Anti Slavery Protest in Mauritania

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 21 communications concernant 7 victimes


MAURITANIE

Nos préoccupations :

  • Harcèlement judiciaire des défenseurs des droits de l'homme, en particulier des militants antiesclavagistes ;
  • Manque de volonté ou de politique efficace pour éradiquer définitivement l’esclavage ;
  • Conditions inhumaines de détention et recours systématique à la torture ;
  • Manque de volonté de s'attaquer aux violations les plus graves des droits de l’homme ;
  • Manque d'indépendance de la Commission nationale des droits de l'homme.

Nos recommandations :

  • Mettre un terme aux représailles contre les défenseurs des droits de l’homme, en particulier contre les militants antiesclavagistes ;
  • Mettre en œuvre les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme et veiller à ce que les lois nationales y soient conformes ;
  • Veiller à ce que les conditions de détention soient conformes aux règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ;
  • Assurer l'indépendance de la CNDH et améliorer l'efficacité de son mécanisme de plainte.

A suivre :

  • Janvier 2017 : Publication du rapport du Sous-Comité sur l'accréditation de la Commission nationale des droits de l’homme ;
  • Mars 2017 : Présentation au Conseil des droits de l’homme du rapport du Rapporteur spécial sur la torture à la suite de sa visite en Mauritanie ;
  • 31 mai 2017 : Soumission du troisième rapport périodique de la Mauritanie au Comité contre la torture ;
  • Juin 2017 : Présentation au Conseil des droits de l'homme du rapport du Rapporteur spécial sur l'extrême pauvreté et les droits de l’homme sur sa visite en Mauritanie ;
  • 1er novembre 2017 : Soumission du deuxième rapport périodique de la Mauritanie au Comité des droits de l’homme ;
  • 3 novembre 2017: présentation du rapport initial de la Mauritanie au Comité des disparitions forcées avec un retard trois ans.

En 2016, le président Mohamed Ould Abdel Aziz a annoncé son intention de modifier la Constitution, ce qui a été vivement dénoncé par l’opposition considérant cela comme une manœuvre pour briguer un troisième mandat et se maintenir au pouvoir. Le 29 septembre 2016, un dialogue national de dix jours - impliquant 450 personnalités - a été lancé afin de discuter des amendements à la Constitution, à la suite de quoi le Président a annoncé qu'il ne modifierait pas la limite à deux mandats et qu'un référendum constitutionnel serait organisé en 2017. En mai 2016, Philip Alston, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme, a visité le pays, soulevant dans son rapport plusieurs questions, y compris celle de la persistance de l'esclavage, malgré son abolition en 1981 et sa criminalisation en 2007. En 2016, l’indice mondial de l’esclavage a estimé qu’environ 43 000 personnes en Mauritanie – soit 1,06% de la population totale du pays – vivaient dans des conditions d'esclavage moderne ou traditionnel. En mai 2016, seules deux personnes ont été condamnées par les nouvelles juridictions pénales spécialisées en matière de répression de l’esclavage, en dépit de quoi nous notons la persistance de cette pratique ainsi que les représailles contre des activistes anti-esclavagistes comme le montrent les nombreux témoignages reçus par Alkarama.

Répression des défenseurs des droits de l’homme et des militants anti-esclavagistes

Tout au long de l'année 2016, les défenseurs des droits de l'homme, en particulier les militants anti-esclavagistes, ont étés victimes de harcèlement judiciaire. Malgré la libération de deux activistes, Biram Dah Abeid et Brahim Ould Bilal Ramdane, le 19 mai 2016, d’autres militants abolitionnistes ont été arrêtés et poursuivis moins de deux mois plus tard. Début juillet 2016, 13 membres de la résurgence de l'Initiative du Mouvement Abolitionniste (IRA) ont été arrêtés pour avoir participé à une manifestation contre l'expulsion forcée des habitants Harratines d’un quartier de Nouakchott, au cours de laquelle de violents affrontements ont éclaté. Alkarama a lancé un appel urgent à plusieurs procédures spéciales de l'ONU, appelant les autorités à les libérer immédiatement et à abandonner toutes les accusations portées contre eux. Pourtant, le 18 août 2016, ils ont été condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement allant de 3 à 15 ans, sur la base d'aveux obtenus sous la torture et à la suite d'un procès manifestement inéquitable. Le 19 octobre 2016, un groupe de sept experts de l'ONU a publié un communiqué de presse dans lequel ils considéraient que ces poursuites avaient « des motivations politiques ». Ils ont également souligné que les autorités mauritaniennes, connues pour leur hostilité à toute critique émanant de la société civile, étaient encore moins tolérantes envers des groupes comme l'IRA « dont les membres proviennent de la minorité Harratine et œuvrent pour éradiquer l'esclavage ».

Persistance de la torture et des mauvais traitements

Du 25 janvier au 3 février 2016, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, Juan E. Méndez, a effectué sa première visite officielle en Mauritanie pour évaluer la situation concernant la pratique de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Comme l'a souligné Alkarama dans une note adressée au Rapporteur spécial avant sa visite, le principal problème est celui de l'absence de mécanismes efficaces pour prévenir et / ou enquêter sur les cas de torture. Après sa visite, l'expert de l'ONU a fait écho à ces préoccupations, notant que « les garanties contre la torture et les mauvais traitements sont en place, mais ne fonctionnent pas». Il a souligné, en particulier, l'absence d'enquêtes sur les allégations de torture et l’absence d'expertise médico-légale. Il a également jugé que les conditions de vie des détenus étaient inhumaines et a exhorté les autorités à faire en sorte que leur détention soit conforme aux normes internationales. Le recours à la torture dans le but d’obtenir des aveux, qui seront ensuite utilisés au cours de procès inéquitables pour entrainer une condamnation, demeure une préoccupation majeure. Le cas de Yaya Cissé, ressortissant malien arbitrairement détenu et condamné à mort à la suite d'un procès inéquitable sur la base d'aveux obtenus sous la torture, illustre bien ce phénomène. En octobre 2016, Alkarama a saisi le Groupe de travail sur la détention arbitraire de l'affaire afin d'appeler les autorités mauritaniennes à sa libération immédiate et à garantir le droit de chaque accusé à un procès équitable, notamment en excluant toute preuve obtenue sous la torture. La visite du Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en octobre 2016, suite à la ratification par la Mauritanie du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture a été particulièrement bien accueillie par la société civile locale. Les experts ont évalué, entre autres, le travail de la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH) autorisée à visiter les centres de détention dans tout le pays et chargée de mettre en place le mécanisme national de prévention contre la torture (MNP). Les experts ont noté que le MNP, créé en 2016, doit faire face à des défis majeurs, notamment en termes de financement et d'indépendance.

Déficit d'indépendance de la Commission nationale des droits de l'homme

En 2016, Alkarama a contribué à l'examen de la CNDH par le Sous-Comité de l'Accréditation (SCA) de l’Alliance Globale des Institutions Nationales des Droits de l'Homme, qui s'est tenu en novembre. Suite à un processus de consultation avec de nombreux activistes locaux, Alkarama a présenté un rapport, co-signé par huit ONG mauritaniennes des droits de l'homme, dans lequel elle a fait part de ses préoccupations. Elle a en particulier souligné le manque d'indépendance et de transparence de la CNDH. Alors que la CNDH a été réformée en 2012, son indépendance demeure discutable dans la pratique puisqu’elle relève directement de l'exécutif qui contrôle la nomination de ses membres, excluant systématiquement et sans aucune justification les ONG les plus actives et les plus critiques de ce processus de nomination. En avril 2016, plusieurs ONG ont publié une déclaration publique dans laquelle elles dénonçaient l'opacité du processus de désignation des membres de la CNDH. Alkarama a observé que la CNDH n'a pas réussi à gagner la confiance de la grande majorité des organisations travaillant sur des sujets sensibles tels que l'esclavage, la torture et la détention arbitraire, pour n’avoir jamais abordé publiquement ces questions depuis sa création. Les organisations locales ont notamment dénoncé l'alignement de la CNDH sur la position officielle des autorités, en affirmant que l'esclavage avait été « éradiqué » et en félicitant les forces de sécurité de ne pas avoir recours à la torture, ignorant les nombreux cas de torture documentés dans le pays. Alkarama constate que la CNDH ne respecte pas pleinement les Principes de Paris et ne peut donc pas jouer le rôle attendu d'une institution ayant le statut "A". En conséquence, Alkarama a formulé huit recommandations visant à renforcer l'indépendance de la Commission, à rétablir la confiance de la société civile envers elle, à améliorer l'efficacité de son mécanisme de plainte et à adopter une approche plus critique vis-à-vis du gouvernement. En janvier 2017, le SCA publiera un rapport évaluant l'indépendance et l'efficacité de la CNDH après son examen.

L'EXAMEN PÉRIODIQUE UNIVERSEL – MANQUE D’ENGAGEMENT POUR REPONDRE AUX QUESTIONS LES PLUS URGENTES DU PAYS

Le 16 mars 2016, le Groupe de travail chargé de l'examen périodique universel a adopté son rapport énonçant les recommandations faites à la Mauritanie par les États Membres de l'ONU lors de son examen en novembre 2015. Avant cet examen, Alkarama avait présenté un rapport sur la situation des droits de l'homme dans le pays dans lequel elle avait fait part de ses préoccupations, notamment la persistance de la torture, l'esclavage, la détention arbitraire et les mauvais traitements infligés aux détenus, ainsi que les restrictions au droit à la liberté d'opinion et d'expression, de réunion pacifique et d’association, qui empêchent la société civile de fonctionner efficacement. Les Etats membres de l’ONU ont relayé les préoccupations d'Alkarama, incluses dans le résumé d’informations qu’elle leur avait transmis avant l'examen. Ainsi, de nombreux pays ont exprimé la nécessité de renforcer la lutte contre l'esclavage et la torture et de libérer les défenseurs des droits de l'homme détenus arbitrairement. Toutefois, la Mauritanie n'a pas accepté les recommandations qui invitent le gouvernement à prendre des mesures concrètes pour prévenir les violations des droits de l'homme, en libérant par exemple des victimes détenues arbitrairement, en promulguant et en appliquant des lois interdisant et criminalisant les violations des droits de l'homme ou encore, celles relatives à la ratification du Premier Protocole se rapportant au Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques.