Protest by families of enforcibly disappeared persons in Constantine, Algeria

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 47 communications concernant 34 victimes.


Algérie

Nos préoccupations:

  • Restrictions excessives aux droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association;
  • Répression et harcèlement judiciaire d’activistes pacifiques et de journalistes ;
  • Refus persistant de mettre en œuvre les décisions du Comité des droits de l’homme ;
  • Violation des garanties procédurales, procès inéquitables et détention arbitraire ;
  • Manque d'indépendance du pouvoir judiciaire et impunité des auteurs de violations des droits de l'homme.

Nos recommandations:

  • Garantir en droit et en fait le respect des droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d’association ;
  • Mettre fin à toute forme de répression contre les militants des droits de l'homme et les journalistes;
  • Enquêter sur les crimes commis pendant la guerre civile et mettre fin à l'impunité en poursuivant les auteurs;
  • Abroger la Charte pour la paix et la réconciliation nationale;
  • Réviser la loi antiterroriste afin de la rendre conforme aux normes internationales en matière de respect des droits fondamentaux ;
  • Coopérer activement et de bonne foi avec les procédures spéciales des Nations Unies et les organes des traités.

A suivre:

  • 8 mai 2017: Troisième examen périodique universel de l'Algérie devant le Conseil des droits de l'homme;
  • 20 juin 2017: Retard de cinq ans dans la soumission du quatrième rapport périodique de l'Algérie au Comité contre la torture;
  • 1er novembre 2017: Retard de six ans dans la soumission du quatrième rapport périodique de l'Algérie au Comité des droits de l'homme.

L'échec continu des autorités algériennes à engager des réformes juridiques, politiques et économiques durables suscite la crainte de l'imminence d'une grave crise sociale et politique car le pays n'a pas su diversifier son économie et reste fortement tributaire des exportations d'hydrocarbures. Au lendemain de la guerre civile dans les années 90, les autorités ont pu acheter la paix sociale grâce aux revenus de ses exportations de pétrole et de gaz. Toutefois, la forte baisse des prix du pétrole a récemment eu un impact significatif sur l'économie du pays et a accru ses déficits budgétaires. Le 7 février 2016, le Parlement a adopté, sans discussion préalable, le projet de Constitution annoncé par le Président Bouteflika après le début des soulèvements arabes de 2011. À cette époque, celui-ci avait promis d'entreprendre des réformes constitutionnelles profondes visant à évoluer vers une société plus libre et démocratique. La nouvelle Constitution a été publiée dans le journal officiel le 7 mars 2016. Conformément à son article 179, la nouvelle Constitution réintroduit la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, disposition que le Président Bouteflika avait supprimée en 2008 afin d’être réélu pour un troisième mandat en avril 2009. Bien que l'indépendance du système judiciaire soit consacrée par l'article 156 de la nouvelle Constitution, le pouvoir exécutif joue toujours un rôle prépondérant dans les processus de nomination et de promotion des juges. Le Conseil supérieur de la magistrature est contrôlé par l'exécutif qui nomme la plupart de ses membres, remettant ainsi en cause l'indépendance des juges.

Répression accrue des journalistes et des défenseurs des droits humains

Si la nouvelle Constitution réaffirme les droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association, les lois d’application les limitent d’une manière drastique. En effet, les dispositions héritées de l'état d'urgence, qui a été levé en février 2011, restent de facto en vigueur, interdisant ainsi les manifestations et les rassemblements publics à Alger et soumettant la création de partis politiques et d'associations à l'approbation préalable du pouvoir exécutif. En 2016, Alkarama a observé une recrudescence des persécutions contre les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme ainsi qu'une dangereuse instrumentalisation de la justice pour museler les voix dissidentes et réprimer toutes critiques. Cette pratique a été facilitée par la loi n° 12-05 de 2012 sur l'information, qui a été dénoncée par la société civile et les experts des Nations Unies comme limitant le droit à la liberté d'expression et d'information et criminalisant les critiques pacifiques des fonctionnaires sous prétexte de "diffamation". Ainsi, les journalistes et les activistes continuent à subir des représailles pour s’être exprimés sur les abus des autorités et la corruption dans le pays. C'est dans ce contexte que de nombreux blogueurs et activistes pacifiques ont été poursuivis et condamnés pour des actes relevant de leur droit à la liberté d'expression. En effet, la majorité d’entre eux a été condamnée à de lourdes peines en vertu des articles 87 bis 4 et 5 du Code pénal, qui sanctionnent les individus pour «apologie du terrorisme» ou pour la diffusion de documents considérés comme «encourageant le terrorisme» et définissent le crime de « terrorisme » d’une façon large et vague. Le 24 novembre 2016, Alkarama a saisi le Rapporteur Spécial de l'ONU sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte contre le terrorisme du cas d’Adel Ayachi et Tijani Ben Derrah, deux blogueurs et militants des droits de l'homme condamnés à des peines de prison, après une année de détention préventive, sous prétexte d’«apologie du terrorisme». Les deux militants ont été arrêtés suite à leur participation à un rassemblement pacifique organisé à Alger pour protester contre les attaques répétées contre la liberté d'expression et pour réclamer la libération d’Hassan Bouras. Le 28 novembre 2016, Hassan Bouras, journaliste indépendant et président du bureau local de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme (LADDH), a été condamné à un an de prison ferme pour «complicité d’outrage à un corps constitué» et «exercice de la profession de journaliste sans autorisation». Cette condamnation fait suite à la diffusion par la chaîne de télévision londonienne Almagharibia du témoignage de deux hommes victimes de violences policières enregistrés par Hassan Bouras. Les deux victimes ont également été déclarées coupables d'un «outrage à un corps constitué». Le procès s'est déroulé sous la protection d’un dispositif policier qui avait été déployé autour du palais de justice pour prévenir toute manifestation publique. Alkarama a également documenté le cas de Mohamed Tamalt, 42 ans, décédé le 11 décembre 2016 à l'hôpital de Bab-el-Oued à Alger à la suite d'une longue grève de la faim et d'un coma de trois mois. Le journaliste, qui résidait au Royaume-Uni, a été arrêté le 27 juin 2016 à Alger. Le 11 juillet, il a été déféré devant le tribunal correctionnel d'Alger et a été condamné à deux années de prison ferme pour "outrage à corps constitués et à la personne du Président", pour avoir critiqué le chef de l’Etat et des responsables politiques sur son compte Facebook. Après détérioration sérieuse de sa santé, il a été transféré de la prison à l'hôpital Bab-el-Oued où ni sa famille ni ses avocats n'avaient été autorisés à lui rendre visite. De même, ils n'ont pas eu accès à son dossier médical et n'ont donc pu obtenir aucune information sur sa mort suspecte.

Déni constant du droit à la vérité et à la justice des familles de disparus

Le 30 août 2016, journée internationale des victimes des disparitions forcées, Alkarama a publié un rapport public dénonçant le déni du droit à la vérité et à la justice des familles de disparus. Plus de 20 ans après le début de la guerre civile déclenchée à la suite du coup d'état militaire de janvier 1992, les familles ne connaissent toujours pas le sort de leurs proches qui étaient parmi les milliers d'individus enlevés par les autorités. A ce jour, celles-ci persistent à refuser de faire la lumière sur le sort des « disparus » malgré les décisions et recommandations des Nations Unies leur enjoignant de dire la vérité aux familles, d’enquêter sur ce crime de masse et d’en poursuivre les auteurs. Aujourd'hui, les conséquences sur les familles des victimes restent présentes et profondes. Longtemps stigmatisées comme « familles de terroristes » et constamment soumises aux menaces et aux représailles, elles continuent à se heurter au déni constant de l’Etat algérien et à la négation de leur droit à connaitre la vérité. L’année 2016 a marqué les dix ans de la création de la «Charte pour la paix et la réconciliation nationale» qui a institutionnalisé le déni des autorités de leur responsabilité pour ces crimes et a imposé le silence aux familles. En Algérie, les familles des disparus peuvent être poursuivies pour avoir manifesté et réclamé pacifiquement leur droit de connaître la vérité sur le sort de leurs proches. Le 30 septembre 2016, Alkarama a saisi en urgence le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires des Nations Unies (GTDFI) du cas de 20 défenseurs des droits de l'homme et membres de familles de disparus violemment interpellés la veille par la police alors qu'ils manifestaient pacifiquement devant le siège de l'Assemblée Nationale à Alger pour réclamer justice et vérité. Depuis, Alkarama a continué à soutenir les familles des disparus en soumettant plusieurs cas de disparition forcée au Comité des droits de l’homme. Le 26 mai 2016, Alkarama a soumis encore le cas de Boubekeur Fergani, professeur d'histoire et père de cinq enfants qui avait été arrêté arbitrairement à son domicile à Constantine dans la nuit du 22 juin 1995. Sa famille ne l'a jamais revu depuis. Il a été enlevé dans le cadre d'une opération de grande envergure dans la ville de Constantine au cours de laquelle de nombreux militants et sympathisants du Front Islamique du Salut (FIS) étaient visés. Sa femme a révélé que le lendemain de l'opération, de nombreux cadavres de victimes jonchaient certaines rues de Constantine et des environs, mais que son mari n'était pas parmi eux. Après plus de 20 ans de recherche sans relâche, son épouse continue, en vain, de demander aux autorités de l’informer sur le sort de son mari. De même, en septembre 2016, Alkarama a soumis le cas de Sadek Rsiwi, un ancien combattant de l'Armée Nationale de Libération et père de huit enfants, au Comité des droits de l’homme des Nations Unies. M. Rsiwi a disparu en 1996 après avoir refusé de prendre la tête d'une milice armée locale à la demande du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), refusant ainsi de s'impliquer dans la guerre civile.

FOCUS: QUESTIONS URGENTES À SOULEVER PENDANT LE PROCHAIN EXAMEN PÉRIODIQUE UNIVERSEL

Le 22 septembre 2016, Alkarama a présenté au Conseil des droits de l'homme son rapport sur la situation des droits de l'homme en Algérie, en vue du troisième examen périodique universel qui se tiendra en mai 2017. Le rapport contient 18 recommandations visant à renforcer Le respect des droits de l'homme par les autorités. Entre autres, Alkarama a soulevé la question des violations graves des droits fondamentaux des détenus, y compris la restriction du droit de communiquer soit avec un avocat soit avec un membre de sa famille dès le début de l'arrestation, l'absence de confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients, ainsi que la durée légale excessive de la période de garde à vue. Alkarama a également soulevé des inquiétudes concernant le cadre juridique contre le terrorisme, qui repose sur une définition large et vague du terrorisme en vertu de laquelle les individus peuvent rester maintenus en garde à vue pendant une période allant jusqu'à 12 jours. En outre, Alkarama a souligné que les autorités algériennes restreignent et sanctionnent des actes relevant du droit à la liberté d'opinion et d'expression, de réunion pacifique et d'association. Après les élections présidentielles de 2014, plusieurs mouvements de protestation pacifiques ont été violemment réprimés et de nombreuses personnes arrêtées, dont des journalistes et autres travailleurs des médias critiquant le gouvernement. Alkarama a rappelé que les «rassemblements pacifiques» étaient toujours criminalisés en vertu de l'article 98 du Code pénal et qu'en dépit de la fin de l'état d'urgence en 2011, ces manifestations restent interdites dans la capitale. Les associations restent également soumises à un contrôle strict de l’exécutif, la législation actuelle conférant au Ministère de l'Intérieur le pouvoir discrétionnaire de refuser l'enregistrement d'une association sous prétexte qu'elle ne respecte pas « les valeurs nationales, l'ordre public, la pudeur publique et les dispositions de la législation existante ». Enfin, Alkarama a souligné le fait que les autorités refusent constamment de coopérer avec les procédures spéciales et les organes de traités des Nations Unies, entravant ainsi gravement le droit à la réparation des victimes et de leurs familles. En effet, à ce jour, aucune des décisions émises par le Comité des Droits de l’Homme n'a été mise en œuvre et malgré de nombreux rappels, la visite demandée par le GTDFI en 2006 n'a toujours pas été autorisée.