Protests in Manama, Bahrain

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 8 communications concernant 5 victimes


BAHREIN

Nos préoccupations:

  • La répression continue et le harcèlement systématique de toutes voix dissidentes;
  • La pratique de la torture et l’impunité des services de sécurité;
  • Le recours excessif à la force pour disperser les manifestations pacifiques et les rassemblements publics.

Nos recommandations:

  • Mettre un terme définitif à la répression des activistes politiques et libérer tous ceux arbitrairement détenus;
  • Mettre un terme à la pratique de la torture et veiller à ce que toutes les allégations de torture soient soumises à des enquêtes indépendantes et impartiales;
  • Mettre un terme à l'usage excessif de la force contre les manifestants pacifiques;
  • Modifier la loi antiterroriste de 2006 afin qu'elle soit conforme aux normes internationales des droits de l'homme et réviser toutes les condamnations prononcées en vertu de cette législation.

A suivre:

  • Avril-mai 2017: Examen du Bahreïn par le Comité contre la torture;
  • 1er mai 2017: Troisième examen périodique universel de Bahreïn devant le Conseil des droits de l'homme.

Cinq ans après le soulèvement populaire de 2011, le Bahreïn reste plongé dans la crise politique. Le processus de réconciliation nationale reste bloqué et s'est révélé de plus en plus problématique compte tenu de la participation de Bahreïn à la coalition saoudienne contre les rebelles Houthis au Yémen qui a contribué de manière significative à nourrir la polarisation de la société. Cette année encore, la division confessionnelle est restée au cœur de nombreuses questions et fractures politiques dans le pays. Le 30 mai 2016, la Cour d'Appel de Bahreïn a confirmé la condamnation du Cheikh Ali Salman, secrétaire général d'Al Wefaq, principal parti d'opposition chiite du pays et a aggravé sa peine d'emprisonnement de quatre à neuf ans pour "incitation à la haine contre le gouvernement ". En juin, son parti a été suspendu au motif de créer «un environnement propice au terrorisme, à l'extrémisme et à la violence»; le haut tribunal administratif de Bahreïn a par la suite prononcé sa dissolution. En 2016, les violations des droits de l'homme ont augmentées et la répression politique contre l'opposition s’est traduite par des mesures d’arrestations abusives, d’interdictions de voyager ou encore de déchéance de nationalité. Les manifestations pacifiques, qui se sont poursuivies malgré la loi de 2013 interdisant les rassemblements publics dans la capitale Manama, ont été sévèrement réprimées par les forces de l’ordre ayant souvent eu recours à un usage disproportionné de la force. De plus, en mai 2016, l'Institution nationale des droits de l'homme de Bahreïn a été examinée par le Sous-Comité d'accréditation (SCA) de l'Alliance Globale des Institutions Nationales des Droits de l'Homme qui lui a accordé le statut «B», en raison de son manque de conformité avec les Principes de Paris. En janvier 2016, Alkarama avait soumis un rapport au SCA soulignant le manque d'indépendance et de transparence de l’Institution nationale.

La répression continue de la société civile et de l'opposition politique

La répression de la société civile et de l'opposition politique est devenue une pratique institutionnalisée à Bahreïn. Cette année encore, ces mesures répressives contre l'opposition se sont traduites par des arrestations abusives suivies de détentions arbitraires, d'interdictions de voyager ou encore de déchéance de nationalité. Les violations des droits fondamentaux de la personne se multiplient, allant des atteintes à la liberté d'expression et de réunion pacifique, à la torture et à la privation des détenus des garanties juridiques à un procès équitables. Le caractère oppressif de la loi antiterroriste de 2006 continue de limiter ces libertés fondamentales et de menacer les militants pacifiques, les défenseurs des droits de l'homme et les membres de l'opposition. Ainsi, de nombreuses personnes ont été poursuivies pour avoir «critiqué» le gouvernement sur les réseaux sociaux ou lors de rassemblements publics, tandis que les autorités continuent de détenir des prisonniers d'opinion condamnés à la suite de procès inéquitables. Le manque d'indépendance de l’institution judiciaire conduit à de tels procès intentés aux défenseurs des droits de l'homme et aux membres de l'opposition. En l'espace de quelques mois seulement, les autorités ont intensifié leur répression contre la liberté d'expression et de réunion pacifique, arrêtant de nombreux militants et journalistes. En février 2016, après avoir été détenu au secret et torturé, le photojournaliste Ahmed Jaber Al Fardan a été condamné à trois mois d'emprisonnement, pour avoir simplement couvert une manifestation locale qui a eu lieu en 2013. Il a été accusé de «tentative d'assister à un rassemblement illégal». Le 14 juin 2016, sous prétexte de la nécessité de «protéger la société et de combattre l'extrémisme», Al Wefaq a été suspendu et ses biens ont été gelés. Cette décision n'est intervenue que deux semaines après l’aggravation de la peine de prison du secrétaire général du parti de quatre à neuf ans. Il a été déclaré coupable d'avoir «incité à promouvoir le changement du système politique par la force, les menaces et autres moyens illégaux», «insulté publiquement le ministère de l'Intérieur» et «incité publiquement à désobéir à la loi». Le 17 juillet 2016, la Haute Cour administrative de Bahreïn a prononcé la dissolution d’Al Wefaq pour "violations graves de la Constitution et des lois nationales", y compris la création d'un "environnement propice au terrorisme, à l'extrémisme et à la violence", "la participation à des activités préjudiciables à la paix civile et à l'unité" et "l’incitation au non-respect des institutions".

La torture: une pratique persistante

Malgré la ratification par le Bahreïn de la Convention contre la torture (UNCAT) en 1998, la torture reste une pratique courante dans le pays et est utilisée comme outil de répression. En 2016, les cas documentés par Alkarama ont montré une fois de plus que les autorités utilisent la torture pour obtenir des aveux qui sont ensuite admis au cours des procès et souvent utilisés comme seule preuve pour condamner l'accusé. Les actes de torture sont commis par des agents de l'Etat relevant de l'autorité du Ministère de l'Intérieur en toute impunité et perpétrés contre des personnes poursuivies en particulier en vertu de la loi antiterroriste de 2006. En 2016, les autorités ont continué de nier l'existence de telles pratiques, affirmant que la torture est interdite par la Constitution et punissable par la loi et que le Bahreïn répond aux normes internationales à cet égard. Bien que le Bahreïn ait accepté, en 2011, de modifier sa législation et d'introduire une définition de la torture conforme à la Convention en criminalisant tous les actes de torture et de mauvais traitements, l'interdiction claire et sans équivoque de cette pratique ne figure toujours pas dans la loi interne. De plus, bien que les autorités aient régulièrement affirmé qu'elles ne s'opposaient pas aux manifestations pacifiques, diverses organisations de défense des droits humains ont signalé un recours excessif à la force par les autorités pour réprimer ces manifestations. À cet égard, Alkarama a documenté en 2016 le cas de deux frères mineurs, Fadel et Bassel Jayed, qui ont été torturés en détention et contraints de signer des déclarations reconnaissant leur participation à un «rassemblement illégal», une accusation régulièrement utilisée pour réprimer le droit à la liberté de réunion pacifique et de poursuivre des individus pour avoir participé à de telles manifestations. Cette année encore, Bahreïn n'a pas fixé de date pour la visite du Rapporteur Spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Après avoir annulé des visites prévues en 2012 et 2013, le gouvernement continue de reporter la mission de l’expert onusien en invoquant officiellement son «incapacité à fixer une date».

LE PROCHAIN EXAMEN PÉRIODIQUE UNIVERSEL DE BAHREIN

Le 22 septembre 2016, eu égard au troisième examen périodique universel (EPU) du Bahreïn qui se tiendra le 1er mai 2017, Alkarama a présenté au Conseil des droits de l'homme son rapport sur la situation des droits de l’homme au Bahreïn. L'EPU comporte un examen des dossiers des droits de l'homme de tous les états membres de l'ONU par le conseil des droits de l’homme tous les quatre ans. L'examen comprend une discussion interactive entre l'état passé en revue et les autres états membres de l'ONU. Ce processus permet aux ONG de soumettre des informations auxquelles peuvent se référer les états participant à la discussion interactive. Dans son rapport, Alkarama a souligné les violations des droits de l’homme les plus graves et les plus courantes dans le pays, y compris le recours à la torture, à la détention arbitraire et les violations du droit à un procès équitable. Alkarama a également exprimé son inquiétude face à la répression exercée contre l'opposition et a souligné le caractère oppressif de la loi antiterroriste de 2006 qui continue de limiter et de menacer les libertés fondamentales des militants pacifiques, des défenseurs des droits de l’homme et des membres de l'opposition. En outre, Alkarama a dénoncé le recours à la détention arbitraire pour faire taire les dissidents pacifiques et les défenseurs des droits humains. Elle a noté que les arrestations, en particulier celles des manifestants pacifiques, étaient souvent menées par des membres de la police ou des forces spéciales de sécurité nationale, avec un recours excessif à la force. De telles pratiques vont de pair avec la violation du droit à un procès équitable. En effet, la détention secrète, le déni du droit d'accès à un avocat avant le procès pour préparer la défense et l'utilisation d'aveux obtenus sous la torture constituent des lacunes majeures caractéristiques du système judiciaire bahreïni. De même, les organes judiciaires tout comme les tribunaux militaires et la Cour de sûreté nationale n'offrent pas suffisamment de garanties pour protéger les droits de l'accusé, car ils restent sous le contrôle de l’exécutif et manquent donc d'indépendance. Alkarama a noté que depuis 2012, le Bureau de l'Ombudsman du Ministère de l'Intérieur, l'Unité des enquêtes spéciales au Bureau du Procureur général ainsi que la Commission des droits des prisonniers et des détenus ont été créés et que l'Institution Nationale des Droits de l'Homme a pour sa part été rétablie. Pourtant, l'impunité règne toujours dans le pays car ces institutions manquent d'indépendance, d'efficacité et de transparence, comme le démontre l'octroi du statut «B» à l’INDH par le Sous-comité d'accréditation de l'Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l'homme. Enfin, le rapport d'Alkarama a souligné la non mise en œuvre de plusieurs recommandations acceptées par le Bahreïn lors de son EPU en 2012, ce qui démontre l’absence de volonté politique en faveur de la protection des droits de l'homme dans le pays. En mai 2017, le Bahreïn recevra de nouvelles recommandations de la part des États membres de l'ONU et devra informer le CDH des recommandations qu'il entend accepter et mettre en œuvre.