Civilians fleeing Aleppo

En 2016, nous avons soumis aux Mécanismes des Nations Unies 68 communications concernant 66 victimes


SYRIE

Nos préoccupations:

Nos recommandations:

A suivre:

En mars 2016, la Syrie est entrée dans sa sixième année de conflit armé. L'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, a estimé le nombre de morts à 400,000, soit près du double de ce qui avait été estimé deux années auparavant. À la fin de l'année, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a annoncé que plus de 4,8 millions de personnes avaient fui la Syrie depuis 2011, cherchant refuge dans les pays voisins, notamment au Liban, en Jordanie, en Irak, en Turquie, au Canada ainsi qu’en Europe. Des millions d'autres, qui continuent de subir les conséquences de ce conflit violent, sont déplacés à l'intérieur du pays. Le conflit s'est intensifié à un rythme alarmant avec l'ingérence et l'intervention d'acteurs étrangers, ainsi que les combats généralisés entre les forces gouvernementales, les divers groupes d'opposition armés et l'Etat Islamique (EI). Au cours de cette année, les frappes aériennes russes se sont intensifiées, bombardant indistinctement des zones civiles, tandis que l'armée syrienne et les milices étrangères, principalement iraniennes et du Hezbollah libanais, ont commis des massacres, des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et de la torture de manière systématique. De même, les groupes rebelles continuent de commettre des violations graves du droit international humanitaire et des droits de l'homme. Bien que le Conseil de sécurité de l'ONU ait accusé directement et à maintes reprises la Russie et le gouvernement syrien de crimes de guerre, ces derniers poursuivent leurs opérations en toute impunité. Le 15 décembre 2016, l'armée syrienne a pris le contrôle d'Alep, y compris la partie Est de la ville, qui a été presque entièrement détruite par une campagne intensive de bombardements menée par l’aviation russe. Quatre jours plus tard, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté à l'unanimité la résolution 2328, exigeant de toutes les parties qu’elles autorisent l’Organisation des Nations Unies à « accéder immédiatement, en toute sécurité et sans restriction, condition ni entrave » pour surveiller les opérations d’évacuation de l’Est d'Alep. Enfin, malgré les tentatives de négociation d'une solution politique, le processus de paix est resté au point mort. Alors que les négociations internationales tenues à Genève le 1er février 2016 ont suscité des perspectives de paix, l'accord sur la « cessation des hostilités », adopté à l'unanimité dans la résolution 2268 du Conseil de sécurité le 26 février, a été rompu le 19 septembre 2016. Depuis, les tentatives du Conseil de sécurité d'adopter des résolutions pour un cessez-le-feu en Syrie ont échoué à maintes reprises à cause du veto de la Russie, malgré une situation humanitaire dramatique. Les pourparlers internationaux sur la Syrie restent dans l'impasse car les parties ne parviennent pas à s'accorder sur, entre autres, le sort du président Bashar Al Assad.

Violations massives du droit international humanitaire

En 2016, la guerre en Syrie a continué d’entrainer des violations flagrantes du droit international humanitaire. Les forces gouvernementales et les milices affiliées soutenues par la Russie ont mené des attaques aveugles contre des zones densément peuplées, causant des milliers de morts civiles. A cela s’ajoute l’usage répété par les forces gouvernementales d’armes chimiques, de barils d’explosifs, de bombes à sous-munition ainsi que des armes dont les effets sont indiscriminés et dont l'utilisation est interdite par le droit international humanitaire et par la résolution 2139 (2014) du Conseil de sécurité de l’ONU. Ces attaques contre des civils ont été expressément qualifiées de crimes de guerre par le Conseil de sécurité. Le 25 juin 2016, les forces gouvernementales ont lancé la « bataille d'Alep » dans une tentative de reprendre le contrôle de la partie Est de la ville. Le 18 octobre, l'armée syrienne a assiégé l'Est d'Alep, alors que les avions russes lançaient un bombardement aérien extrêmement violent sur toute la région. Par conséquent, les deux plus grands hôpitaux de la ville ont été détruits, tuant des dizaines de civils et laissant des milliers d’autres sans accès aux soins médicaux. Le Secrétaire général de l'ONU Ban Ki-Moon a dénoncé ces frappes aériennes russes visant des hôpitaux et autres établissements de santé en les qualifiant de « crimes de guerre ». Le 15 novembre 2016, alors que plus de 250,000 civils se trouvaient bloqués dans la ville assiégée, quasiment sans nourriture et des soins médicaux extrêmement limités, la Russie a annoncé une offensive majeure sur l'Est d'Alep. En conséquence, la dernière semaine de novembre, des dizaines de milliers de civils ont tenté de s'échapper de la ville, qui, selon Stephen O'Brien, Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l'ONU, est devenue « un gigantesque cimetière ». En outre, les hôpitaux et les établissements de santé sous le contrôle des forces de l'opposition ont systématiquement fait l'objet d'attaques directes des forces gouvernementales, en particulier suite à la décision du gouvernement de déclarer « illégal » tout établissement de soins médicaux dans les zones contrôlées par les forces d'opposition. La situation s'est détériorée rapidement depuis que les autorités ont entravé l’accès à l’aide humanitaire, malgré leur engagement.

Les disparitions forcées : un outil de terreur

La pratique systématique de la disparition forcée constitue sans aucun doute un crime contre l'humanité au sens du Statut de Rome. En 2016, les chiffres étaient en augmentation constante, atteignant des dizaines de milliers de victimes. Elle constitue un outil de répression qui cible non seulement les militants politiques, les défenseurs des droits de l'homme et les membres des organisations humanitaires, mais aussi les citoyens ordinaires. La plupart des victimes ont été appréhendées à des postes de contrôle militaires ou pendant des vagues d'arrestations menées par les services de sécurité ou les milices, sans mandat de justice ou de justification quant aux raisons de leur arrestation. Après leur arrestation, les victimes de disparitions forcées sont conduites dans des centres de détention secrets où elles sont gravement torturées et, dans de nombreux cas, exécutées sommairement. Le recours systématique à cette pratique a créé un climat de terreur, de telle sorte que les familles des victimes ont peur de dénoncer la disparition dans la crainte de connaitre un sort semblable. Dans les rares cas où les familles peuvent se référer aux autorités locales, elles sont confrontées au refus systématique de ces dernières de toute connaissance ou implication dans ces disparitions. En 2016, Alkarama et l’ONG Human Rights Guardians ont soumis plusieurs dizaines de cas au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de l’ONU (GTDFI), malgré les difficultés croissantes auxquelles sont confrontés les avocats, les militants des droits de l’homme et les familles des victimes qui documentent les cas sur le terrain. En août 2016, il y avait environ 190 cas encore en instance devant le GTDFI. Ces cas ne constituent toutefois que la partie émergée de l'iceberg, puisque des dizaines de milliers de familles demeurent sans nouvelles sur le sort de leurs proches arrêtés ou enlevés par les forces de sécurité gouvernementales ou les milices étrangères alliées. Alkarama a également soulevé plusieurs cas de disparitions forcées commises par d'autres groupes armés, dont l'EI, les unités de protection du peuple kurde et le Front Al Nosra, à la Commission d'enquête internationale indépendante sur la Syrie

La pratique systématique de la torture et les décès en détention

En 2016, la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants est demeurée une pratique généralisée et systématique, exercée tant par les forces de sécurité gouvernementales que par les milices paraétatiques, et ce, dans tous les centres de détention officiels ainsi que dans les lieux de détention secrets. Les principales victimes sont les personnes soupçonnées de soutenir l'opposition, d'être membres ou sympathisants de groupes armés, d'avoir participé à des manifestations. Alkarama a notamment documenté des cas de journalistes, de défenseurs des droits de l'homme, de déserteurs des forces de sécurité, de femmes et d'enfants. La pratique de la torture est encouragée par l’absence de volonté politique de régler cette question ; menée sous les ordres directs des autorités, elle s’inscrit dans une politique de l'État qui vise à semer la peur, intimider et terroriser la population civile. Plusieurs cas documentés par Alkarama en 2016 témoignent de la pratique récurrente et répandue de la torture dans les prisons syriennes, ainsi que dans les multiples centres de détention secrets du régime. La fréquence, la durée et la gravité des mauvais traitements – perpétrés par toutes les branches des services de sécurité – ont causé des milliers de morts en détention. Le 1er août 2016, Alkarama a envoyé au Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires le cas d'Ahmad Hassoun, militant syrien de 19 ans décédé en captivité après avoir été gravement torturé. Comme c'est souvent le cas, le père d'Ahmad a reçu l'ordre de signer un document attestant que son fils était mort «en raison d'une crise cardiaque » et n'a jamais pu obtenir le certificat de décès de son fils. Comme l'a souligné le rapport de la Commission d'enquête internationale indépendante sur Syrie « Out of sight, out of mind », publié en février 2016, des milliers de personnes ont été battues à mort ou sont mortes à la suite de graves blessures infligées sous la torture. D'autres sont décédées en raison des conditions de détention et de l’interdiction aux détenus d'avoir accès aux soins médicaux.


LA SYRIE REÇOIT 231 RECOMMANDATIONS PENDANT SON EXAMEN PÉRIODIQUE UNIVERSEL

En 2016 a lieu le deuxième Examen périodique universel (EPU) de la Syrie par le Conseil des droits de l'homme (CDH). L'EPU consiste en un examen de la situation des droits de l’homme de tous les États membres de l'ONU par le CDH tous les quatre ans et se déroule par le biais d'une discussion interactive avec d'autres États membres de l'ONU. Les ONGs peuvent soumettre des informations auxquelles peuvent se référer les Etats participant à l'examen. Le 4 novembre 2016, le Groupe de travail sur l'EPU a adopté un rapport préliminaire contenant les recommandations formulées pour la Syrie par les États membres de l'ONU au cours de l'examen qui a eu lieu le 31 octobre 2016. Une grande majorité d'États ont exprimé leurs préoccupations quant aux violations flagrantes du droit international humanitaire et des droits de l'homme, la pratique généralisée de la torture, les détentions arbitraires et les disparitions forcées, les attaques contre des personnes et des infrastructures civiles, y compris les hôpitaux, ainsi que l’absence de coopération avec les Nations Unies, notamment avec la Commission d’enquête indépendante. Alkarama avait soulevé toutes ces préoccupations dans un rapport soumis au CDH avant l'examen du pays en mars 2016. La communauté internationale a notamment recommandé à la Syrie de « prendre des mesures immédiates pour cesser les attaques aveugles contre les civils, les hôpitaux, le personnel et les convois humanitaires » afin « d'assurer un accès humanitaire complet et sans entrave, y compris dans toutes les zones assiégées » et de « redoubler d'efforts pour parvenir à un règlement politique de la crise en Syrie par un dialogue complet avec toutes les parties ». Enfin, la Syrie a reçu 231 recommandations d’États membres de l'ONU, dont elle devra tenir compte avant mars 2017, et informer le Conseil des droits de l'homme sur les recommandations acceptées ou rejetées.