Adnane Rahali

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 9 communications concernant 7 victimes


MAROC

Nos préoccupations :

  • Violation des droits de l'homme dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et recours aux aveux forcés, aux procès inéquitables et à la détention arbitraire à la suite des arrestations massives ayant suivies les attaques terroristes de 2003 ;
  • Absence d'enquêtes dans les cas de torture et l'impunité des auteurs ;
  • Manque d'indépendance du pouvoir judiciaire ;
  • Violations du droit à la liberté d'expression et représailles contre les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme ;
  • Violations du droit de réunion pacifique et usage excessif et disproportionné de la force par les autorités pour disperser les rassemblements pacifiques.

Nos recommandations:

  • Mettre en œuvre un mécanisme de révision et libérer les personnes arbitrairement détenues à la suite de procès inéquitables ;
  • Veiller à ce que des enquêtes impartiales, indépendantes et approfondies soient menées en cas de torture et autres violations graves des droits de l'homme, et à ce que les auteurs soient traduits en justice ;
  • Réformer l'administration pénitentiaire afin d'assurer l'indépendance des médecins et des experts légistes chargés de l’examen des détenus ;
  • Réformer le code pénal et supprimer toutes les dispositions qui restreignent le droit à la liberté d'opinion et d'expression et mettre fin aux représailles contre les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme ;
  • Assurer le respect du droit de réunion pacifique et éviter le recours excessif à la force.

A suivre :

  • 2 mai 2017 : Troisième examen périodique universel du Maroc devant le Conseil des droits de l’homme ;
  • 14 juin 2017 : Retard de deux ans dans la soumission du rapport initial du Maroc au Comité des disparitions forcées ;
  • 2 novembre 2017 : Soumission du rapport de suivi du Maroc au Comité des droits de l’homme ;
  • 25 novembre 2017 : Retard de deux ans dans la soumission du cinquième rapport périodique du Maroc au Comité contre la torture.

Les élections législatives qui ont eu lieu au Maroc en octobre 2016, ont abouti à la victoire du Parti Justice et Développement pour la deuxième fois consécutive. En décembre 2016, le Premier ministre Abdelilah Benkirane menait encore des consultations pour former un nouveau gouvernement, processus qui s'est avéré particulièrement laborieux. Au niveau législatif, en 2015, le ministre de la Justice a présenté un projet de réforme du code de procédure pénale afin de mettre le système judiciaire en conformité avec la Constitution de 2011 et les obligations internationales du Maroc en matière de droits de l'homme. Le projet énonce des mesures spécifiques en matière de garde à vue, établit des solutions de substitution à la détention et prévoit l'obligation pour la police judiciaire de procéder à l'enregistrement audio-visuel des interrogatoires. La réforme proposée n'a pas encore été adoptée. Cependant, le 9 juin 2016, le Conseil de gouvernement a adopté un nouveau projet de Code pénal qui a été sévèrement critiqué par certains membres de l'opposition invoquant une protection insuffisante des libertés individuelles. Le pays poursuit son processus de « vérité et réconciliation » pour remédier aux violations flagrantes des droits de l'homme commises entre 1956 et 1999, période connue sous le nom de « années de plomb », pendant laquelle des opposants politiques ont été soumis à la détention arbitraire, à la torture et aux disparitions forcées. Pourtant, les mêmes violations sont réapparues après les attentats de Casablanca de 2003, en particulier sous le prétexte de la lutte anti-terroriste. Ces violations n’ont cependant jamais été traitées par les autorités et des centaines de victimes de procès inéquitables continuent à être détenus arbitrairement. Enfin, certaines violations des droits de l'homme continuent d’être relevées dans le cadre du conflit du Sahara occidental qui reste une question politique délicate. En novembre 2016, Alkarama a adressé une plainte individuelle au nom de Salaheddine Bassir, un journaliste arrêté en juin 2015 et détenu arbitrairement à Laayoune suite à une condamnation fondée exclusivement sur des aveux obtenus sous la contrainte. M. Bassir, journaliste de RASD TV – la chaîne de télévision du Front Polisario – a été arrêté suite à sa couverture d'une manifestation à Smara en mai 2013, au cours de laquelle des affrontements violents ont éclaté. Malgré sa déclaration pendant son procès d’avoir été forcé d'avouer sous la contrainte, il a été condamné le 24 novembre 2015, à quatre ans de prison pour « complot, violence contre les policiers en service et dégradation des biens publics ».

Lutte anti-terroriste et persistance des violations des droits de l'homme

La loi anti-terroriste n° 03-03 de 2003, adoptée à la suite des attaques de Casablanca, restreint sensiblement les garanties fondamentales pour les personnes arrêtées et poursuivies sur la base de cette législation. Le texte de cette loi donne une définition vague et large du terrorisme et ne garantit pas le droit fondamental d'avoir accès à un avocat dès le début de l'arrestation. Actuellement, la période de garde à vue peut durer jusqu'à 12 jours pendant lesquels, les prévenus ne sont autorisés à consulter un avocat qu'une seule fois pendant 30 minutes sous la surveillance de la police, et ce, à l’issue des six jours en détention. Les nombreuses lacunes de la loi anti-terroriste ont conduit à des violations systématiques des droits fondamentaux, notamment des arrestations arbitraires, de la torture et des procès inéquitables. Le cas d'Abdelkader Belliraj, arrêté à Marrakech en 2008, illustre bien ces pratiques. Accusé de diriger un réseau terroriste, il a été détenu secrètement pendant 28 jours, période pendant laquelle il a été gravement torturé et contraint de signer des aveux l’incriminant, sans être autorisé à les lire. En juillet 2009, il a été condamné à la réclusion à perpétuité après un procès entaché d’irrégularités, au cours duquel le juge a refusé de prendre en considération les allégations de torture et de détention secrète de la victime. Le 23 août 2016, à la demande d'Alkarama, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA) a émis un avis qui qualifiant sa détention d’arbitraire et appelant à sa libération immédiate. Les autorités marocaines n'ont cependant jamais mis en œuvre cette décision. En octobre 2016, lors de l'examen du Maroc par le Comité des droits de l'homme, les experts de l'ONU ont fait écho aux principales préoccupations soulevées par Alkarama dans son rapport parallèle. Le Comité des droits de l'homme a notamment exprimé ses critiques concernant la définition vague et particulièrement large des crimes terroristes, à propos de la durée excessive de la garde à vue dans les affaires visées par la loi contre le terrorisme ainsi que ses inquiétudes sur la situation des victimes de détention arbitraire.

Obstacles à la prévention de la torture et l'impunité des auteurs

Malgré la ratification de la Convention contre la torture et de son Protocole facultatif (OPCAT), le Maroc souffre encore de graves lacunes en matière de prévention de la torture et la poursuite des auteurs de ces violations. L'établissement en 2004 de l’instance « Equité Réconciliation » pour remédier aux violations graves des droits de l'homme commises pendant les «années de plomb» sous le roi Hassan II, n'a donné lieu à l’ouverture d’aucunes enquêtes impartiales et exhaustives. Un tel processus aurait pu empêcher la répétition de violations passées mais cette absence de poursuites pénales a favorisé un climat d'impunité et des cas de torture ont réapparu dans les années qui ont suivi. De même, aucun des cas de torture portés à l'attention du pouvoir judiciaire au cours des dernières années n'a conduit à des enquêtes impartiales, alors que des centaines de condamnés restent en détention sur la base des seules preuves obtenues sous la contrainte. L'absence d'enquêtes appropriées est en partie due au défaut d'expertise médicale indépendante qui pourrait contribuer à établir des actes de torture. Les médecins-légistes actuellement chargés de l'examen des victimes de torture sont des fonctionnaires de la Délégation Générale à l'Administration Pénitentiaire et à la Réinsertion, institution qui relève directement du Roi et non du Ministère de la Santé, ce qui porte clairement atteinte à leur indépendance et leur crédibilité. L'absence d’examen médico-légal indépendant et impartial a été préjudiciable au droit à la vérité de la famille d'Adnane Rahali. Adnane, jeune étudiant en troisième année de droit à l’Université Ibn Zohr d’Agadir, a disparu le 17 décembre 2015. Craignant d'avoir été enlevé par les forces de sécurité, sa famille a sollicité Alkarama, qui a saisi le Comité des disparitions forcées d’un appel urgent. Quelques mois plus tard, le 2 mai 2016, Adnane a été retrouvé mort à proximité de l'université. L'examen mené par les autorités ne respectait pas les normes de base de l’expertise médico-légale et manquait d'informations élémentaires telles que le moment de la mort et la description de l'état du corps. Les autorités ont rejeté la contre-expertise sollicitée par la famille en lui demandant d’enterrer la victime après la première autopsie, renforçant les soupçons des proches quant à la responsabilité des agents de l'État dans sa mort. La prévention de la torture reste également problématique dans le pays. Les examens médicaux des personnes arrêtées – qui doivent être effectués automatiquement pour prévenir tout mauvais traitement ou abus – ne sont habituellement pas effectués et les rares examens demandés ne sont pas exécutés par une équipe médicale indépendante. La prévention de la torture n'est pas seulement un défi dès les premières heures de la garde à vue, mais aussi pendant les étapes ultérieures de la détention. Conformément à l'OPCAT, auquel le Maroc a adhéré en 2014, un mécanisme national de prévention doit être mis en place, doté de l'indépendance et des prérogatives nécessaires pour visiter et surveiller sans restriction tous les lieux de détention de manière à éviter la commission d’actes de torture et de mauvais traitements. En 2016, les autorités ont annoncé que ce rôle serait assumé par l'institution nationale des droits de l'homme – le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) –en dépit des préoccupations exprimées par les ONG locales critiquant son manque d'indépendance et d’efficacité lorsqu’il est saisi de cas de torture. En 2016, le CNDH a été examiné par le Sous-Comité de l'Accréditation de l'Alliance mondiale des institutions nationales de défense des droits de l'homme, lequel a décidé de lui renouveler le statut « A », statut habituellement accordé, conformément aux Principes de Paris, aux institutions nationales totalement indépendantes ; Alkarama avait contribué à ce dernier examen par la soumission d’un rapport par lequel elle exprimait ses principales préoccupations. Dans son rapport au Conseil des droits de l'homme, en vue de l'examen périodique universel du Maroc qui se tiendra en mai 2017, Alkarama a également exprimé de sérieuses inquiétudes quant à l'absence de prévention, d'enquêtes et de poursuites judiciaires à l'encontre des auteurs d’actes de torture.

LE TROISIÈME EXAMEN DU MAROC PAR LE COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Alkarama a soumis son rapport aux experts de l'ONU en septembre 2016, en vue du 3ème examen périodique du Maroc par le Comité des droits de l’homme qui a eu lieu les 24 et 25 octobre 2016. Elle a abordé dans ce rapport de nombreuses questions allant du déficit d'indépendance du pouvoir judiciaire aux violations des droits de l'homme commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Le rapport a également abordé la question des restrictions aux libertés d'expression et de réunion pacifique et des causes de la persistance de l’impunité en raison de l'absence d'enquêtes et de poursuites judiciaires suite au processus initié par l’instance « Equité et Réconciliation ». Dans ses Observations finales, le Comité a fait écho aux recommandations d'Alkarama, y compris en ce que les autorités n'avaient pas encore réglé le passif des violations antérieures et indemnisé les victimes ou leurs familles. Le Comité a également demandé aux autorités marocaines d'enquêter sur les allégations de torture et exprimé son inquiétude quant aux menaces et aux représailles subies par les victimes de torture qui dénoncent publiquement ces abus. Les membres du Comité des droits de l'homme ont également demandé à l'État de mettre sa loi anti-terroriste en conformité avec les normes internationales, notamment en ce qui concerne les garanties procédurales. En outre, Alkarama a attiré l'attention des experts de l'ONU sur la persistance des restrictions aux droits fondamentaux des militants, des défenseurs des droits de l'homme et des journalistes, qui entravent leurs activités légitimes et pacifiques. En effet, malgré une révision récente du Code de la presse, plusieurs délits de presse restent passibles d'emprisonnement. Le Comité a ensuite recommandé au Maroc de modifier sa législation pénale pour se conformer à l'article 19 du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) qui garantit le droit à la liberté d'opinion et d'expression. Enfin, Alkarama a souligné l'usage excessif de la force par la police lors des rassemblements et des manifestations pacifiques. Le Comité s'est déclaré préoccupé par l'utilisation excessive et disproportionnée de la force pour disperser les réunions pacifiques non autorisées, mais aussi par le fait que les rassemblements publics sont soumis à une notification préalable, ce qui est impossible dans certains cas. Le Comité des droits de l'homme a déclaré que le Maroc devait veiller à ce que la loi sur les manifestations pacifiques soit appliquée conformément aux dispositions du Pacte et que l'exercice de ce droit ne soit pas soumis à des restrictions excessives.