Salah Lebbah avait procédé à plusieurs dizaines d'enlèvements d’habitants du village Emir Abdelkader. Parmi les victimes se trouvait Mahmoud Boudjema, père de dix enfants, enlevé à son domicile par plusieurs militaires qui n’ont ni donné les raisons de l’arrestation ni précisé le lieu où il serait emmené.

Le lendemain, sa famille avait appris que l’un des habitants du village avait été contraint de remettre les victimes au secteur militaire opérationnel de Jijel à bord de son véhicule réquisitionné par l’armée.

Dans les jours qui ont suivi, de nombreuses familles des personnes arrêtées se sont rendues sur place pour s'enquérir du sort de leurs proches et connaitre les raisons de leur détention. Les militaires leur ont affirmé qu'ils n'étaient pas détenus dans la caserne et ont nié avoir procédé à des arrestations dans la commune au cours de cette nuit.

Démarches internes

Depuis l’enlèvement de M. Boudjema, sa famille est restée sans nouvelle de lui. Malgré les menaces et les représailles dont elle a souffert, son épouse a entamé de nombreuses démarches visant à faire la lumière sur son sort: elle s'était notamment rendue régulièrement auprès du secteur militaire de Jijel, des commissariats de police de la région ainsi qu'au parquet du tribunal de Taher.

Cependant, toutes les autorités sollicitées ont systématiquement refusé de donner suite à ses doléances. Ce n'est qu'en janvier 2005 que sa plainte a formellement été enregistrée par le tribunal de Taher. Celle-ci a cependant été classée quelques mois plus tard à la suite d'une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction sans qu'aucune enquête n'ait été diligentée.

Il convient également de rappeler que les voies de recours internes, déjà inefficaces, ont été rendues indisponibles suite à l’adoption de l’ordonnance n°06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. En effet, son article 45  interdit « toute poursuite à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues ». Face à cette absence de voie de recours interne, la famille a donc porté l’affaire devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU.

La décision du Comité

La Comité a donné une suite favorable à la plainte d'Alkarama, faisant droit à la demande du fils de la victime, en reconnaissant les violations dont lui et ses proches continuent d’être victimes depuis plus de 20 ans, tout en notant l’absence de collaboration des autorités algériennes. Ces dernières avaient contesté la recevabilité de la communication sans répondre sur le fond aux allégations soumises par le plaignant.

Dans sa décision, le Comité a notamment condamné les autorités pour la violation du droit à la vie, de l'interdiction de la torture, et du droit à la liberté et à la sécurité de la personne à l'encontre de M. Boudjema.

Le Comité a également reconnu que l'angoisse et la détresse résultant de l'incertitude quant au sort de la victime étaient également constitutives pour l’auteur de la communication et sa famille d'une violation de l'interdiction de la torture et de tout traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l’article 7 du PIDCP.

Absence de mise en œuvre de la décision onusienne

Dans sa décision, le Comité a exigé des autorités algériennes qu'elles mènent une enquête sur la disparition de la victime, qu'elles le libèrent immédiatement s'il est encore en vie ou remettent sa dépouille à sa famille au cas où il serait décédé.

Le Comité a insisté sur l'obligation pour l'Algérie de poursuivre, juger et punir les responsables de la disparition forcée subie par M. Boudjema, d'autant plus que ces derniers ont été identifiés, et de fournir une indemnisation adéquate à la famille, ainsi qu'à la victime si elle est encore en vie et de veiller à la non-répétition d’une telle violation.

Enfin, les experts du Comité ont enjoint à l’Etat partie de « revoir sa législation en fonction de l’obligation qui lui est faite au paragraphe 2 de l’article 2, et en particulier abroger les dispositions de l’ordonnance n° 06-01 incompatibles avec le Pacte, afin que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés dans l’État partie». Cette recommandation a de nouveau été formulée lors du dernier examen périodique de l’Algérie devant le Comité qui s’est tenu en juillet 2018.

L’Algérie disposait d’un délai de six mois pour mettre en œuvre la décision du Comité, qui a été adoptée le 30 octobre 2017. Près de neuf mois plus tard, aucune des recommandations formulées n’a été mise en œuvre.

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