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Alkarama, Human Rights Watch, Alef, Restart Center, Frontiers, KRC Khiam and the Lebanese Center for Human Rights (CLDH), Beyrouth, 7 octobre 2008

Nous sommes un groupe d'organismes libanais et internationaux travaillant sur les droits humains au Liban. Nous nous félicitons de votre décision, le 6 août 2008, de demander à l'Inspection générale d'enquêter sur les allégations d'abus survenant à l'intérieur des prisons libanaises après les graves allégations diffusées sur Al-Fasad, un programme sur New TV, à propos de la corruption et des mauvais traitements infligés à des prisonniers.



Nous voulons attirer votre attention sur les préoccupations suivantes relatives aux établissements de détention en espérant qu'elles seront pris en compte et que le rapport sera rendu public dès que possible :

I. Décès pendant la garde à vue et absence de soins médicaux


Depuis janvier 2007, au moins 27 détenus ont trouvé la mort dans les prisons libanaises et les établissements de détention (voir l'annexe 1 pour plus de détails). Certains de ces décès ont soulevé des questionnements sur les possibles responsabilités des fonctionnaires à l'intérieur de la prison tandis que d'autres mettent en lumière la négligence des gardiens de prison ou des lacunes dans les soins médicaux offerts aux détenus. Dans presque tous les cas, la clarté et la transparence de l'administration pénitentiaire libanaise est nécessaire.

Par exemple, Joseph Khajadorian a trouvé la mort dans la prison de Roumieh le 10 décembre 2007, à peine six jours après avoir été arrêté. Lors du reportage sur Al-Fasad, les parents de M. Khajadorian ont dit que les autorités de la prison les avait informés de sa mort sans leur fournir aucun rapport écrit, prétendant qu'il avait succombé à un caillot de sang dans sa tête. La famille a engagé un expert médical qui a conclu que la cause du décès n'a pas été la présence d'un caillot de sang, mais plutôt une asphyxie. Un ancien détenu a rapporté à Al-Fasad que Joseph avait de "fréquentes crises" mais que les autorités de la prison ont refusé de le transférer à l'hôpital.

Plus récemment, Saleh Zein al-Deen, 43 ans, est décédé dans la prison de Roumieh le 21 août 2008, deux semaines après avoir été placé en détention. Il était accusé d'avoir menacé d'autres personnes avec des armes à feu. Selon les assistants sociaux de la prison, il souffrait de graves troubles psychologiques. Le rapport officiel de la prison indique que Saleh est mort asphyxié alors que la famille affirme que l'examen du cadavre a montré qu'il avait une grande plaie à la tête.

Les décès lors de la détention ne sont pas limités à la prison de Roumieh mais ont également eu lieu dans d'autres prisons. Moussa Darwish Khalil, un palestinienne âgé de 61 ans, est décédé le 3 octobre 2007 à la prison de Zahlé. Il avait été arrêté, inculpé d'être entré illégalement dans le pays et d'être en possession d'armes. Aucune information n'est disponible sur sa mort. Omar Sattam `Ulayf, ressortissant syrien de 17 ans, est décédé le 19 juin 2008 dans le centre de détention du tribunal de Tripoli. Aucune information n'est disponible sur la cause de sa mort.

Les décès en garde à vue se produisent aussi dans les commissariats de police. Le 29 Mai 2008, Muhammad G., 25 ans, est mort dans le poste de police du Mont-Liban (Mafrazet Istiksa 'Jabal Lubnan) après son arrestation pour ivresse. Nous ne savons pas si les autorités ont enquêté sur sa mort. Dans un cas similaire, il y a deux semaines, le 16 Septembre 2008, Haydar Y., 50 ans, a été retrouvé inconscient dans le commissariat de police Ramlet al-Bayda à Beyrouth après avoir été arrêté pour ivresse. Il a été transféré à l'hôpital de Beyrouth où il est décédé. Encore une fois, nous ne savons pas si une enquête a été diligentée et quels en sont les résultats.

D'autres cas soulèvent des questions sur le rôle des fonctionnaires de l'administration pénitentiaire dans la protection des détenus face à la violence des autres détenus. Elias al-Habr est décédé au début du mois de Novembre 2007. Sa famille nous a dit qu'il était décédé des suites de coups subis par d'autres détenus. La cause du décès a été confirmée dans le rapport d'examen de la commission médicale. Le chef du dispensaire de la prison, M. Abdo Hayek, a déclaré dans l'émission d'Al-Fasad que M. al-Habr avait formulé des demandes de transfert de sa cellule parce que d'autres détenus le battaient, mais que les autorités de la prison et le chef du service religieux dans la prison de Roumieh (al-Murshidiyyah) avait refusé la demande.

Votre Excellence, selon le rapporteur spécial des Nations unies sur les Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, "la mort dans tout type de garde devrait être considérée de prima facie comme une exécution sommaire ou arbitraire et une enquête doit être immédiatement diligentée afin de confirmer ou de réfuter l'allégation. Les résultats des enquêtes devraient être rendus publics." Or, au Liban, ces enquêtes publiques sur les décès lors de la garde à vue n'ont pas été ordonnées.

Nous sommes encouragés par votre volonté d'enquêter sur les allégations de mauvais traitements et de corruption dans les établissements de détention et les prisons libanais.

En conséquence, nous vous demandons:
- D'enquêter sur les décès mentionnés dans l'annexe 1 et de rendre publiques les conclusions ;
- de donner des instructions pour effectuer des autopsies pour chaque personne qui meurt durant la garde à vue quelque soit l'institution de l'état, et de mettre ces rapports à la disposition du public;
- de tenir pour responsable les fonctionnaires de l'administration pénitentiaire pour tout décès causé par leur actes ou par négligence;
- d'ordonner une procédure d'examen médical dans les centres de détention et les prisons.

II. La torture et les mauvais traitements dans les établissements de détention et les prisons

La torture et les mauvais traitements restent un problème grave dans les centres de détention et les prisons libanais. Alors que l'article 401 du Code pénal libanais érige en infraction l'usage de la violence dans le but d'extorquer des aveux, l'application de cette disposition est pratiquement inexistante.
Les groupes de défense des droits de l'homme au Liban ont réuni des témoignages de détenus qui ont déclaré avoir été battus et torturés au cours des interrogatoires dans certains centres de détention. Par exemple, les détenus appartenant au soi-disant "groupe des 13" accusés de liens avec Al-Qaida, ont déclaré qu'ils avaient été torturés par la " section Information " dépendante des Forces de sécurité intérieure. Une personne qui les a vus lors de leur détention au siège de la  " section information " à Beyrouth a rapporté avoir vu les traces de coups physiques sur leurs corps.

D'autres détenus ont déclaré avoir été battus dans le bureau chargé de la lutte contre les drogues (DRB) dans le poste de police Hobeish de Hamra, Beyrouth et dans les bureaux de lutte contre la drogue dans le Palais de justice de Zahlé. Des voisins du poste de police de Hobeish nous ont affirmé entendre souvent la nuit des cris provenant de la station de police.
Les travailleurs migrants ont également déclaré avoir été maltraités en détention. Un des travailleurs domestiques migrants en provenance des Philippines a déclaré avoir été battu dans le poste de police Jal el-Dib.

Votre Excellence, un message clair que la torture et les mauvais traitements ne seront pas tolérés doit être envoyé aux membres des forces de sécurité, y compris dans les cas liés au trafic de drogue et de sécurité. En conséquence, nous vous demandons de:

- donner des instructions claires et publiques à tous les membres des forces de sécurité que la torture ne sera pas tolérée et que les contrevenants seront punis conformément à la loi;
- Engager rapidement des enquêtes impartiales dans tous les cas crédibles d'actes de torture ou de décès de détenus.
- sanctionner ou poursuivre comme il convient toutes les personnes responsables de la torture des détenus, indépendamment de leur rang. Cela comprend les personnes qui ont procédé à de tels abus ou les ont ordonnés.

Nous vous remercions pour votre attention par rapport à ce dossier. Nous attendons avec impatience de nous lancer dans un dialogue constructif sur la façon de protéger efficacement les droits des détenus au Liban. Nous prendrons contact avec votre bureau pour demander une réunion de discussion sur cette question.

Lettre en anglais (avec annexe)

Réponse du ministre de l'Intérieur (en arabe)