Arabie saoudite : Des experts de l'ONU sur le handicap condamnent les autorités pour la détention arbitraire du savant Safar Al Hawali, appellent à sa libération et à la fin des représailles contre sa famille
« L'isolement prolongé du savant religieux et critique Safar bin Abdulrahman al-Hawali sans procès et sans aménagements nécessaires pour son handicap constituent de graves violations, notamment à travers la détention arbitraire et des actes de torture ou de mauvais traitements », a déclaré le Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies dans un communiqué daté du 15 mai 2024.
Ce communiqué intervient alors que les experts de la CDPH ont rendu une décision sur la plainte contre l’Arabie saoudite déposée par Alkarama le 12 octobre 2020 au nom du savant agé de 76 ans. Cette décision contraignante est une étape importante dans la campagne pour la libération de Safar Al Hawali, après le dépôt de plusieurs plaintes auprès des mécanismes des droits humains de l'ONU détaillant les persécutions et les représailles dont l'universitaire et les membres de sa famille ont fait l'objet.
Dans la déclaration du Comité, l'expert de l'ONU Markus Schäfer a déclaré : « M. al-Hawali a été soumis à un large éventail de violations des droits de l'homme au cours des six dernières années, notamment de la disparition forcée, de la détention arbitraire, un déni du droit à une procédure régulière, une privation du droit à la santé, ainsi que des actes de torture ou de traitements inhumains ».
Al Hawali a été arrêté en juillet 2018 en guise de punition pour avoir critiqué pacifiquement le prince héritier Mohamed Bin Salman. Aujourd'hui âgé de 76 ans, il souffre d'incapacités permanentes causées par des accidents vasculaires cérébraux qui ont affecté sa capacité à communiquer, à se déplacer et à prendre soin de lui-même. Il souffre également d'apraxie verbale chronique, qui l'empêche d'utiliser ses muscles faciaux pour parler et se faire comprendre. Il est incapable de se déplacer de manière autonome et sa fracture pelvienne et son insuffisance rénale nécessitent des soins médicaux réguliers.
Depuis son arrestation, il est détenu à l'isolement et régulièrement coupé du monde extérieur pendant de longues périodes, le privant de soutien juridique et familial. Aujourd'hui, il n'y a pas de fin en vue à sa détention arbitraire. En effet, après plus de six ans, son cas reste « en cours d'examen » selon les autorités. Alkarama a attiré l'attention des experts sur le fait que l'universitaire était de fait maintenu en détention provisoire indéfinie sans aucun soin, ce qui équivaut à une lente exécution.
« Le traitement réservé par les autorités à M. Al-Hawali, ainsi que le délai dans la reconnaissance de son lieu de détention et dans le tratitement de son cas, sont inappropriés, injustifiés et déraisonnables », a déclaré M. Schaeffer. Le Comité a donc considéré que M. Al Hawali avait été soumis à une disparition forcée et que sa détention était arbitraire.
Le Comité a demandé à l'Arabie saoudite de réexaminer d'urgence le cas d'Al Hawali , de le libérer ou, à tout le moins, d'assurer un procès équitable et public, conformément aux normes internationales. M. Schaeffer a déclaré que le Comité avait également demandé à l'État partie à la Convention relative aux droits des personnes handicapées de cesser immédiatement tout acte de représailles contre M. Al-Hawali et ses proches, ajoutant que « l'espace civique pour la critique des institutions de l'État est un pilier fondamental d'une société démocratique ».
Un long historique de persécution
Safar Al Hawali est un érudit religieux bien connu et un membre du mouvement saoudien Sahwa (ou Réveil islamique). Les intellectuels modernes impliqués dans ce mouvement, qui a émergé dans les années cinquante, ont ouvertement critiqué le prince héritier Mohammed ben Salman pour sa politique. Le mouvement Sahwa a été ciblé dans le contexte de la répression de la liberté d'expression par le prince héritier contre d'autres universitaires, dont la figure réformiste bien connue Salman al Odah.
Safar Al Hawali est détenu arbitrairement depuis le 12 juillet 2018 après avoir publié un livre critiquant les choix de politique internationale du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et formulant à son égard des recommendations.
Safar Al Hawali, ses fils Abdullah, Abdulrahman, Ibrahim et Abdulrahim, ainsi que son frère Saadallah ont tous été arrêtés par les autorités entre le 11 et le 13 juillet. Les proches de l'érudit ont été collectivement punis en étant poursuivis par le Tribunal pénal spécial pour avoir refusé de dénoncer ses opinions politiques et religieuses.
Début 2023, la Cour d'appel saoudienne a alourdi les peines d'emprisonnement de plusieurs proches d'Al Hawali en représailles à leur soutien continu au prisonnier d'opinion. La Cour d'appel a décidé d'augmenter la peine de Saadallah Al Hawali , le frère de Safar Al Hawali, de 4 à 14 ans. Il a également décidé d'augmenter les peines des fils d'Al Hawali, Abdul Rahman Al Hawali de 7 ans à 17 ans, Abdullah Al Hawali de 6 ans à 16 ans et Abdul Rahim Al Hawali de 6 ans à 15 ans.
« En imposant des peines plus sévères à la cour d'appel, les autorités saoudiennes visent à dissuader les victimes de procès inéquitables devant le Tribunal pénal spécial d'exercer leur droit de recours, dans le cadre d'une politique systématique de répression de toute forme de critique des autorités royales », a déclaré le directeur d'Alkarama, Me Rachid Mesli. « Les tribunaux étant sous le contrôle direct des autorités royales, un appel contre une décision du Tribunal pénal spécial est essentiellement un appel contre une décision du souverain, d'où les peines plus lourdes pour punir l'affront ».
Refus persistant de l'Arabie saoudite de se conformer aux demandes de libération de l'ONU
Depuis l'arrestation de l'érudit et de ses proches, Alkarama a déposé de nombreuses plaintes et appels urgents qui ont conduit les experts de l'ONU à demander à plusieurs reprises sa libération urgente.
Alors que le CDPH a demandé à titre de mesure urgente la libération immédiate de Safar Al Hawali à plusieurs reprises depuis le début de la procédure, le Groupe de travail sur la détention arbitraire (GTDA) a rendu un avis, en juin 2023, dans lequel les experts ont appelé à la libération immédiate de l'universitaire et ont exhorté le gouvernement « à veiller à ce que les proches de M. Al-Hawali ne subissent aucune représailles pour ses activités ou pour l'exercice de leurs propres droits ».
Les experts du GTDA ont également déclaré qu'ils étaient « gravement préoccupés par le fait que M Al Hawali reste en détention plus de quatre ans après son arrestation, en particulier parce qu'il est une personne handicapée ». Les experts ont souligné que depuis son arrestation, il n'a pas eu de contacts réguliers avec sa famille et n'a pas eu accès à une représentation juridique. Ils ont donc exhorté les autorités « à prendre des mesures pour faciliter la communication entre M. Al Hawali et sa famille et son avocat ».
En déposant une plainte auprès du Comité des droits des personnes handicapées, Alkarama a renvoyé l'affaire à la procédure la plus contraignante disponible au niveau de l'ONU, car l'Arabie saoudite a accepté la Convention relative aux droits des personnes handicapées et les plaintes individuelles peuvent être entendues. Lorsque des personnes particulièrement vulnérables sont victimes d'arrestations arbitraires et de mauvais traitements, les représentants de la victime peuvent demander une intervention urgente par le biais de « mesures d'urgence », compte tenu de la situation préocupante de la victime.
En vertu de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, les autorités saoudiennes peuvent être tenues de prendre des mesures urgentes avant même que l'affaire n'ait été examinée. En vertu de l'article 4 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, il peut être exigé de l'État partie qu'il prenne des mesures provisoires pour éviter qu'un préjudice irréparable ne soit causé à la victime si sa détention se poursuit pendant que l'affaire est examinée par le Comité.
Sur cette base, le Comité des droits des personnes handicapées a demandé aux autorités saoudiennes « d'organiser la libération immédiate d'Al Hawali. Cette libération doit assurer sa sécurité et que toutes les précautions sont prises pour éviter tout préjudice potentiel. Les autorités doivent également veiller à ce que Safar Al Hawali reçoive des soins médicaux appropriés à domicile ou dans un autre établissement médical de son choix.
Avec cette décision, Alkarama continuera à faire pression sur les autorités saoudiennes pour la libération de Safar Al Hawali, qui est désormais reconnu comme une personne handicapée nécessitant des soins spéciaux, mais aussi comme une victime de détention arbitraire en guise de punition pour avoir simplement exprimé pacifiquement ses opinions.