Militias in Iraq

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 115 communications concernant 58 victimes


IRAK

Nos préoccupations :

  • Pratique systématique de la disparition forcée par des agents de l'État et des milices affiliées aux Unités de Mobilisation Populaire ;
  • Pratique systématique de la torture et usage d'aveux forcés dans des procès inéquitables devant la Cour pénale centrale d’Irak ;
  • Condamnations à la peine de mort et exécution des sentences ;
  • Utilisation de la loi antiterroriste pour justifier toute forme de répression.

Nos recommandations :

  • Prendre toutes les mesures nécessaires pour que personne ne soit détenu au secret et faire la lumière sur le sort de toutes les personnes disparues en coopérant efficacement avec les mécanismes de droits de l’homme l'ONU;
  • Enquêter sur les allégations de torture et veiller à ce que les aveux extorqués par ce moyen ne soient pas admis comme preuve dans les procès;
  • Abolir la peine de mort ou adopter un moratoire en vue de son abolition complète ;
  • Amender la loi antiterroriste pour la rendre conforme au droit international.

A suivre :

  • 14 août 2017 : retard de deux ans dans présentation du rapport de suivi de l'Irak au Comité contre la torture ;
  • 18 septembre 2017 : retard de deux ans dans la présentation du rapport de suivi de l'Irak au Comité des disparitions forcées ;
  • 4 novembre 2017 : retard de deux ans dans la présentation du rapport de suivi de l'Irak au Comité des droits de l'homme.

2016 a été marquée par l'escalade continue de la violence en Irak, avec pour conséquence de graves violations des droits de l'homme. Les violences subies par les civils, qui sont les premières victimes du conflit, ont été sans précédent. Selon les chiffres des Nations Unies, cette année, le conflit a fait plus de 6,500 morts, alors que dans le cadre d’une crise humanitaire continue, le nombre total de personnes déplacées a atteint 3,4 millions. En janvier 2016, l'armée irakienne a assiégé la ville de Falloujah, tombée dans les mains de l'Etat islamique (EI) en 2014. En février, l'armée a repris les villes d'Al Karmah et de Ramadi, puis le 3 mai, après un siège prolongé, elle a lancé la « bataille de Falloujah », ville qui a été reprise un mois plus tard. Le 20 octobre 2016, des troupes irakiennes et kurdes, soutenues par la coalition menée par les Etats-Unis, ont entamé une opération massive pour reprendre Mossoul, la deuxième plus grande ville du pays. Le climat persistant d'insécurité a été illustré par deux attentats meurtriers à Baghdad le 3 juillet 2016 revendiqués par l’EI. Avec un bilan de 250 morts, le gouvernement irakien a estimé que ces attaques étaient les plus meurtrières depuis l'invasion américaine de 2003. Le lendemain, le Premier ministre et le ministère de la Justice ont publiquement appelé à l'exécution des condamnés qui se trouvent dans les couloirs de la mort, affirmant que ceci « serait une punition juste de ceux dont les mains sont souillées par le sang des Irakiens ». Cinq exécutions ont eu lieu en représailles le même jour, sans aucune précision sur les crimes reprochées aux condamnés. Le 26 novembre, le Parlement a adopté un projet de loi reconnaissant les unités de Mobilisation Populaire (UMP) – une organisation qui regroupe environ 40 milices placées sous le contrôle du ministère de l'Intérieur – en tant qu'entité gouvernementale opérant aux côtés de l'armée. Composées principalement de combattants de milices chiites, les observateurs pensent que cette démarche ne ferait qu'élargir encore plus les divisions sectaires dans la société. Sur le plan politique, 2016 a été marqué par les luttes contre le système sectaire de quotas et le remaniement gouvernemental, après que le Premier ministre ait annoncé en février qu'il voulait nommer des technocrates et recomposer le cabinet formé en 2014 fondé sur les blocs politiques du Parlement. Cependant, il a fait face à une opposition significative des forces politiques, puisque les membres du Parlement ont organisé un sit-in et ont boycotté les sessions pour exprimer leur désaccord avec les listes présentées par le premier ministre. Parallèlement, plusieurs manifestations appelées par le clergé chiite de Muqtada Al Sadr ont été organisées dans la capitale tout au long de l'année. En avril, il a publié une déclaration demandant la démission de tous les ministres, après quoi des manifestants se sont rassemblés dans la capitale pour exiger un nouveau gouvernement et dénoncer le sectarisme ainsi que la corruption.

La lutte contre le terrorisme : une porte ouverte aux abus

La réaction du gouvernement irakien face à la détérioration de la sécurité et à l'intensification de la lutte contre l’EI a créé un climat propice aux violations graves des droits de l'homme, dont beaucoup ont été perpétrées au nom de la lutte contre le terrorisme. De ce fait, de nombreuses personnes accusées de terrorisme sans motifs raisonnables, ont été soumises à la torture, aux exécutions sommaires, aux disparitions forcées et aux procès inéquitables, en violation de leurs droits les plus fondamentaux. Au cours de la bataille de Falloujah en mai 2016, Alkarama a reçu plusieurs témoignages selon lesquels des civils sunnites fuyant la ville assiégée avaient été abattus, tandis que des centaines de résidents locaux avaient été détenus et gravement torturés « pour déterminer leur appartenance à l’EI », par les forces de l’armée irakiennes et les milices chiites de la Mobilisation Populaire parrainées par l’Etat. Les personnes déplacées des zones sous contrôle de l’EI ont également été arrêtées et disparues pour avoir été suspectées d'être des « partisans » d'organisations terroristes. En septembre, Alkarama a documenté le cas de trois hommes déplacés de leur ville natale de Mossoul et Ramadi – villes alors sous contrôle de l’EI – disparus entre mai et juin 2015 après avoir été arrêtés aux postes de contrôle aux mains d’une brigade du Hezbollah soutenue par l'Etat. De plus, les procès de personnes soupçonnées de crimes terroristes ne respectent pas les garanties procédurales, tandis que les avocats qui les représentent continuent d'être harcelés par les autorités. En Irak, la loi antiterroriste prévoit la peine de mort, qui est systématiquement prononcée par la Cour Pénale Centrale (CPC) – une juridiction sans aucune garantie d'indépendance – après des procès expéditifs sur la seule base d’aveux extorqués sous la torture ou d'informations fournies par des « informateurs secrets ». L’Irak est le troisième Etat au monde à faire usage de la peine de mort. Le gouvernement irakien a maintes fois affirmé que la peine capitale constituait un moyen de « dissuasion contre les actes de terrorisme ». Ces pratiques sont illustrées par le cas de Salih Al Dulaimi, professeur d'ingénierie à l'Université d'Anbar, accusé de terrorisme et condamné à mort le 12 mai, uniquement sur la base d'informations prétendument fournies par les renseignements américains et ses aveux sous la torture. Le juge a refusé de prendre en compte son témoignage et a affirmé qu’il s’était « auto-infligé » ses blessures.

La pratique systématique de la disparition forcée

L’Irak est le pays du monde le plus touché par les disparitions forcées : on estime à un million le nombre de disparus. À l'époque de Saddam Hussein, quelques 250,000 personnes ont disparu, puis le phénomène s'est intensifié au cours de l'invasion américaine en 2003, pour devenir aujourd'hui une pratique systématique et généralisée, avec les forces de sécurité et les milices affiliées qui agissent en toute impunité. Cette année, Alkarama et l’ONG Al Wissam Humanitarian Assembly ont documenté de nombreux cas de disparitions forcées et les ont transmis aux mécanismes des droits de l'homme de l'ONU. Ces violations suivent toujours le même schéma : les victimes sont généralement arrêtées par les forces de sécurité lors de raids à domicile puis sont détenues dans des lieux secrets sans possibilité de communiquer avec le monde extérieur, tandis que leurs proches ne disposent d'aucune information quant à leur sort et à leur lieu de détention. Ils sont sévèrement torturés au cours de leur détention au secret, souvent dans le but d'extorquer des aveux. C'est le cas de Mohamad Al Jabouri, réapparu en prison en septembre 2016 après avoir été disparu pendant plus d'un année au cours de laquelle il a été condamné à mort par la CPC pour « crimes terroristes » sur la base d'aveux sous la torture. Des enlèvements de ce type sont également perpétrés par les milices pro-gouvernementales agissant aux côtés des forces de sécurité, en particulier celles affiliées aux Unités de Mobilisation Populaire dans la lutte contre l'EI. Par exemple, Dawood Al Issawi, agriculteur de 67 ans, a disparu le 8 juin 2014 après son arrestation par la police fédérale et le régiment de l’Imam Sadiq – l'aile armée du parti politique Badr et membre des UMP – dans la province de Salah Al Din. Jusqu'à présent, son destin et son lieu de séjour restent inconnus, malgré les mesures prises par le Comité des Nations Unies des disparitions forcées (CDF) saisi par Alkarama et Al Wissam Humanitarian Assembly en septembre 2016. De plus, le sort de centaines de personnes disparues pendant l'occupation américaine demeure inconnu. Cette année, Alkarama a continué à documenter des cas de disparitions suite à des arrestations par les forces américaines et à les soumettre à l'ONU : le cas de Mazen Al Izzi, disparu après avoir été arrêté par l'armée américaine le 10 janvier 2004, en est un exemple. Quatre ans plus tard, un ancien prisonnier a informé les membres de sa famille qu'il était détenu avec lui dans la cinquième division de l’armée à Kadhimiyah, au nord de Baghdad. Quand ils ont demandé des informations à son sujet, les autorités ont nié toute implication dans sa détention. Plus de dix ans se sont écoulés depuis, et malgré tous leurs efforts, ses proches sont à ce jour sans aucune information quant à son sort et son lieu de détention.

REPRESSION DES ACTIVISTES DES DROITS DE L’HOMME

Cette année encore, les défenseurs des droits de l'homme, en particulier ceux qui documentent des violations des droits humains, ont été victimes de harcèlement et d'attaques par les forces de sécurité irakiennes et des milices affiliées en représailles contre leur travail. Parmi les victimes de cette répression figurent des membres de l'ONG Al Wissam Humanitarian Assembly, qui a documenté de nombreux cas de disparitions forcées et les a soumis, avec Alkarama, aux mécanismes des droits de l'homme de l'ONU. Le 6 mars 2016, deux membres de l'ONG, Imad Amara et Faisal Al Tamimi, ont été arrêtés à Baghdad. Menottés et les yeux bandés, ils ont été emmenés dans un endroit inconnu où ils ont été sévèrement battus, insultés et menacés pendant qu'ils étaient interrogés sur leur travail. Quelques mois auparavant, le fondateur de l'ONG, Salam Al Hashimi, avait également fait l'objet de représailles : il avait été menacé par des membres des forces de sécurité et un mandat d'arrêt l'accusant de terrorisme avait été émis contre lui en décembre 2015. Alkarama a soumis ces cas au Secrétaire général de l'ONU, qui, dans son rapport annuel de septembre 2016, a fermement condamné les mesures de rétorsion contre les trois hommes. Cette année, Alkarama et l'Observatoire irakien des droits de l'homme ont également soulevé le cas de l'avocat et défenseur des droits de l'homme Waee Al Jabouri au Comité des disparitions forcées. Le 19 août 2015, M. Jabouri a été arrêté à un poste de contrôle par la milice Liwa Al Sadr, un groupe armé des UMP, et n'a jamais été revu depuis. Ses collaborateurs les plus proches, ses amis et sa famille, pensent qu'il a été arrêté et a disparu en représailles contre son activisme car deux jours auparavant, il avait rencontré plusieurs autres militants pour organiser une manifestation pacifique.