Anti Slavery Protest in Mauritania

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 21 communications concernant 7 victimes


YEMEN

Nos préoccupations :

  • Le nombre élevé de victimes civiles suite aux attaques aériennes aveugles et la poursuite des combats des deux côtés ;
  • Déplacement interne et massif de la population ;
  • Pénurie des fournitures médicales et denrées alimentaires, entraînant la famine et l'apparition de maladies ;
  • Pratique généralisée de la disparition forcée et de la détention au secret ;
  • Détention arbitraire et recours à la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Nos recommandations :

  • Assurer le respect des principes du droit international humanitaire et du droit international relatif aux droits de l'homme par toutes les parties au conflit ;
  • Prendre des mesures efficaces pour mettre fin à la pratique de la disparition forcée et de la détention au secret ;
  • Prendre des mesures efficaces pour mettre fin à la pratique de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
  • Établir une commission d'enquête internationale indépendante chargée d'enquêter sur les violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme par toutes les parties.

A suivre :

  • Nouveau tour de pourparlers de paix menés par l'envoyé spécial de l'ONU, Ould Cheikh Ahmed.

En août 2016, l'ONU a affirmé que plus de 10 000 personnes avaient perdu la vie depuis le début du conflit yéménite en 2014. Les hostilités ont continué cette année encore avec de violentes batailles terrestres entre les différentes factions et des attaques aériennes menées sans relâche par la coalition saoudienne visant à plusieurs reprises des zones civiles. Les pertes massives enregistrées cette année dans la population ainsi que la destruction d'infrastructures civiles, en plus des restrictions sur l'importation de nourriture et de carburant, ont engendré une grave crise humanitaire. Les chiffres de l'ONU attestent qu'environ trois millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays, que 7 millions souffrent d'insécurité alimentaire et que 370 000 enfants de moins de cinq ans risquent de mourir de faim. La crise humanitaire s’est encore aggravée par le fait que le secteur de la santé a été sérieusement affecté étant donné que la plupart des installations ne fonctionnent que partiellement voire pas du tout notamment en raison des frappes aériennes. En avril 2016, les négociations organisées par l'ONU au Koweït dans le but de parvenir à un accord de paix ont échoué suite au rejet des propositions par la coalition Houthi-Saleh. En octobre, un autre plan de paix a été proposé par l'envoyé de l'ONU, Ismail Ould Cheikh Ahmed, mais a été rejeté cette fois par le gouvernement Hadi. Selon certaines sources, ce dernier plan visait à éloigner le président Hadi en suggérant la mise en place d'un nouveau gouvernement composé de personnalités plus consensuelles, y compris des représentants de la coalition Houthi-Saleh.

Lourd tribu chez les civils suite aux frappes aériennes aveugles

Les attaques aériennes de la coalition menées par l'Arabie saoudite, en appui au gouvernement Hadi, se sont poursuivies au Yémen tout au long de 2016, faisant encore plus de victimes civiles. Ainsi plusieurs bombardements de la coalition, jugés aléatoires, ont augmenté le nombre des victimes civiles. En août 2016, et en violation du droit international humanitaire, la coalition a frappé un hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF). En moins d'un an, les installations de MSF ont été visées à quatre reprises et la dernière frappe qui a eu lieu en août a provoqué le retrait de l'organisation du nord du Yémen, en raison de sa «perte de confiance dans la coalition menée par l'Arabie saoudite, et sa capacité éviter de telles attaques fatales». Les installations médicales de MSF ont été touchées malgré le fait que l'organisation a systématiquement partagé les coordonnées GPS des hôpitaux dans lesquels elle opère avec toutes les parties impliquées. Le retrait partiel de MSF est catastrophique pour le Yémen, étant donné que ses propres infrastructures sanitaires sont de plus en plus inefficaces et la plupart ont cessé toute activité. Au cours du même mois, la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite a également ciblé une école dans le nord du pays, où des enfants passaient leurs examens. Le raid aérien a tué 10 enfants et en a blessé 28 autres, tous âgés de 5 à 15 ans. Au début du mois de juin, le Secrétaire général des Nations Unies (SGNU) a déclaré qu'il y avait eu 1953 enfants victimes en 2016, dont 60% pourraient être attribués à la coalition dirigée par l'Arabie saoudite. Dans le rapport annuel du SGNU, la coalition saoudienne a été placée sur une liste noire pour avoir tué et mutilé des enfants et en raison de ses attaques contre les écoles et les hôpitaux au Yémen. Les attaques aériennes visant les populations et les installations civiles telles que les «unités médicales» et les «bâtiments dédiés à l'éducation» sont considérés comme des violations graves du droit international humanitaire et du droit coutumier international. S'il s'avérait que ces frappes étaient délibérées, elles constitueraient des crimes de guerre. Les attaques sans distinction peuvent aussi constituer des crimes de guerre si les morts «accidentelles» de civils étaient excessives par rapport à l'avantage militaire anticipé recherché. Quoi qu'il en soit, les frappes aériennes mentionnées doivent faire l’objet d'une enquête indépendante et les auteurs doivent être traduits en justice. En mars 2016, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a déclaré « nous assistons probablement à la perpétration de crimes internationaux par des membres de la Coalition», et a rappelé à la coalition son obligation de «faire la distinction à tout moment entre les cibles militaires et civils ". Le HCDH a en outre appelé les forces de la coalition dirigées par l'Arabie saoudite à «prendre des mesures efficaces pour prévenir la répétition de tels incidents et à publier des enquêtes transparentes et indépendantes sur ceux qui se sont déjà produit».

Persistance de la pratique de la disparition forcée

La pratique de la disparition forcée qui touche le Yémen depuis les années 1970, a fait un retour en force depuis le début des hostilités. Toutes les parties recourent à cette pratique comme arme de répression et ciblent les activistes et les journalistes, en particulier. Alkarama rappelle que dans le contexte du Yémen, la pratique systématique de la disparition forcée peut constituer un crime contre l'humanité en vertu du Statut de Rome. À ce jour, un grand nombre de personnes continuent d'être victimes de cette pratique. Rachid Al Daifi, un étudiant arrêté en 2012 pour sa prétendue participation à des manifestations anti-gouvernementales, en est un exemple; Amine Al Chafaq, un défenseur des droits humains arrêté en octobre 2015 avec 28 autres militants et journalistes, pour avoir organisé une marche dans le but d’inciter les autorités à fournir de l'eau potable à la ville assiégée de Taiz, en est un autre. Pourtant, 2016 a également vu la coalition Houthi-Saleh libérer un certain nombre de victimes de disparitions forcées, dont plusieurs cas avaient été documentés par Alkarama. Par exemple, en mai 2016, Abdulrahman Al Buriahi, militant politique qui avait déjà subi des représailles et qui a été enlevé en janvier 2016 avec son fils, a finalement été libéré un mois plus tard. Abdulrab Al Humaiqani, un éminent défenseur des droits de l'homme, a également été libéré en mai, après presque une année de détention secrète, au cours de laquelle il a été torturé. Cependant, les victimes de disparitions forcées commises par la coalition Houthi-Saleh ne disposent d'aucun recours, étant donné que le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires (GTDF) ne traite pas les cas commis par des acteurs non étatiques. Toutefois, étant donné le contexte et le régime juridique international applicables pendant les conflits armés, Alkarama estime que ces cas relèvent bien du mandat du GTDF et que la coalition Houthi-Saleh doit être tenue responsable de ses crimes. En effet, la coalition Houthi-Saleh contrôle une grande partie du pays, y compris la capitale Sana'a. Elle contrôle également les institutions dans ces territoires, où elle s’est proclamée gouvernement légitime. Etant donné l'organisation et la structure hiérarchisée de cette partie au conflit, la coalition Houthi-Saleh répond aux critères définissant une organisation armée régie par le Deuxième Protocole additionnel à la Convention de Genève, et a en conséquence des obligations tant en droit international humanitaire qu'en droit international des droits humains. En fait, les deux régimes juridiques interdisent strictement la pratique des disparitions forcées, et l'interdiction est considérée comme une norme impérative du droit international et doit donc être respectée par toutes les parties au conflit.

NÉCESSITÉ D'ÉTABLIR UNE COMMISSION INTERNATIONALE D'ENQUÊTE

En septembre 2015, le président Abd Rabbu Mansour Hadi a mandaté, pour une période d’un an, la Commission Nationale d’Enquête pour «enquêter sur les violations présumées des droits de l'homme au Yémen» commises depuis le début du conflit. En octobre 2015, le Conseil des droits de l'homme a adopté la résolution 30/18 rédigée par l'Arabie saoudite qui approuve cette commission alors qu'une contre résolution proposant une commission d'enquête internationale avait été retirée pour réaliser une approche plus «consensuelle». En septembre 2016, un an après sa création, la Commission nationale d'enquête a annoncé publiquement avoir rendu son rapport préliminaire lors d'une conférence de presse tenue à l'ambassade du Yémen à Riyad. Le document, qui aurait fait état de plus de 9 000 affaires, ne peut être consulté sur le site internet de la Commission. Cependant, le fait qu’un tel rapport ait été présenté dans un pays partie au conflit est préoccupant et renforce les inquiétudes concernant son manque d'impartialité, d’autant plus que la Commission est composée uniquement de ressortissants yéménites qui ont tous été nommés par une partie au conflit, à savoir Le président Hadi soutenu par l’Arabie Saoudite. Parallèlement, le HCDH a soumis un rapport au Conseil des droits de l'homme dans lequel il a conclu que « n'ayant pas reçu d’information sur la méthodologie, l’impartialité et la progression des résultats des enquêtes, la Commission était incapable d’exécuter son mandat conformément aux normes internationales ». Aussi, le HCDH a appelé à la création d'une Commission d'enquête internationale. En outre, le rapport explique que les divisions territoriales et les clivages politiques au sein de la population yéménite ont entravé la capacité de la Commission à assurer la coopération de toutes les parties et donc l'accès à tout le territoire. Alkarama fait écho à l'appel du HCDH pour la création d'une Commission d'enquête internationale indépendante et impartiale capable d'enquêter efficacement sur toutes les allégations de violations du droit international humanitaire et des droits de l'homme commises par toutes les parties au conflit.