The Specialised Criminal Court in Saudi Arabia

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 65 communications concernant 20 victimes


ARABIE SEOUDITE

Nos préoccupations :

  • L’absence des droits et libertés fondamentaux et de garanties juridiques en particulier relatives au procès équitable ;
  • La répression systématique des militants des droits de l’homme ;
  • La pratique persistante de la détention arbitraire et de la torture, y compris contre les mineurs ;
  • Violations graves des droits de l'enfant.

Nos recommendations:

  • Adopter un Code pénal et appliquer un régime pénal particulier aux mineurs de moins de 18 ans;
  • Veiller au respect des droits à la liberté d'opinion et d'expression, d'association et de réunion pacifique ;
  • Mettre fin à la pratique de la détention arbitraire et de la torture ;
  • Assurer des enquêtes indépendantes sur tous les cas de torture et de mauvais traitements et garantir le droit à un recours effectif ;
  • Modifier le droit interne et veiller à ce qu'il soit conforme aux obligations de l'État en vertu de la Convention contre la torture.

A suivre:

  • Janvier 2017 : Visite du Rapporteur spécial sur l'extrême pauvreté et les droits de l'homme ;
  • 13 mai 2017 : Soumission du rapport de suivi de l'Arabie saoudite au Comité contre la torture.

Alors que le prix du pétrole continuait de chuter en 2016, le gouvernement s’est fixé pour objectif de diversifier son économie et trouver des solutions alternatives à la forte dépendance du pays au pétrole. Dans le but de conserver son rôle majeur dans la région et au-delà, l’Arabie Saoudite a lancé son plan «Vision 2030» qui vise à moderniser le pays en augmentant les revenus non-pétroliers et les contributions du secteur privé afin de générer des emplois pour sa très jeune population. Alors que certains économistes ont qualifié cette vision d’«irréaliste», d’autres la voient simplement comme une autre tentative des autorités saoudiennes d’apaiser ses citoyens. Cependant, une chose est claire, le changement envisagé ignore le côté le plus important du développement humain : les droits et libertés fondamentales. Le 2 janvier 2016, les tensions avec l'Iran se sont aggravées pour atteindre un nouveau sommet, lorsque les autorités saoudiennes ont exécuté 47 personnes, la deuxième plus grande mise à mort collective de son histoire. Le religieux chiite, Cheikh Nimr Al Nimr, figurait parmi les personnes exécutées. En signe de protestation, ses partisans ont manifesté dans la province orientale du pays ainsi qu'en Iran où l'ambassade saoudienne a été prise d'assaut et incendiée. Cela a entraîné l'expulsion de diplomates iraniens du Royaume saoudien, ainsi que des représentants saoudiens en Iran, et la rupture de toute relation diplomatique entre les deux pays. Quatre des 47 hommes exécutés en janvier étaient mineurs au moment des délits qui leurs étaient reprochés, tandis que d'autres souffraient de déficiences mentales. La grande majorité de ces victimes n'ont pas bénéficié d'un procès équitable. Avec un total de 154 exécutions en 2016, le recours à la peine de mort en Arabie saoudite reste un sujet de grave préoccupation. En mars 2016, la nouvelle loi sur les associations est officiellement entrée en vigueur. C'est la première loi du genre à réglementer la création d'organisations de la société civile (OSC) en Arabie Saoudite. Plusieurs dispositions de cette loi ont étés formulées de manière particulièrement vague dans le but d’exclure ou de refuser l’enregistrement de toutes OSC sous des motifs divers tels que «violations de la charia islamique», «contradiction avec la morale publique» ou de «violations de l'unité nationale». Bien que les OSC puissent activer dans divers domaines avec l'autorisation du ministère du travail et du développement social, y compris dans les domaines caritatifs ou éducatifs, la loi exclut cependant toute référence aux droits de l'homme ou à l'activité politique. En outre, interdit aux fondations et aux associations étrangères de créer des branches en Arabie Saoudite et soumet les OSC nationales au contrôle direct des autorités de leurs activités et leur fonctionnement ; celles-ci doivent par exemple obtenir l'accord préalable du ministère du travail et du développement social pour recevoir des fonds étrangers. Par ailleurs, l'intervention militaire de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite au Yémen s'est poursuivie tout au long de 2016, alors que les négociations restent un échec. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH), depuis le début des bombardements en mars 2015, il y a eu en moyenne 13 victimes civiles par jour. Un rapport publié par le HCDH en août 2016 a révélé qu'au moins 2,8 millions de personnes, soit plus de 400 000 familles, ont été déplacées à l'intérieur du pays, alors que plus de 80% de la population a un besoin urgent d'aide humanitaire. Dans le même temps, l'Arabie saoudite a participé à des frappes aériennes contre l'Etat islamique en Syrie et en Irak. Le 28 octobre, en dépit de la situation inquiétante des droits de l'homme dans le pays, l'Arabie saoudite a été réélue membre du Conseil des droits de l'homme pour un troisième mandat de trois ans.

L'absence de garanties juridiques fondamentales

La gouvernance en Arabie Saoudite est fondée sur la Sharia (loi islamique) telle qu'interprétée par le Conseil des grands oulémas, la plus haute autorité religieuse du Royaume. Le pays dispose d'une loi fondamentale qui ne garantit cependant pas tous les droits et libertés publiques. En outre, le Royaume n'a pas de Code pénal, laissant l'interprétation des textes juridiques existant à la discrétion des juges. Ainsi le bureau des enquêtes et les autorités chargées des poursuites du ministère de l'Intérieur, disposent d’une grande marge de manœuvre, en pratique, y compris pour qualifier rétroactivement toutes actions de crimes. Les témoignages recueillis par Alkarama ont mis en évidence que cette incertitude juridique a souvent permis d’accuser des victimes de crimes vaguement définis, comme celui d’exprimer un «doute sur l’intégrité des responsables» ou de «rompre le lien d'allégeance au roi». Considérant que le Code de procédure pénale saoudien ne contient aucune disposition garantissant le droit de contester la légalité de la détention, Alkarama a continué à documenter les cas où des personnes ont été privées de leur liberté pendant des mois, voire des années avant d'être déférés devant une autorité judiciaire. Le cas de Salim Abdullah 32 ans, illustre bien cette problématique. Il a été arrêté en décembre 2014, sans mandat d'arrêt officiel ou sans qu’il ne soit informé des motifs retenus contre lui. Il a ensuite été détenu au secret pendant six mois et torturé afin d'obtenir des aveux. Au cours des deux dernières années, il n'a pas été autorisé à consulter un avocat ni à comparaître devant une autorité judiciaire. Malheureusement, ce cas n'est pas isolé, mais constitue un exemple de violations courantes dues à l'absence de garanties juridiques essentielles. De plus, la plupart des prisonniers d'opinion et des détenus politiques sont jugés devant la Cour pénale spécialisée (CPS), juridiction d’exception établie en 2008 pour juger les affaires de terrorisme et de la sécurité de l'État. Cette juridiction enfreint systématiquement les garanties fondamentales d’un procès équitable ; ses juges sont directement nommés par le ministre de l'Intérieur, les audiences sont souvent tenues en secret, les victimes n'ont pas accès à leur dossier pénal et sont même parfois interdites d’assister à leur propre audience. Les avocats qui défendent des affaires devant cette juridiction sont parfois interdits d’accéder à la salle d'audience et sont souvent forcés d’abandonner la défense de leurs clients s'ils ne sont pas eux-mêmes poursuivis pour avoir été «déloyaux envers l'État».

Violations des droits de l'homme à l'encontre des mineurs

Alkarama est extrêmement préoccupée par les violations récurrentes des droits fondamentaux des enfants par les autorités saoudiennes. Les mineurs font également face à des violations systématiques de leur droit à un procès équitable. Ils peuvent être jugés et condamnés comme des adultes s'ils portent des «signes physiques de la puberté», une décision qui est laissée à la discrétion des juges. Une telle cruauté envers les enfants est illustrée par le cas de Murtaja Algariras qui a été arrêté par la police en septembre 2014, alors qu’il n’avait que 13 ans. Au cours de l'enquête, il a été torturé pour extraire de faux aveux concernant sa prétendue participation à des «rassemblements illégaux». Plus de deux ans après son arrestation, Murtaja attend toujours d’être officiellement inculpé et aucune date n'a été fixée pour son procès. Le 7 octobre 2016, le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a publié ses observations finales sur le troisième et quatrième examen périodique de l'Arabie saoudite. Le Comité s'est déclaré profondément préoccupé par le fait qu'en Arabie saoudite, les enfants de plus de 15 ans sont jugés comme des adultes. Et en tant que tels, ils continuent à être condamnés à mort et exécutés à la suite de «procès inéquitables». Le Comité a rappelé avec préoccupation que sur les 47 personnes exécutées le 2 janvier 2016, au moins quatre étaient âgées de moins de 18 ans lorsqu'elles ont été condamnées à mort par la CPS. Plus encore, les violations des droits de l'homme se sont également étendues au Yémen. Selon le rapport annuel du Secrétaire général des Nations Unies, publié le 2 juin 2016, l'Arabie saoudite faisait partie de la "liste de la honte" pour avoir tué et blessé plus de 1 000 enfants à la suite des frappes et des raids aériens menés par la coalition qui ont ciblé les écoles et les hôpitaux.Cependant, quatre jours plus tard, suite à la pression des autorités saoudiennes, le Secrétaire général de l'ONU a décidé de retirer la Coalition saoudienne de la «liste», en attendant les «conclusions d’[un] examen joint» des cas inclus dans le texte du rapport.

LA TORTURE, UNE PRATIQUE PERSISTANTE EN L'ABSENCE DE GARANTIES JURIDIQUES

Cette année, Alkarama a contribué en avril à l'examen de l'Arabie saoudite par le Comité contre la torture (CCT) en lui soumettant une liste de questions ainsi qu’un rapport parallèle. L'examen visait à évaluer le respect par le pays des dispositions de la Convention contre la torture. la contribution d'Alkarama reposait sur la documentation de nombreux cas de torture, ainsi que sur une analyse de la législation nationale saoudienne et du deuxième rapport périodique de l'État, qui a été présenté avec un retard de cinq ans. Dans ses observations finales de mai 2016, le Comité a fait écho aux préoccupations d'Alkarama, et a exhorté l'Arabie saoudite à mener des enquêtes immédiates, impartiales et efficaces sur les allégations de torture, à poursuivre les auteurs et les condamner conformément à la gravité de leurs actes. En outre, l'accent a été mis sur la nécessité d'intégrer dans la législation pénale une définition de la torture, garantissant son interdiction absolue et sa criminalisation. Alkarama est particulièrement préoccupée par l'absence de garanties juridiques applicables dès l'arrestation, ce qui crée un environnement propice à la torture. Le déni récurrent à l’assistance d’un avocat, à des soins médicaux et le recours à la détention au secret augmentent les risques de torture. C'est le cas de Mounir Aal Adam, qui a été condamné à mort le 1er juin 2016 après un procès entaché d’irrégularités et l'admission d'aveux obtenus sous la torture comme preuve de sa culpabilité. Agé de 19 ans, celui-ci a été arrêté sans mandat et n'a pas été informé des charges retenues contre lui. Il a été détenu en isolement pendant quatre mois durant lesquels il a été privé de nourriture et de sommeil et a été sévèrement battu et électrocuté, ce qui l'a contraint à avouer sa prétendue participation à des manifestations anti-gouvernementales. Il a été maintenu en détention provisoire pendant près de trois ans et a été privé d’accès à un avocat tout au long de son interrogatoire et pour la plupart des audiences de son procès. Au regard de la gravité de la situation en Arabie saoudite et le fait que la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants restent une pratique persistante, Alkarama a lancé, avec la société civile nationale, son programme de surveillance de la mise en œuvre des recommandations du CAT. Le programme se poursuivra pendant les quatre prochaines années durant lesquelles Alkarama soumettra des rapports de suivi aux experts du Comité.