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تونس والمعتقلون السياسيون

Les organisations de défense des droits humains signataires expriment leur profonde inquiétude et leur vif mécontentement face à la dégradation alarmante des libertés publiques et des droits humains en Tunisie. Cette situation s’inscrit dans un contexte où la politique de répression se renforce et où la justice est instrumentalisée pour éliminer opposants et voix dissidentes, tandis que s’intensifie la violence dirigée contre les mouvements sociaux pacifiques, à l’instar de la ville de Gabès, confrontée à une crise environnementale et sanitaire suffocante. 

La situation du militant Jawher Ben Mohamed Ben Mabrouk et son combat en grève de la faim 

Nous dénonçons fermement l’agression violente subie par le militant et défenseur de la justice Jawher Ben Mabrouk, détenu dans le cadre de ce que les autorités qualifient d’« affaire de complot contre la sûreté de l’État ». Il a été passé à tabac par des agents et des détenus de droit commun, sous le regard de l’administration pénitentiaire, sans qu’aucune intervention ne soit menée pour le protéger. Cette attaque lui a infligé de lourdes blessures et provoqué des pertes de connaissance, alors même qu’il entame sa troisième semaine de grève de la faim. 

Nous tenons les autorités de fait entièrement responsables de cette agression et de cette violation flagrante — qui ne saurait se prescrire — et appelons les instances chargées de la prévention de la torture à intervenir de toute urgence. 

Nous condamnons, en outre, l’attitude persistante de l’administration pénitentiaire, qui refuse d’assumer ses responsabilités, nie la grève de la faim de Jawher Ben Mabrouk ainsi que la dégradation alarmante de son état de santé et s’en prend aux avocats ayant révélé ces faits à l’opinion publique, les accusant à tort de diffuser de fausses informations. 

Nous exprimons notre vive inquiétude quant à l’état de santé de Jawher Ben Mabrouk et des autres grévistes de la faim, soumis à une détention arbitraire et à des harcèlements délibérés, ainsi qu’à un traitement cruel, inhumain et dégradant. 

Dans le même temps, nous rappelons la détérioration préoccupante de l’état de santé du militant et président du Parlement tunisien, Rached Ghannouchi, qui a annoncé il y a quelques jours entamer une grève de la faim illimitée, malgré son âge avancé et ses pathologies, en solidarité avec Jawher Ben Mabrouk. Plusieurs dirigeants politiques de l’opposition ont rejoint cette démarche. 

Nous alertons les autorités de fait : persister à ignorer leurs revendications légitimes, refuser de garantir un procès équitable et transparent ainsi qu'un accès effectif aux soins et des conditions de détention dignes, met gravement en péril leur vie et témoigne d’un mépris manifeste des droits humains fondamentaux et des engagements internationaux de la Tunisie. 

Des poursuites instrumentalisées et un effondrement des conditions minimales de justice 

La Tunisie traverse une phase marquée par une série de procès politiques fabriqués, menés en violation flagrante des standards élémentaires d’équité, d’impartialité et d’indépendance judiciaire. Les dossiers y sont instruits sous la pression directe de l’exécutif et relèvent d’une logique de représailles visant les voix libres. 

Ces procès s’accompagnent de violations graves, parmi lesquelles : 

  1. La remise en cause du droit à la défense, à travers des restrictions imposées aux avocats, parfois empêchés d’accéder pleinement aux dossiers ou de communiquer librement avec leurs clients;

  2. L’absence des détenus à leurs audiences, les privant ainsi de leur droit fondamental à se défendre;

  3. Le refus d’assurer la publicité des procès, en dépit de son fondement juridique et normatif, en contradiction directe avec le principe de transparence judiciaire;

  4. La précipitation dans le prononcé des jugements, sans permettre à la défense de présenter ses arguments — comme dans l’affaire de Maître Ahmed Souab — dans une scène qui a profondément choqué l’opinion publique ainsi que les instances judiciaires indépendantes. 

Des conditions carcérales inhumaines

Depuis le coup d'état du 25 juillet 2021, la situation dans les prisons tunisiennes s’est gravement détériorée, en particulier concernant les droits des prisonniers politiques et des personnes arrêtées pour leurs opinions. 

Le rapport annuel de l’Instance nationale de prévention de la torture révèle que la surpopulation carcérale dépasse 160 % dans plusieurs établissements, notamment à Mornaguia et à Borj El Amri. Cette situation, selon l’Instance, rend impossible le respect des conditions minimales de dignité humaine. Des organisations locales et internationales ont par ailleurs mis en évidence des violations systématiques, parmi lesquelles : 

• Isolement prolongé de nombreux détenus politiques dans des cellules individuelles durant 23 heures par jour, sans aucune justification judiciaire; 

• Privation de soins médicaux, alors même que certains détenus souffrent de maladies chroniques graves — cardiaques, diabétiques, rhumatismales ou cancéreuses — entraînant une dégradation alarmante de leur état de santé;

• Alimentation insuffisante et manque d’eau potable dans plusieurs établissements; 

• Restrictions arbitraires des visites familiales et des entretiens avec les avocats, allant parfois jusqu’à la confiscation de documents de la défense, en violation manifeste des garanties d’un procès équitable;

• Transferts pénitentiaires abusifs documentés par Avocats Sans Frontières, utilisés comme forme de sanction ou d’isolement, une pratique qualifiée de punitive et visant à affaiblir psychologiquement les détenus. 

L’ensemble de ces éléments témoigne d’une situation carcérale catastrophique, en contradiction directe avec les normes internationales, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les Règles Nelson Mandela relatives au traitement des détenus. 

Les organisations signataires alertent les autorités de fait sur la gravité de ces pratiques, qui représentent une dérive majeure du système judiciaire et une violation des articles 27 et 108 de la Constitution tunisienne, ainsi que des engagements internationaux du pays. Elles affirment que ces mesures visent clairement à faire taire les voix dissidentes, à réprimer les opposants et à intimider la société civile ainsi que la presse indépendante. 

Aggravation de la crise environnementale à Gabès et violences contre les habitants 

Dans une logique de continuité de la politique d’intimidation, de terreur et de déresponsabilisation, les autorités de fait ont ignoré la catastrophe environnementale et sanitaire qui frappe le gouvernorat de Gabès depuis plusieurs semaines. Cette crise résulte des émissions de gaz et de substances toxiques provenant du complexe chimique, qui ont provoqué une forte dégradation de la qualité de l’air et une hausse notable des cas d’évanouissement et de détresse respiratoire, en particulier parmi les élèves et les enfants dans les établissements scolaires. 

Les habitants, qui ont organisé des manifestations pacifiques pour réclamer leur droit à un environnement sain et à une vie digne, ont subi une répression violente : dispersion brutale, campagnes d’arrestations, ainsi que des blessés et des cas d’écrasement parmi les protestataires. 

La situation s’est encore aggravée avec les tentatives des autorités de discréditer ces mobilisations, en accusant des acteurs civils et des défenseurs des droits humains d’incitation au chaos ou de complot contre l’État — une stratégie visant à criminaliser des revendications légitimes et à dissimuler les échecs environnementaux chroniques qui affectent la région de Gabès. 

En conséquence, les organisations et associations signataires exhortent à : 

  1. La libération immédiate et sans condition de Jawher Ben Mabrouk ainsi que de tous les prisonniers d’opinion;

  2. L’ouverture d’une enquête indépendante sur les conditions de détention de Jawher Ben Mabrouk, l’agression dont il a été victime et les actes de torture subis, alors qu’il est en grève de la faim depuis plus de deux semaines;

  3. La cessation des procès arbitraires, la garantie de l’indépendance de la justice, la publicité des audiences et le plein respect du droit à la défense;

  4. La mise en responsabilité des auteurs de violences policières contre les manifestants pacifiques à Gabès et l’assurance que de telles pratiques ne se reproduisent pas;

  5. Un appel urgent aux instances nationales et internationales pour protéger la vie des détenus et défendre le droit à la liberté, à la dignité et à un environnement sain. 

Organisations signataires

  1. Organisation Sawt Horr pour la défense des droits humains – Paris

  2. Association des victimes de la torture – Genève

  3. Organisation IFED International – Bruxelles 

  4. Centre Al-Shehab pour les droits humains – Londres 

  5. Alkarama pour les droits humains – Genève 

  6. Organisation SAM pour les droits et les libertés – Genève 

  7. Organisation Solidarité pour les droits humains

  8. Organisation Justice for Human Rights (JHR)

  9. Association de défense de la justice en Tunisie – Paris