Demonstration of families of disappeared in Egypt

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 112 communications concernant 68 victimes


EGYPTE

Nos préoccupations :

  • L'institutionnalisation de la pratique de la disparition forcée ;
  • Détention arbitraire et poursuites de civils devant des tribunaux militaires ;
  • Les nombreux cas d'exécutions sommaires et de condamnations à mort prononcées à la suite de procès inéquitables ;
  • Adoption de lois liberticides pour faire taire toute forme de dissidence, d'expression, de réunion pacifique et d'opposition politique ;
  • Usage excessive de la force contre des opposants et manifestants politiques, ainsi que le recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements lors de l'arrestation et de la détention.

Nos recommandations :

  • Ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et abolir cette pratique ;
  • Amender la législation sur la torture pour qu'elle soit conforme aux normes internationales et présenter son rapport en retard au Comité contre la torture ;
  • Abolir l’état d'urgence qui permet la poursuite des civils devant des tribunaux militaires ;
  • Respecter les garanties fondamentales à un procès équitable ;
  • Garantir le droit à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique.

A suivre:

  • Mars 2017: Examen du Conseil national des droits de l'homme par le Sous-Comité d'accréditation de l’Alliance Globale des Institutions Nationales des Droits de l'Homme ;
  • 25 juin 2017: Retard de 13 ans dans la soumission du rapport initial de l'Égypte au Comité contre la torture;
  • 1er novembre 2017: Retard de 13 ans dans la soumission du rapport initial de l'Égypte au Comité des droits de l'homme.

 

Malgré les élections législatives tenues fin 2015 et les promesses du gouvernement de garantir les droits et libertés fondamentales, 2016 a vu une nouvelle aggravation des violations des droits humains à travers le pays, démontrant l'absence de volonté des autorités d’entreprendre des réformes significatives. En janvier 2016, le Parlement nouvellement élu a approuvé rapidement plusieurs lois liberticides, y compris la loi antiterroriste de 2015 et la loi sur la « protection des installations vitales et publiques », qui permet le renvoi de civils devant les juridictions militaires. Ces lois ont été précédemment décrétées par le pouvoir exécutif, en l'absence d'un Parlement, suscitant les critiques des ONGs. D’autres nouvelles lois oppressives ont également été promulguées, compromettant davantage l'état de droit et sapant les libertés fondamentales dans le pays. Ainsi, en novembre 2016, le Parlement a adopté un projet de loi sur les ONGs, restreignant davantage le droit de réunion pacifique et d'association. En décembre, une autre loi sur les médias a été ratifiée. Elle prévoit la création d'un « Conseil suprême pour l'administration des médias » dont le président sera désigné par le chef de l’état, qui peut révoquer les licences des médias étrangers, leur infliger des amendes ou suspendre publications et radiodiffusions, portant ainsi gravement atteinte à la liberté des médias. C'est dans ce cadre juridique que des violations des droits de l'homme se sont poursuivies tout au long de l'année. Dans le Sinaï, où l'état d'urgence est toujours en vigueur, les forces armées et les forces de sécurité égyptiennes ont recouru à la violence sans discernement, à la torture, à des exécutions extrajudiciaires et à des arrestations arbitraires au prétexte de la lutte contre le terrorisme. Alors que la loi antiterroriste de 2015 a été appliquée pour justifier des mesures de répression violentes contre des voix dissidentes, des journalistes et des opposants politiques, les services de sécurité ont également arrêté et détenu arbitrairement des manifestants pacifiques dans tout le pays sous prétexte de préserver la « sécurité de l'État ». De même, la loi sur la « protection des installations vitales et publiques » a permis de renvoyer des civils devant les tribunaux militaires et les soumettre à des procès inéquitables, étant donné la partialité de telles juridictions. Les défenseurs des droits de l'homme et les ONGs ont été victimes d’une répression systématique par le gel de leurs avoirs, des interdictions de voyager, la détention arbitraire ou la suspension de leurs activités. Ces violations ont incité divers mécanismes des droits de l'homme de l'ONU à faire des déclarations demandant au gouvernement égyptien d'adopter des mesures urgentes pour remédier à la situation. En ce qui concerne la nouvelle loi sur les ONGs, le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la liberté de réunion pacifique et d'association a observé que « ce projet de loi propose peut-être les pires restrictions aux libertés fondamentales en Egypte depuis les soulèvements de 2011 », et « tend à détruire les fondements d’un engagement civique pacifique. Si elle est adoptée, cette loi sera dévastatrice pour la société civile non seulement à court terme, mais vraisemblablement aussi pour les générations à venir ».

Une augmentation constante des disparitions forcées

La pratique des disparitions forcées perpétrées par des agents de l'État a été en hausse tout au long de l'année, atteignant des niveaux alarmants et sans précédent. Alors que les autorités égyptiennes continuent de nier leur implication dans l'enlèvement de milliers d'individus, Alkarama a documenté de nombreux cas illustrant la réalité de cette pratique sur la base d’informations rapportées par des témoins et les familles des victimes. L'ampleur de ce phénomène a incité le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires à soulever cette question dans son rapport annuel de juillet 2016. Les experts se sont déclarés extrêmement préoccupés par le fait que, au cours de la période considérée, le Groupe avait « porté 131 nouveaux cas à l’attention du Gouvernement au titre de la procédure d’action urgente concernant l’augmentation du nombre de disparitions, notamment de courte durée, qui tendrait à dénoter une généralisation de cette pratique ». La majorité des cas de disparitions forcées documentés par Alkarama se produisent de la même manière. Les victimes sont généralement arrêtées sans mandat, détenues au secret par les forces de sécurité, les services de renseignement, l'armée ou la police. Elles sont torturées afin de leur extorquer des aveux qui sont ensuite utilisés comme seuls éléments de preuve pour les condamner à l’issue de leur procès. Certaines victimes réapparaissent plus tard dans les centres de détention et sont présentées au procureur, puis formellement inculpées pour légaliser leur détention. Dans certains cas, la date de leur arrestation est modifiée dans les procès-verbaux. Les autorités locales nient systématiquement leur implication dans ces enlèvements et refusent de fournir aux familles des victimes des informations sur leur sort et leur lieu de détention. C'est le cas, par exemple, de deux citoyens égyptiens qui demeurent disparues à ce jour. Enlevés respectivement le 27 décembre 2015 à Ain Shams, au Caire, par la police, et le 10 septembre 2014 à El Khanka, dans le gouvernorat d'El Qaylubiya, par les services de la Sécurité Intérieure. Leurs familles ont essayé de les localiser, mais n'ont pas eu de leurs nouvelles jusqu'à présent. Les autorités égyptiennes ont nié toute implication dans l’enlèvement de ces deux hommes et refusent de fournir des informations sur leur sort et leur lieu de détention.

Violations persistantes des droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association

Dans la continuité des années précédentes, les autorités égyptiennes ont réprimé les droits fondamentaux tels que la liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association. En avril et mai 2016, des manifestants se sont rassemblés dans diverses villes pour protester pacifiquement contre la décision du gouvernement de céder deux îles de la mer Rouge – Tiran et Sanafir – à l’Arabie Saoudite. Les forces de l'ordre ont fait un usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques et en ont arrêté des centaines qui ont été accusés en vertu de la loi n° 107 de 2013 qui criminalise les manifestations et les rassemblements publics, souvent utilisée pour justifier de lourdes condamnations de manifestants pacifiques y compris à la peine capitale. Alkarama ainsi que les Procédures Spéciales des Nations Unies ont exprimé de vives préoccupations quant à l’adoption par le gouvernement en septembre 2016 d’un nouveau projet de loi sur les ONGs. Cette loi restreint davantage le financement et les activités des associations et ONGs et les place sous contrôle direct de l’appareil sécuritaire, limitant leur champ d’activités aux seuls « besoins sociaux égyptiens ». À cet égard, 2016 a vu le harcèlement judiciaire continu et les poursuites engagées contre plusieurs ONGs locales et leurs fondateurs, qui ont été arbitrairement accusés de « recevoir des fonds illicites » et d’ « exercer des activités illégales ». Certaines de ces ONG ont été forcées de mettre la clé sous la porte, à la suite de quoi les Procédures Spéciales des Nations Unies ont de nouveau exprimé leur inquiétude quant aux violations incessantes de ces droits fondamentaux, y compris le Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression qui a vu dans ce phénomène « une tendance croissante à la criminalisation de l'expression et à l'emprisonnement de journalistes ». Enfin, le 26 décembre 2016, le Président Al Sisi a ratifié une loi sur la « réglementation institutionnelle de la presse et des médias », qui a créé trois organes de régulation pour superviser tous les médias. Les deux premiers surveilleront les organismes de presse appartenant à l'État, les médias audiovisuels et la radio, tandis que le Conseil supérieur de la réglementation des médias régira tous les médias. Les directeurs de ces mécanismes seront choisis par le président et, en conséquence, permettront à l’exécutif de contrôler les médias. La nouvelle loi s'inscrit dans volonté plus large du gouvernement de réprimer les travailleurs des médias, qui a pris la forme d’arrestations de nombreux journalistes et de leur poursuites par des tribunaux militaires, y compris sur la base d’accusations de « terrorisme ».

Exécutions sommaires et condamnations à mort à la suite de procès inéquitables

Les exécutions extrajudiciaires sont parmi les violations les plus graves des droits de l'homme en Égypte. À cet égard, Alkarama a fermement condamné le discours prononcé par le ministre égyptien de la Justice en janvier 2016, qui appelait publiquement à l'assassinat des membres des Frères Musulmans et de leurs partisans. Non seulement ces déclarations violent les principes fondamentaux du droit international relatif aux droits de l'homme – à savoir l'article 20 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, interdisant toute « incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence » – mais constituent également le terreau pour des violations accrues et favorisent un climat d'impunité totale pour les auteurs de crimes. En 2016, Alkarama documenté plusieurs cas de décès suspects de détenus politiques en prison, alors que les médias ont dénoncé plusieurs exécutions sommaires visant des membres des Frères Musulmans, y compris l’assassinat d'un leader éminent du groupe, Mohamed Kamal, dans le quartier Bassateen du Caire. M. Kamal aurait prétendument été tué dans un échange de tirs avec la police alors qu’ils tentaient de l'arrêter. Les commentaires du ministre de la Justice violent également son obligation légale d'indépendance et d'impartialité et compromettent l'intégrité du système judiciaire. En conséquence, de nombreuses personnes risquent d'être condamnées à mort à la suite de procès inéquitables – y compris devant des tribunaux militaires – pour des motifs politiques.

FOCUS : L'ONU DENONCE LA PRATIQUE SYSTÉMATIQUE DE LA DÉTENTION ARBITRAIRE

À ce jour, Alkarama a documenté et transmis des centaines de cas d'arrestations et de détentions arbitraires en Égypte aux procédures spéciales des Nations Unies. Par conséquent, en 2016, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire (GTDA) a rendu plusieurs Avis établissant le caractère arbitraire de la privation de liberté des victimes et demandant leur libération immédiate. C'est le cas, par exemple de neuf journalistes qui ont été arbitrairement arrêtés, détenus et condamnés injustement à mort ou à de lourdes peines d'emprisonnement dans l’affaire connue sous le nom de « salle d’opérations de Raba'a ». En avril 2016, le GTDA a exhorté les autorités à les libérer. A la demande d’Alkarama, le groupe d'experts des Nations Unies a également qualifié d'arbitraire la détention d'un jeune étudiant condamné par un tribunal militaire sur la seule base d’aveux arrachés sous la torture. Il est important de noter que ces décisions du GTDA ont mis en évidence le recours à cette pratique qui constitue, selon les experts onusiens « une violations systématique en Egypte ». Ces conclusions de l'ONU et d'Alkarama devraient pousser l'Égypte à prendre des mesures urgentes pour libérer toutes les victimes arbitrairement détenues. Pourtant, jusqu'à présent, aucun des nombreux Avis rendus par le GTDA n’a été mis en œuvre par les autorités égyptiennes, y compris celui qui, en 2013, a estimé la détention de l'ancien président Mohamed Morsi comme « arbitraire » et appelé à sa libération. Les autorités devraient immédiatement mettre un terme aux arrestations arbitraires, placer les victimes sous la protection de la loi, et, en tout état de cause, garantir des procédures judiciaires équitables.