Demonstration in Libya about the National Dialogue

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 3 communications concernant 2 victimes


LIBYE

Nos préoccupations :

  • Violations persistantes du droit international humanitaire et des droits de l'homme, notamment les exécutions sommaires, les enlèvements, la torture, les disparitions forcées, les détentions au secret, ainsi que les attaques aveugles contre les civils, lesquelles constituent des crimes de guerre;
  • Absence de l'état de droit ;
  • Absence de responsabilité pour les auteurs de crimes de guerre et de violations graves des droits de l'homme qui continuent d’agir en toute impunité.

Nos recommandations :

  • Veiller au respect, par toutes les parties au conflit, des principes du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme et protéger les civils et les biens publics et privés ;
  • Ouvrir des enquêtes indépendantes et impartiales sur les crimes commis par toutes les parties au conflit ;
  • Poursuivre les auteurs de graves violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l'homme et mettre fin à l'impunité ;
  • Mettre en œuvre les recommandations du Haut-Commissariat aux droits de l'homme.

A suivre:

 

 

Six ans après le déclenchement de la révolution, la Libye reste plongée dans un conflit complexe et multidimensionnel entre les gouvernements rivaux et les milices en concurrence pour le pouvoir politique et les ressources nationales. Les nombreux obstacles à la paix et à la construction de l'Etat découlent des fractures profondes de la société et du paysage politique libyen, ainsi que des interventions étrangères dans le conflit, qui alimentent les antagonismes existants. L'accord de Skhirat du 17 décembre 2015, parrainé par l’ONU et prévoyant la formation d'un nouveau gouvernement d'union nationale (GNA) et d'un Conseil présidentiel, a échoué dans la résolution de la crise politique puisque ni le gouvernement basé à Tripoli dans l’ouest, ni le Parlement basé à Tobrouk dans l'est, ne sont disposés à reconnaître l'autorité du GNA. Depuis la création du GNA annoncée le 19 janvier 2016, cette autorité fait face à une opposition sévère de la part de deux gouvernements concurrents, qui l'accusent de représentation inégale parmi les factions du pays et d'être « imposée par l'extérieur ». Basé à Tunis, le GNA n'a pu s'établir à Tripoli qu'à la mi-mars 2016, après son arrivée par voie maritime, puisque ses opposants ont bloqué l'accès aux aéroports et les ont avertis de ne pas entrer dans la capitale. Dans ce contexte, le gouvernement soutenu par l'ONU a établi son quartier général dans une base navale fortement surveillée à Tripoli. Le Conseil présidentiel du GNA, dirigé par le Premier Ministre Fayez Sarraj, est confronté à de multiples défis, notamment à un manque de contrôle effectif sur les milices qui le soutiennent et des difficultés pour parvenir à un consensus entre toutes les parties pour unifier et stabiliser le pays. De plus, le Parlement basé à Tobrouk a rejeté l'autorité du Conseil présidentiel à deux reprises, le 25 janvier 2016 et le 22 août 2016. Il a ainsi demandé de restructurer le Conseil présidentiel et d’abroger les dispositions de l'accord Skhirat relatives à la distribution des postes clés au gouvernement. En septembre, les milices affiliées au Général Haftar, autoproclamées « Armée Nationale » et alignées sur le Parlement de Tobrouk ont saisi de force les grands ports d'exportation de pétrole qui venaient d'être placés sous le contrôle du GNA. Parallèlement, le chef du gouvernement Tripolitain, Khalifa Al Ghweil, a déclaré début d'avril 2016 qu'il ne cèderait pas le pouvoir du Gouvernement de Salut National au GNA. À la mi-octobre, il a saisi les principaux bureaux administratifs du GNA dans la capitale et a déclaré le rétablissement de son gouvernement, avant d'appeler le gouvernement rival du Parlement de Tobrouk à conclure un accord contre le GNA. En outre, les interventions militaires externes continuent de nourrir la confusion et la division dans le pays. En juillet 2016, la mort de trois officiers de renseignement français près de Benghazi a contraint le président François Hollande à reconnaître la coopération militaire de son pays avec le Général Haftar, dont les milices ont combattu à la fois le gouvernement d'Al Ghweil et le GNA reconnu par l’ONU. Les propos du Président Hollande ont été suivis d’une vague de manifestations à Tripoli contre les interventions étrangères. Le GNA a également formellement condamné l’ingérence de la France, considérant que cette dernière violait la souveraineté libyenne et était un facteur contribuant à la déstabilisation du pays. En novembre 2016, les médias libyens ont également diffusé des enregistrements sonores suggérant une coopération directe entre les forces américaines sous le commandement de l'OTAN et le Général Haftar pour combattre les rebelles dans l'est du pays. En plein cœur de la crise, l'Etat islamique (EI) – responsable de l'attentat terroriste le plus dévastateur de l'histoire du pays, à Zliten en janvier 2016 – a profité de la confusion politique pour occuper une large portion de territoire autour de Misrata en mai 2016. La ville de Syrte, bastion de l’EI, a été récupérée en décembre 2016, par les forces du GNA et de Misrata avec le soutien des frappes aériennes américaines, après des mois de combats.

Violations Graves et persistantes du droit international humanitaire et des droits de l'homme

L'incapacité des différentes autorités à assurer la sécurité et à défendre les droits et libertés fondamentaux a créé un terrain propice à la commission de graves violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme. Cette année encore, des exactions ont continué de se produire parmi lesquelles de nombreuses exécutions extra-judiciaires de personnes enlevées et détenues secrètement. De plus, les différents gouvernements ne parvenant pas à exercer un contrôle judiciaire sur les arrestations effectuées par les milices, les détentions échappent souvent au cadre de la loi. En conséquence, les personnes sont souvent détenues au secret et sans contrôle judiciaire pendant de longues périodes favorisant ainsi l’augmentation de cas de disparitions forcées. La torture demeure également généralisée, entraînant souvent la mort des victimes. Cette année, Alkarama a documenté plusieurs cas de violations graves commises par les Forces de dissuasion spéciales, également connue sous le nom de RADA, qui ont prêté allégeance au GNA. Toutefois, ce dernier n'exerçant pas de contrôle effectif sur ces forces, de nombreuses violations parmi lesquelles des enlèvements, détentions au secret et actes de torture, sont commises en toute impunité. Le 11 octobre 2016, Alkarama a adressé un appel urgent au Groupe de travail des Nations Unies (GTDA) concernant Moustafa Abdelkhalek Al Darsi, âgé de 48 ans, enlevé le 9 janvier 2016 à Zliten par des membres de RADA en civil. Depuis son enlèvement, sa famille n'a pu le voir qu'une fois en mai 2016, à la base militaire de Mitiga, à 11 kilomètres à l'est de Tripoli où plusieurs centaines de personnes sont détenues au secret par différentes milices. À ce jour, M. Al Darsi est toujours détenu arbitrairement et n'a jamais été déféré devant une autorité judiciaire. De même, le 12 novembre 2016, Alkarama a envoyé un appel urgent au Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées à la suite de l’enlèvement à Tripoli par les forces RADA de Nader Snoussi Ali Al Omrani, un éminent érudit religieux de 44 ans. Selon le témoignage rendu public de l’un des ravisseurs arrêté, la victime aurait été sommairement exécutée. Jusqu’à ce jour, le Ministère Public n'a cependant ouvert aucune enquête sur ce crime.

Impunité pour les auteurs de violations graves des droits de l'homme

Les citoyens libyens se trouvent aujourd’hui confrontés à l’existence de multiples autorités ayant, chacune, leurs propres institutions politiques et sécuritaires. Outre les trois gouvernements parallèles, une myriade de milices, instables dans leurs allégeances respectives, affirment assurer le maintien de l’ordre dans les zones qu’elles contrôlent. Dans ce contexte, il est difficile d'identifier les auteurs de violations des droits de l'homme et d’établir les responsabilités. L'état de droit est pratiquement absent dans l’est du pays où les autorités de Tobrouk ne sont pas capables d’exercer le contrôle sur toutes les milices, y compris celles qui leur ont prêté allégeance et celles sous le commandement du Général Haftar. Cette situation a créé un vide d'autant plus préoccupant que ces milices ont été accusées de crimes de guerre. En juillet 2016, les dépouilles de 14 victimes d'exécutions extrajudiciaires, portant des traces de tortures et de mutilations, ont été évacuées à l'hôpital de Benghazi après avoir été trouvées dans une zone sous le contrôle du Général Haftar. Le Représentant spécial de l'ONU et Chef de la Mission d'appui des Nations Unies en Libye, Martin Kobler, a qualifié ces meurtres de crimes de guerre. Il a également appelé à ouvrir des enquêtes et à poursuivre les individus impliqués dans ces crimes. Jusqu’à présent, aucune mesure n’a encore été prise. Le cas de Suleiman Awad Zoubi, juge à la retraite et ancien membre du Congrès national général de la Libye, qui a été libéré le 4 septembre 2016 après deux ans de détention arbitraire, est un autre exemple de l’absence de responsabilité pour les violations graves des droits de l'homme. Après son enlèvement en juillet 2014 par les milices de Zintan, Alkarama a adressé un appel urgent au GTDA en soulignant qu'il était soumis à l’isolement, à la torture et aux mauvais traitements. Cependant, à ce jour, aucun des auteurs des actes dont il a été victime n'a été tenu responsable.

LE HCDH DÉNONCE LES VIOLATIONS DES DROITS DE L'HOMME

En mars 2015, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a envoyé une mission pour enquêter sur les violations du droit international des droits de l'homme commises en Libye depuis le début de 2014. En octobre 2015, Alkarama a soumis un rapport à la mission d'enquête documentant des cas de violations graves commises par divers acteurs comprenant des déclarations de survivants et de témoins recueillis par notre équipe de recherche sur le terrain. Le 15 février 2016, le HCDH a publié un rapport sur ses conclusions. Le rapport du HCDH, qui a été présenté au Conseil des droits de l'homme au cours de sa 31e session en mars 2016, a identifié un ensemble de violations et d’exactions commises par les principaux groupes armés. Il a notamment été relevé celles imputables aux milices de l’opération « Dignité » du Général Haftar ainsi que celles de leurs adversaires du Conseil consultatif des révolutionnaires de Benghazi, des divers groupes tribaux armés et ceux ayant prêté allégeance à l'EI. Dans son rapport, le HCDH a déploré que ces exactions se déroulent dans un climat d'impunité total et formulé plusieurs recommandations « au gouvernement libyen » pour lutter contre l'impunité et renforcer et réformer le système judiciaire. Toutefois, compte tenu de la situation actuelle, avec les différentes autorités politiques concurrentes et les défis auxquels est confronté le GNA, la mise en œuvre de ces recommandations sera extrêmement difficile. En outre, le rapport recommande une action urgente pour mettre un terme à la prolifération des groupes armés à travers le désarmement, la démobilisation, la réintégration ainsi que la mise en place d'un programme de contrôle pour empêcher le recrutement d'individus responsables des violations graves des droits de l’homme dans une future armée unifiée. Le HCDH appelle enfin les autorités à reprendre les activités d'édification de l'État dès que possible, en mettant particulièrement l'accent sur la création d'institutions inclusives, de mécanismes d'application de la loi efficaces, d'un secteur judiciaire indépendant et impartial et d’une force armée unifiée opérant sous contrôle civil. Toutefois, six mois après la publication du rapport, la Haut-Commissaire adjointe aux droits de l'homme, Kate Gilmore, a affirmé – lors de la 33e session du Comité des droits de l'homme - que la situation ne s'était pas améliorée et que les factions belligérantes avaient continué à « montrer peu d’égards pour les civils ». Compte tenu de la situation affligeante sur le terrain et le « peu d'espoir de résolution immédiate », elle a appelé à la désignation d'un expert indépendant sur la Libye chargé de faire état de la situation des droits de l'homme et des progrès réalisés en matière de responsabilité.